Cet article date de plus de neuf ans.

Biélorussie : Minsk se rapproche de Bruxelles, mais à quel prix?

Loukachenko mène une opération séduction en Europe. Au risque de s'éloigner de Moscou, dont le pays est fortement dépendant.
Article rédigé par Celia Mascré
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Alexandre Loukachenko, président biélorusse depuis 1994, attaque son cinquième mandat (REUTERS/Vasily Fedosenko)

En 2004, avec l'entrée de la Pologne dans l'Union Européenne, la Biélorussie devient, de fait, frontalière de l'Union Européenne. Mais cette année coïncide aussi avec les premières sanctions européennes imposées à Minsk. Il s'agit de restrictions de visas contre plusieurs fonctionnaires biélorusses et de limitations contre une série d’entreprises et d’organisations du pays. Depuis, Loukachenko tente de plaire à l'Europe pour, entre autres, qu'elle annule ces sanctions qui pénalisent son économie et touchent son entourage. 

Faire de l'œil à l'Europe
Et il a réussi. Depuis le début de la crise ukrainienne, les relations entre l’Occident et le président biélorusse Alexandre Loukachenko se sont améliorées. C'est le résultat d'une véritable opération séduction menée par celui-ci. La récente libération de six prisonniers politiques fait partie de ce plan. Mais ce n'est pas tout. Le refus, en mars dernier, de reconnaître la Crimée russe montre aussi à quel point Loukachenko est déterminé à montrer à Bruxelles son «sens démocratique».
 
De la même manière, Minsk s'est bien gardé de soutenir les séparatistes prorusses de l'est de l'Ukraine. Et a aussitôt accueilli les pourparlers de paix entre Vladimir Poutine, Angela Merkel, François Hollande et Petro Porochenko qui ont abouti aux accords de Minsk 2 en février dernier.
 
«La majorité des sommets internationaux dédiés à l'Ukraine ont eu lieu à Minsk, signe extraordinaire de la reconnaissance de son régime et de sa personnalité» décode André Filler, maître de conférences au département d’études slaves de Paris VIII.

Des efforts payants mais intéressés
Dans un communiqué publié le dimanche 23 aout 2015, Federica Mogherini salue «un progrès important vers une amélioration des relations entre l’Union européenne et la Biélorussie». En aout 2015, l'UE a retiré 24 noms de la liste qui touche plus de 200 dignitaires biélorusses frappés par un gel des avoirs. Les efforts du président biélorusse ont dont payé.

Mais le président biélorusse a des idées derrière la tête. «Loukachenko nous a libérés parce qu'il manqué d'argent» a lancé Mikola Statkevitch, un des prisonniers libérés, quelques heures après sa libération. La Biélorussie espère en effet un prêt du FMI. «Personne ne va financer une économie en faillite notoire. D'ailleurs, il n'a montré aucune bonne volonté à l'égard des prisonniers politiques» tranche l'analyste économique et avocat Sergei Balykin.
 


Partenariat oriental ou Union Eurasiatique ?
Il semblerait que Minsk joue sur deux fronts à la fois : le pays a intégré le partenariat oriental, piloté par l'UE, en 2009, et l'Union Eurasiatique, dominée par Moscou, en 2004. Ainsi, Loukachenko profite à la fois des aides européennes et des nombreux prêts accordés par Moscou (on ne peut pas encore parler d'effets positifs de la zone économique et douanière eurasiatique sur l'économie biélorusse).
 
Sur le site du Parlement européen, il est écrit : «Au cours de la période 2011-2012, la Biélorussie a été touchée par une crise économique résultant de politiques monétaires et budgétaires laxistes. Les difficultés ont été exacerbées par sa récente adhésion à l'union douanière, aux côtés de la Russie et du Kazakhstan
 
Si les effets positifs de l'Union eurasiatique ne se font pas encore ressentir sur l'économie de ses pays membres, il est difficile de parler d'effets néfastes. En revanche, il est légitime de se poser la question de la compatibilité entre cette double appartenance de la Biélorussie : le pays peut-il jouer sur les deux tableaux ?

