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Wolfgang Schäuble : le père Fouettard de la politique européenne

En Grèce, on le qualifie parfois de «nazi» pour son intransigeance. Très populaire dans son pays, l’Allemagne, il y est très souvent vu comme un héros qui sait défendre l’argent du contribuable. Lui, c’est Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, l’un des principaux acteurs de la négociation entre la Grèce et ses créanciers. Portrait.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'austère ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, à Bruxelles le 13 juillet 2015 (AFP - Thierry Charlier)

Le 12 juillet 2015, le journal grec Avgi, proche du parti du Premier ministre Alexis Tsipras, publiait une caricature représentant Wolfgang Schäuble en uniforme de la Wehrmacht. Dans cette caricature, le personnage se targue de vouloir faire «du savon avec le gras des Grecs», allusion plus que douteuse au fait que les nazis ont fabriqué du savon à partir des cadavres des déportés. Ce dessin est «abject» et son auteur «devrait avoir honte», a commenté le porte-parole de Wolfgang Schäuble. Une affaire révélatrice des profonds clivages que suscite en Europe l’attitude du ministre allemand des Finances.

Wolfgang Schäuble en uniforme d'officier de la Wehrmacht caricaturé par le journal grec Avgi (DR (capture d'écran))

Pour beaucoup d'Européens, ce Rhénan conservateur de 72 ans, doyen et pilier du gouvernement d'Angela Merkel, est une figure honnie. Lors de la campagne électorale du référendum en Grèce, son visage aux lèvres pincées ornait les panneaux appelant les Grecs à voter non à l'austérité le 5 juillet. Un concept étroitement associé à son patronyme. 

Le ministre des Finances allemand est «la principale menace pour l'Europe», commentait le 13 juillet le journal portugais Publico. Sa proposition d'un «Grexit temporaire», en particulier, lui a valu d'acerbes critiques. L'ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis l'a ainsi accusé ainsi d'avoir délibérément «mené l'Europe dans l'impasse». Un comble pour celui qui est décrit comme profondément pro-européen. Mais qui n’entend dévier en aucun cas des règles financières de l’UE.
                
L’homme est né en 1942 à Fribourg-en-Brisgau, près de la frontière française. C’est aujourd’hui l'une des rares personnalités politiques allemandes à avoir (un peu) connu la guerre, ne serait-ce qu'enfant. C'est à partir de là que s’est ancrée la conviction européenne de ce juriste qui rêve à haute voix d'une Europe fédérale. Depuis 2010, il a œuvré sans relâche à maintenir l'intégrité de la zone euro, malgré une santé fragile. Celle-ci est la conséquence d’un attentat perpétré lors d’une réunion électorale par un déséquilibré. Attentat qui le cloue dans un fauteuil roulant depuis 1990.
              
«Impitoyable» ou «psychorigide»?
Wolfgang Schäuble l'a redit le 17 juillet : l'intégration européenne a été le «credo» de toute sa vie. Mais ce credo-là est du ressort «du cœur». Car en face, il y a «la tête» qui impose «de voir ce qui fonctionne». Sous-entendu, pour ce juriste, ce qui est conforme aux règles. C'est là qu'il se distingue de sa patronne Angela Merkel, plus pragmatique. 
 
Wolfgang Schäuble et Angela Merkel au Bundestag le 17 juillet 2015 (AFP - Reynaldo Paganelli/NurPhoto)

Décrit comme «impitoyable» dans sa gestion des deniers publics allemands, il a posé des conditions strictes aux aides dont son pays est le plus gros contributeur. Les Allemands lui en savent gré : début juillet, sa popularité a atteint un record, avec 72% de satisfaits.
 
Obstiné et belliqueux, le ministre ne mâche pas ses mots. Le 12 juillet 2015, au patron de la BCE Mario Draghi qui lui rappelle un détail de la dette grecque, il lui envoie dans les dents : «Je ne suis pas stupide» («Bin doch nicht blöd !»).

