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Ankara consolide sa position en Roumanie et Hongrie avec deux mosquées

Suite à une requête d’Ankara, la plus grande mosquée d’Europe doit voir le jour à Bucarest en Roumanie. Autre projet financé par la Turquie, un centre islamique et une mosquée à Budapest en Hongrie. Si les opinions publiques des deux pays européens majoritairement orthodoxes sont divisées, leurs dirigeants y voient une ouverture vers l’Est. Avec à la clé des liens économiques avec l'Etat turc.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
«Nous ne voulons pas d'une méga-mosquée à Bucarest», disent les pancartes brandies par les manifestants, place de l'Université à Bucarest, le 20 juillet, 2015.

La mosquée de Bucarest et son école coranique doivent s’installer sur un emplacement de 11.000m² attribué dans le cadre d’un partenariat entre la Turquie (qui finance le projet estimé à 3 millions d’euros) et la Roumanie. En 2004, le Patriarcat orthodoxe roumain avait reçu un terrain à Istanbul en échange de celui de la capitale roumaine. Un accord scellé par le Premier ministre Viktor Ponta en avril 2015. Et qui crée la polémique.
 
En effet, d’aucuns se demandent s’il est bien raisonnable dans un pays d’Europe de 20 millions d’âmes, essentiellement orthodoxes, de construire la plus grande mosquée d’Europe capable d’accueillir 2000 fidèles. La communauté musulmane de Roumanie représente 0,3% de la population, soit 70.000 fidèles d’origine turque et tatare pour la plupart, dont les trois-quarts vivent en Dobroudja, au sud-est du pays. Sur les 10.000 musulmans recensés à Bucarest, la moitié sont des étrangers.
 
A Budapest, où doit sortir de terre le plus vaste centre islamique d’Europe centrale, les réactions de l’opinion publique sont similaires. En Hongrie, l’islam reste également marginal : 6000 musulmans ont été recensés en 2011. En réalité, ils pourraient être quelques dizaines de milliers aujourd’hui, précise Hulala.
 
Il s’agit d’un projet grandiose, indique encore le site : «Quatre minarets, des annexes, des patios, des jardins ornés de fontaines… Un édifice plus immense même que ceux édifiés par l’Empire ottoman lors de l’occupation du pays aux XVIe et XVIIe siècles.» Pour l’heure, on sait juste qu’il est financé par Ankara et pourrait s’établir dans l’ancienne banlieue ouvrière de Köbanya-Kispest, au sud-est de la ville.

Les plans de la mosquée de Budapest, en Hongrie

Les plans d’Erdogan en Roumanie…
«Il est clair que les Turcs veulent augmenter leur influence dans les Balkans. Et il ne faut pas oublier que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, entretient de très bonnes relations avec Victor Ponta», le Premier ministre social-démocrate roumain, explique le journaliste Silviu Sergiu.
 
Il l’avait prouvé en avril 2015, lors d’une visite de M.Erdogan à Bucarest. «Les relations entre les deux pays sont dans un moment tout à fait exceptionnel, un moment spécial, dans lequel la collaboration politique, la collaboration stratégique, dans cette région si importante, et la collaboration économique (…) ont atteint un niveau sans précédent, que nous voulons améliorer dans la période à venir», avait alors déclaré Victor Ponta.
 
Le président roumain Klaus Iohannis est sur la même longueur d’ondes: «La Roumanie et la Turquie ont des objectifs communs et des intérêts mutuels», notamment dans les secteurs économique et commercial, avait-il annoncé lors de cette rencontre avec son homologue turc. Analyse d’Andreea Bojoi dans radio Roumania International : «La Turquie est le plus grand partenaire commercial non communautaire de la Roumanie. Une raison de plus pour le président Klaus Iohannis de réaffirmer le soutien de Bucarest pour l’adhésion d’Ankara à l’Union européenne.»

Manifestation contre la construction d'une mosquée à Bucarest. Le Premier ministre roumain Victor Ponta cristallise les passions. (AFP PHOTO DANIEL )

Le pari du président turc à Bucarest
Pour le chercheur roumain Radu Carp, repris par VoxEurop, «Recep Tayyip Erdogan, adepte depuis toujours d’un islamisme éclairé, n’a pas pu mettre en œuvre ses idées tant qu’il n’avait pas le pouvoir. Maintenant, il a réalisé qu’en finançant les activités religieuses de la diaspora turque, il peut gagner un pari important. Il a également réalisé que les protestations contre ses plans seront faibles, car, au nom de la tolérance et de liberté religieuse, tout lui sera permis.»
 
Et Radu Carp d’ajouter que «la Turquie semble parvenir à planter ses pions en Roumanie, alors que le reste de l’Union européenne s'oppose à ses projets d’expansion religieuse : le projet de mosquée à Cologne a été approuvé avec difficultés et l’Autriche fait obstacle en adoptant une loi limitant l’aide d’un Etat à un culte musulman à une seule occurrence, et ne permet pas un financement continu.»
 
En Hongrie, le double langage d’Orban …
Alors que le Premier ministre hongrois Viktor Orban déplore «l’arrivée massive de migrants issus de pays musulmans, qu’il désigne comme une invasion de grande ampleur menaçant l’Europe chrétienne», selon Hulala qui reprend la Libre Belgique du 9 août 2015, les relations entre «les nationalistes-conservateurs au pouvoir à Budapest et Ankara» se portent pourtant très bien. Et pour cause, les deux leaders, turc et hongrois, «bâtissent leur pouvoir sur le nationalisme, sur la personnalité d’un leader proche du peuple et sur un discours d’indépendance par rapport à l’Ouest.»
 
Entendre : si le parti Fidesz d’Orban au pouvoir assimile l’arrivée de migrants à l’invasion ottomane (16e siècle) sur fond de relents islamophobes, il a une vision très pragmatique des relations avec Ankara, selon Emel Akcali, chercheuse turque en sciences politiques à l’Université d’Europe centrale : «Il y a une sorte de relation positive héritée du passé et, contrairement à ce que l’on observe en Europe de l’Ouest, la population hongroise a une image positive de la Turquie et la Hongrie est très favorable à son entrée dans l’Union européenne.»
 
De même, le gouvernement hongrois voit positivement l’émergence économique turque qui ouvre des perspectives pour son pays. Lesquelles l’aideraient à réduire sa dépendance aux pays de l’UE. Ainsi, depuis 2010 et l’arrivée du Fidesz au pouvoir en Hongrie, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays ont crû de 40%.

Le président turc Erdogan (il était Premier ministre à l'époque de la photo) et le Premier ministre hongrois Orban, lors d'une rencontre officielle à Budapest, le 5 février 2013. (AFP PHOTO / ATTILA KISBENEDEK)
 
Quid des projets ?
Pour éviter que les esprits s’échauffent et préparer la population à se faire une raison, le gouvernement roumain a repoussé la date de construction des édifices religieux de trois ans. En Hongrie, pas de report des travaux mais un autre projet : un lieu de prière à Debrecen, selon le site Hongrie Actuelle qui présente les plans du premier projet.
 
De quoi alimenter les polémiques dans ces deux pays d’Europe de l’Est… 

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