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L'Allemagne fera-t-elle face aux réfugiés? Réponse de l'économiste Joël Oudinet
Le gouvernement allemand a prévu d’accueillir quelque 800.000 réfugiés en 2015. L’économie du pays est prospère, avec un taux de chômage de 4,7% et un excédent budgétaire de 16,1 milliards d’euros. Est-elle toutefois en mesure de faire face? La réponse de Joël Oudinet, maître de conférences à l’UFR de sciences économiques de l’université Paris XIII et chercheur au CNRS.
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Le patronat allemand n’hésite pas à affirmer que le pays a besoin de main d’œuvre étrangère. Qu’en est-il exactement ?
Comparé à la France, le taux de fécondité allemand, qui tourne autour de 1,4, est très faible et ne suffit pas à renouveler les générations. Selon des projections réalisées par l’Institut allemand des statistiques, la population du pays pourrait passer, d'ici 2060, à 67 millions de personnes (contre 80 aujourd’hui) sans immigration. Dans le même temps, la proportion des 65 ans pourrait atteindre le tiers de la population, ce qui posera un vrai problème pour les retraites.
Si le solde migratoire atteint 230.000 par an, la baisse devrait être limitée à 73 millions de personnes. Le pays a donc un vrai besoin en matière d’immigration.
Les réfugiés peuvent-ils effectivement contribuer à combler les lacunes de main d’œuvre ? En la matière, les arguments des uns et des autres sont très contradictoires. Nombre d’Allemands expliquent que les Syriens et les Afghans sont très qualifiés. Alors que le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière, parle de «15 à 20% d’adultes analphabètes». Qui croire ?
De fait, il y a les deux extrêmes. Les chiffres que vous citez ne sont pas forcément faux. Les personnes concernées sont peut-être même plus nombreuses que ce que dit le ministre !
Mais je pense qu’il faut aller plus loin. On trouve effectivement des gens sans qualification, ce qui, au départ, représente un coût pour le pays d’accueil. C’est vrai qu’il va falloir créer des structures d’accueil, des écoles, des emplois d’enseignants… Mais c’est un investissement qui rapporte. Et qui va contribuer à améliorer la productivité du pays.
En général, on attribue la réussite économique de l’Allemagne à sa compétitivité, à la flexibilité de ses entreprises. Mais cette réussite est également liée à l’arrivée des immigrés. Les chefs d’entreprise y trouvent leur intérêt. Ces immigrés, qui ont souvent risqué leur vie pour venir, se donnent à fond dans leur travail, apportent avec eux d’autres approches, d’autres méthodes de travail.
De plus, l’immigration crée une demande, qui va contribuer à créer des emplois. D’autant plus quand les étrangers viennent avec leurs familles.
Et que penser des chiffres contradictoires sur le coût pour l’Allemagne de cette immigration?
Au final, l’immigration a peu d’incidence sur les finances publiques. Au contraire, en 2000, on estimait que l’immigration avait un impact positif de 1% sur le PIB allemand. Cet impact positif vaut d’ailleurs pour tous les pays : d’après toutes les études sérieuses prenant en compte tous les postes, cet impact va de +0,2 à +1% selon les pays.
Que pensez-vous du jugement de l’hebdomadaire «Die Zeit» : «Une expérience a commencé. Elle va modifier plus profondément l’Allemagne que la réunification. Devant nous, c’est l’inconnu» ?
L’inconnu ? Ce n’est pas si sûr. Au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, l’Allemagne a eu à gérer 1,5 million d’arrivées, venues notamment des pays de l’Est. Il faut voir que sur ce nombre, 720.000 personnes sont reparties. Cela est lié à la structure de l’immigration en Allemagne qui ne vient pas d’anciens pays colonisés.
Aujourd’hui, beaucoup d’étrangers qui viennent y travailler, en dehors des Turcs, sont Européens : Polonais, Russes... Dès qu’il n’y a plus d’emplois pour eux, ils s’en vont. Ainsi, au moment de la crise économique de 2008, le solde migratoire est devenu négatif. La situation est différente en France où les migrants sans papiers, venus de loin, ont beaucoup de difficultés à venir, donc à repartir.