Ces derniers mois, sa rectitude a semblé se muer en une croisade personnelle contre les dirigeants grecs, dont thèses et style politique si différents des siens l'ont rapidement excédé. Ce qui lui valu, le 18 juillet, une cinglante attaque de l’ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn. A ses yeux, les créanciers de la Grèce ont voulu «saisir l’occasion d’une victoire idéologique sur un gouvernement d’extrême gauche au prix d’une fragmentation de l’Union».

Les semaines récentes ont vu le visage de Wolfgang Schäuble se renfrogner toujours un peu plus, ses lèvres réduites à un trait. Sans sourciller, il a endossé l'habit de père Fouettard de la zone euro, rappelant sans cesse les uns et les autres à leurs devoirs. Une attitude qui lui vaut d’être qualifiée de «psychorigide» par ses adversaires.
              
Son biographe Peter Schütz dit de lui qu’il est l'homme «le plus direct» qu'il connaisse. Un homme qui va droit au but. Dans une récente interview au Spiegel, il explique, parlant de lui, que rien ne peut contraindre un homme politique à agir contre ses convictions. «Si quelqu’un essayait, il ne me restait plus qu’à aller voir le président fédéral et demander qu’on me renvoie», affirme-t-il. L’allusion à une éventuelle démission est transparente. Faut-il y voir un moyen de pression face à la chancelière Angela Merkel et à ceux, en Allemagne, qui seraient tentés de lâcher du lest face à la Grèce?

Wolfgang Schäuble tirant la langue à son collègue finlandais, Alexander Stubb, à Bruxelles le 13 juillet 2015. L'austère est capable de se marrer... (AFP - DURSUN AYDEMIR / ANADOLU AGENCY)

«Schäuble est notre héros»
Il faut dire qu’aujourd’hui, il n’a plus rien à perdre. Outre qu’il est l’un des hommes politiques les plus populaires Outre-Rhin, il est aussi l’un des plus expérimentés. Comme le dit le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung, «il a presque tout réussi dans sa vie politique». Député depuis 1972, il a été cinq fois ministre, entre autres, de l’Intérieur. Notamment sous le chancelier Helmut Kohl pour qui il a négocié l’unité allemande (en 1990). Il fut même, un temps, pressenti pout lui succéder.

Cette longue carrière et son handicap ont forgé sa carapace et sa ténacité. Lui dit être monté au front pour les intérêts allemands. Mais aussi au nom des petits pays qui sont entrés, ou restés, dans l'euro au prix de lourds sacrifices - le Portugal, les pays baltes. «Schäuble est notre héros», confiait-il y a peu une source diplomatique balte citée par l’AFP.

L’ancien grand argentier grec Yanis Varoufakis a décrit un Eurogroupe, le cénacle des ministres des Finances de la zone euro, à la botte du Rhénan. C'est ce dernier qui fait le plus activement barrage à un allègement significatif de la dette grecque, pourtant appelé de ses vœux même par le Fonds monétaire international (FMI). Alors que la directrice générale du Fonds, Christine Lagarde, est réputée très proche du ministre.

Wolfgang Schäuble et Christine Lagarde à Bruxelles le 20 février 2015 (AFP - WIKTOR DABKOWSKI / PICTURE-ALLIANCE)

Peu peuvent en dire autant. Il faut dire que la carrière politique de Wolfgang Schäuble est une longue histoire de confiance trahie, d'abord par son mentor Helmut Kohl, auquel finalement il n'a jamais succédé. Son nom a ensuite circulé pour la présidence de la République. Mais Angela Merkel en a préféré un autre.

Rien de cela n'a entamé sa loyauté, envers Helmut Kohl d'abord, Angela Merkel ensuite. Certains, comme son biographe, voient dans cette fidélité sans faille le trait caractéristique de «l'homme de devoir protestant» qu'est Wolfgang Schäuble, profondément croyant. Peut-on alors voir, dans son attitude vis-à-vis de la Grèce, une volonté morale de sanctionner un «pécheur» (au sens religieux du terme), comme le pensent certains ?

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