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Le gouvernement allemand qui revisite la pauvreté

Selon le journal de centre-gauche «Süddeutsche Zeitung», les autorités d’outre-Rhin ont réécrit un rapport critique sur la pauvreté en Allemagne. Voilà qui pourrait causer quelques problèmes à la chancelière Angela Merkel…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un mendiant assis dans le centre de Berlin le 1er septembre 2010. (AFP - JOHANNES EISELE)

En septembre 2012, les services de la ministre du Travail, Ursula von der Leyen, qui appartient au Parti chrétien-démocrate d’Angela Merkel, élaborent un projet de rapport sur «la pauvreté et la richesse», document publié tous les quatre ans. La répartition de la richesse et des revenus y est décrite «sans fard», rapporte la Süddeutsche. Une telle franchise avait alors surpris les observateurs.

Mais dans la version définitive que s’est procurée le journal de Munich, l’un des grands quotidiens du pays, les éléments critiques ont disparu. Comme il se doit, le projet a été distribué à tous les ministères. Au cours de cette navette, Philip Rösler, ministre de l’Economie et numéro 2 du gouvernement, par ailleurs chef du Parti libéral FDP, aurait fait savoir que le document ne reflétait pas «l’opinion du gouvernement fédéral». Il a donc été «retouché», sans pour autant être «falsifié», précise la Süddeutsche.

Morceaux choisis
Il s’agit pour autant de « retouches » de taille qui change profondément le sens du document… Et dont voici quelques extraits choisis, publiés par le quotidien.

«Alors que les hauts salaires ont évolué de façon positive, les plus bas salaires ont baissé au cours des dix dernières années», observaient ainsi les auteurs du pré-rapport. Une telle situation blesse «le sentiment de justice de la population» et risque «de mettre en péril la cohésion sociale», ajoutaient-ils. Des phrases critiques qui ont disparu dans la moulinette…

Le ministre de l'Economie et numéro deux du gouvernement fédéral, Philipp Rösler, par ailleurs chef de file des libéraux, le 14 décembre au siège de son parti à Berlin le 14 décembre 2011. (AFP - STEPHANIE PILICK)

Dans la nouvelle version, on explique que la baisse des salaires réels pour les personnes à faibles revenus est «l’expression d’améliorations structurelles» du marché du travail. Motif invoqué par les «retoucheurs»: entre 2007 et 2010, de nouveaux emplois à plein temps ont été créés au bas de l’échelle sociale, ce qui a permis à des chômeurs de trouver un emploi.

Dans le même temps, la nouvelle version ne fait plus état du fait qu’«en Allemagne, en 2010, un peu plus de 4 millions de personnes travaillaient pour un salaire horaire brut de moins de 7 euros». Elle a aussi supprimé un passage de la première mouture selon lequel un tel salaire horaire pour un travail à plein temps ne suffit pas à assurer une vie décente aux personnes seules.

D’une manière générale, la première version insiste aussi dès son introduction sur le fait que «le patrimoine privé en Allemagne est très inégalement réparti»: les 10% de citoyens les plus riches en possèdent plus de la moitié, alors que les ménages les plus modestes n’en disposent que 1%. Autant d’éléments passés à la trappe.

Quelles conséquences politiques ?
L’opposition sociale-démocrate (SPD) voit dans le «lissage» du projet de rapport un «rapport faussé à la réalité» alors que les verts n’hésitent pas à parler de «falsifications pour manipuler l’opinion publique».

Au vu de ces critiques cinglantes, on peut se demander quel intérêt il pouvait y avoir à «embellir» le document initial. Selon la Süddeutsche Zeitung, les libéraux auraient surtout été gênés par l’assertion que la fracture sociale serait en train de grandir. Dans ce contexte, les services du ministre Philip Rösler craindraient qu’une augmentation des dépenses sociales pour remédier à un tel problème, entraîne une hausse des impôts.

La chancelier allemand, Angela Merkel, examine des cellules souche dans un microscope dans un établissement médical de Hanovre le 27 novembre 2012. (AFP - NIGEL TREBLIN)
 
La chancelière chrétienne-démocrate (CDU), Angela Merkel, aurait elle-même pris ses distances avec l’analyse des services du ministère du Travail. Un portefeuille pourtant occupé par l’une de ses camarades de parti.

Comme le gouvernement est une coalition FDP-CDU-CSU (branche bavaroise de la CDU), on peut supposer que la chancelière n’a pas voulu fâcher les libéraux dont elle a besoin pour pouvoir continuer à gouverner après les prochaines élections générales, prévues en 2013. Le FDP est actuellement mal en point : évincé de six parlements régionaux (Landtage) depuis 2009, il se bat pour sa survie.
 
Mais le parti pourrait laisser des plumes dans l’affaire. Philipp Rösler est actuellement en campagne pour les élections (prévues en janvier) dans le Land de Basse-Saxe. Très bas dans les enquêtes d’opinion, «il ne peut vraiment pas se permettre d’apparaître comme un enjoliveur de sang-froid», constate la Süddeutsche. Et une nouvelle défaite du FDP serait un bien mauvais signe pour la coalition…

Pour l’instant, aucune date n’a été fixée pour la publication du rapport final. Celui-ci doit être d’abord approuvé en conseil des ministres. La réécriture de parties du texte est «un processus tout à fait normal», a estimé le porte-parole du gouvernement fédéral. Il a affirmé que la version définitive donnerait une image «réaliste» des problèmes.

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