Euro : pour changer la BCE, «il faudrait déployer les chars Leclerc»
L’ambiance était plus celle d’un cours que celle d’un meeting politique dans le très sage amphi Erignac de Sciences Po pour écouter le débat entre les deux économistes. D'un côté, Jacques Sapir, économiste, enseignant, spécialiste de la Russie et surtout opposant notoire à l’euro. De l'autre, André Grjebine, économiste timidement favorable à la monnaie européenne, qui croit en des réformes capables de sauver l'euro, notamment en développant le fédéralisme en Europe.
Les deux économistes ont été choisis par l’association qui a organisé le débat. Elle porte le nom un brin ironique de Critique de la raison européenne (CRE). Sur son site, on peut lire son crédo : «Le but de l’euromécréance est que le débat soit posé en des termes rationnels : qu’il ne soit plus question de foi, mais de raison, loin des mythes et des superstitions»… Comme quoi, Sciences Po n’est pas aussi formatée que l’on peut le dire.
«Je suis venu ici pour enterrer l’euro»
En tout cas, l’association a réussi son opération. Le petit groupe d’étudiants, qui se présentent comme souverainistes (les deux animateurs du débat, Damien Le Gallo et Alexandre Loubet sont l'un au MRC, de Chevènement et l'autre à Debout la République de Dupont-Aignan) a rassemblé quelque 80 personnes pour venir écouter le cours, pardon le débat, qui s’est montré à la hauteur du sujet. Même si les défenseurs de l’euro (s’il y en avait) ont du se sentir isolés dans la salle tant les deux intervenants se sont montrés critiques envers l’actuelle situation en Europe.
Même André Grjebine, supposé être plus modéré dans sa critique de la monnaie européenne, ne semble pas très optimiste : «Soit on réforme, soit tout saute», reconnaît-il. Face à lui, Jacques Sapir a sorti l’artillerie lourde. A la question de savoir si «une politique destinée à sauver l’euro est possible», il répond sans hésiter : «Je suis venu ici pour enterrer l’euro» !
Discours structuré, graphiques, tableaux, il démonte point par point les arguments en faveur de l’euro et dresse le portrait d’une Europe en déclin, privée d’investissements. «L’euro s’est avéré être un frein massif pour la zone euro, mais aussi pour l’économie mondiale.»
Depuis 2007, la crise a montré les différences entre les économies européennes. Grèce, Espagne, Portugal connaissent des taux de chômage record, des croissances négatives et l’ensemble de l’Union monétaire est menacée de déflation.
«Une dissolution concertée de la zone euro»
Même en cas de réforme profonde de la zone euro, Jacques Sapir ne voit pas de solution. Pour lui, les sommes nécessaires pour équilibrer les différentes économies européennes (entre la Grèce et l’Allemagne, par exemple) rendent l’opération impossible et insupportable pour les Allemands qui auraient à «payer 250 à 300 milliards par an, soit 8 à 10% de son PIB».
Il s’attaque ensuite à l’hégémonie de la Banque centrale européenne, la BCE, faite sur le modèle allemand. Et affirme que même si un pays ou un groupe de pays voulaient lui imposer leur volonté, il faudrait «déployer des chars Leclerc à Francfort». Et ajoute en souriant : «Ce qui n’est pas possible, ni souhaitable».
Face à cette absence de perspective, Jacques Sapir donne sa solution : «Je suis pour une dissolution concertée de la zone euro», en faisant un triste constat des relations qui se jouent en ce moment au sein de l’Union européenne, pointant les tensions entre les Etats. «L’euro est en train d’instiller la haine entre les peuples en Europe, il faut donc mettre fin à cette expérience, le plus tôt serait le mieux.»
André Grjebine, dont les critiques modérées sur le système européen sont noyées sous les assauts de Sapir, réagit en estimant que ce serait «trop couteux d’en sortir», mettant en cause les travaux qui ont tenté de mesurer les coûts d’une sortie de la monnaie européenne. «Les calculs mesurant les coûts d’une sortie ne sont pas crédibles.»
Le débat a commencé depuis près de deux heures. Place à l’exercice difficile des questions de la salle. Un jeune se lance dans une notation des intervenants, vite coupé par les animateurs. Un autre lance «l’euro n’est pas une monnaie, c’est un dogme». Un troisième tente de lancer un débat sur la nature d’un éventuel fédéralisme européen. Faute de temps, la réponse ne sera pas donnée.
Avec ce débat de bon niveau, on était très loin des élections européennes, des arcanes compliquées des sommets européens. On semblait être déjà dans le monde d’après, à savoir si l’union européenne avait une chance de survie. Loin aussi des débats politiques. Deux jeunes ont d’ailleurs demandé à Jacques Sapir qu'elle était sa réponse partisane à son analyse. Pas de réponse.
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