Entre unification avec la Russie (proposée en 2011) et adhésion à l'Union européenne, que pensent les Biélorusses ? (en pourcent)
Source : NISEPI (FTV)


Jouer sur les deux fronts ?
Selon le ministre des affaires étrangères lituanien, Linas Linkevicius, qui s'exprime sur le cas arménien, similaire quant à cette double appartenance, l'icompatibilité est évidente : «Si l'Arménie décide de rejoindre l'Union douanière, cela veut dire qu'elle ne pourra pas signer d'accords de libre-échange avec l'Union européenne»
 
Si l'UE ne peut pas se permettre d'offrir ce que propose la Russie en termes d’aide financière ou de gaz à prix réduit, elle peut ouvrir l'accès au plus grand marché du monde, le marché européen. Reste à savoir quel «camp» choisira la Biélorussie, dans ce contexte international proche de la guerre froide.

Une chose est sûre, selon André Filler, « L'influence totale de Vladimir Poutine sur Loukachenko, ce qui le rendant achetable et influençable, pourrait lui jouer de mauvais tours.»

Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine lors d'une rencontre officielle.

Légitimer les prochaines élections
Le journaliste Mikola Statkevitch estime aussi avoir été libéré car le régime souhaitait donner une «légitimité» à la présidentielle à venir qui devrait sauf coup de théâtre aboutir à la réélection de M. Loukachenko.
 
Arrivé au pouvoir en 1994, M. Loukachenko est considéré par de nombreux  observateurs et défenseurs des droits de l'Homme comme un dirigeant autoritaire  et peu respectueux des libertés. Sa dernière réélection, avec près de 80% des suffrages en décembre 2010 pour un quatrième mandat, avait été marquée par une violente répression de l'opposition, qui dénonçait des fraudes.

En 2012, l'OSCE laissait également un jugement sévère sur le déroulement des élections législatives : «Une élection libre implique que les gens sont libres de s'exprimer, de s'organiser et de briguer un mandat, mais nous n'avons rien vu de cela»

Dans le cadre du partenariat oriental, l'Europe a demandé à Loukachenko de veiller à des élections honnêtes, démocratiques et non-violentes. Ce qui semble mal parti étant donné l'absence d'opposition pour l'élection présidentielle prévue le 11 octobre prochain.

Youri Roubtsov, un autre prisonnier politique, s'est fait tatouer «Loukachenko va-t-en» sur le torse (Rousskiy Reportior)


Quelles perspectives d'un rapprochement avec l'UE ?
Parmi les membres du partenariat oriental, la Biélorussie fait un peu figure du vilain petit canard. Rien que parce qu'il est le dernier État européen à appliquer la peine de mort, et le seul pays du continent à ne pas faire partie du Conseil de l’Europe.
 
Ses relations avec l’OTAN se limitent au Partenariat pour la paix (PPP) et sont entachées en 1999, lorsque Minsk décide de suspendre sa coopération avec l’OTAN, dénonçant la campagne de bombardement contre la Serbie. En janvier 2011, à la fermeture du bureau de l’OSCE à Minsk
 
«La perception de l'Europe et de ses institutions sont fortement conditionnées par l’évolution d’une identité biélorusse marquée par un fort degré de russification.» explique David Teurtrie, docteur en géographie et spécialiste de l'espace post-soviétique.
 
«Ainsi, la Biélorussie se situe dans l’espace juridique post-soviétique dont les normes sont très influencées par la Russie, ce qui limite l’impact des normes et valeurs diffusées par la construction européenne.» poursuit-il.
 
«L'idée d’une « identité européenne » en tant que référent supra-national est loin de faire l’unanimité tant elle semble entrer en concurrence avec l’idée d’un espace civilisationnel russo-centré.» explique David Teurtrie 


S'affranchir de la dépendance vis-à-vis de la Russie
Dans le giron russe, la Biélorussie fait partie de l'Union Eurasiatique mais aussi de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dans la sphère de la défense, et de la Communauté économique eurasiatique, dans le domaine de l’intégration économique.

Allié historique, «grand frère», la Russie est aussi et surtout le principal bailleur de fond de Minsk. La Biélorussie est très dépendante des hydrocarbures russes et des aides financières de Moscou. Les deux économies sont corrélées : depuis la crise russe provoquée par la chute du marché pétrolier russe et les sanctions européennes, le PIB (produit intérieur brut) de la Biélorussie a chuté du 3,3% sur un an au premier semestre.
 
«La Russie est en crise, bordée de sanctions pour l'Ukraine et ne sera probablement pas en mesure de continuer à subventionner l'allié boélorusse dans les volumes précédents» lançait récemment le journaliste Alexander Klaskouski, lui aussi emprisonné puis relâché en 2011.

A Loukachenko de décider où il veut placer ses intérêts stratégiques à court et à long termes. Mais se rapprocher de l'UE en restant proche de la Russie paraît peu réaliste.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.