Alors c’est vrai, les chiffres qu’on avance pour l’arrivée de réfugiés en 2015 en Allemagne semblent énormes : de 700.000 à 800.000 réfugiés. Et encore, ce chiffre ne tient pas compte des migrants européens qui continuent à venir : en tout, ce sont peut-être 1,5 millions de personnes qui vont arriver ! Mais il faut voir que les Allemands sont habitués à gérer de tels flux qui sont répartis dans chacun des Länder. Au contraire de la France où les étrangers sont surtout concentrés dans quelques régions : Ile-de-France, Lyon, Marseille…
L’intégration des réfugiés peut effectivement constituer un choc. Mais pour autant, l’islam n’est pas un inconnu outre-Rhin. Les musulmans constituent déjà la première minorité religieuse du pays : en 2010, on estimait qu’ils étaient 4,7 millions, soit 5,8 % de la population globale.
Comparé à la France, le taux de fécondité allemand, qui tourne autour de 1,4, est très faible et ne suffit pas à renouveler les générations. Selon des projections réalisées par l’Institut allemand des statistiques, la population du pays pourrait passer, d'ici 2060, à 67 millions de personnes (contre 80 aujourd’hui) sans immigration. Dans le même temps, la proportion des 65 ans pourrait atteindre le tiers de la population, ce qui posera un vrai problème pour les retraites.
Si le solde migratoire atteint 230.000 par an, la baisse devrait être limitée à 73 millions de personnes. Le pays a donc un vrai besoin en matière d’immigration.
Les réfugiés peuvent-ils effectivement contribuer à combler les lacunes de main d’œuvre ? En la matière, les arguments des uns et des autres sont très contradictoires. Nombre d’Allemands expliquent que les Syriens et les Afghans sont très qualifiés. Alors que le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière, parle de «15 à 20% d’adultes analphabètes». Qui croire ?
De fait, il y a les deux extrêmes. Les chiffres que vous citez ne sont pas forcément faux. Les personnes concernées sont peut-être même plus nombreuses que ce que dit le ministre !
Mais je pense qu’il faut aller plus loin. On trouve effectivement des gens sans qualification, ce qui, au départ, représente un coût pour le pays d’accueil. C’est vrai qu’il va falloir créer des structures d’accueil, des écoles, des emplois d’enseignants… Mais c’est un investissement qui rapporte. Et qui va contribuer à améliorer la productivité du pays.
En général, on attribue la réussite économique de l’Allemagne à sa compétitivité, à la flexibilité de ses entreprises. Mais cette réussite est également liée à l’arrivée des immigrés. Les chefs d’entreprise y trouvent leur intérêt. Ces immigrés, qui ont souvent risqué leur vie pour venir, se donnent à fond dans leur travail, apportent avec eux d’autres approches, d’autres méthodes de travail.
De plus, l’immigration crée une demande, qui va contribuer à créer des emplois. D’autant plus quand les étrangers viennent avec leurs familles.
Et que penser des chiffres contradictoires sur le coût pour l’Allemagne de cette immigration?
Au final, l’immigration a peu d’incidence sur les finances publiques. Au contraire, en 2000, on estimait que l’immigration avait un impact positif de 1% sur le PIB allemand. Cet impact positif vaut d’ailleurs pour tous les pays : d’après toutes les études sérieuses prenant en compte tous les postes, cet impact va de +0,2 à +1% selon les pays.
Que pensez-vous du jugement de l’hebdomadaire «Die Zeit» : «Une expérience a commencé. Elle va modifier plus profondément l’Allemagne que la réunification. Devant nous, c’est l’inconnu» ?
L’inconnu ? Ce n’est pas si sûr. Au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, l’Allemagne a eu à gérer 1,5 million d’arrivées, venues notamment des pays de l’Est. Il faut voir que sur ce nombre, 720.000 personnes sont reparties. Cela est lié à la structure de l’immigration en Allemagne qui ne vient pas d’anciens pays colonisés.
Aujourd’hui, beaucoup d’étrangers qui viennent y travailler, en dehors des Turcs, sont Européens : Polonais, Russes... Dès qu’il n’y a plus d’emplois pour eux, ils s’en vont. Ainsi, au moment de la crise économique de 2008, le solde migratoire est devenu négatif. La situation est différente en France où les migrants sans papiers, venus de loin, ont beaucoup de difficultés à venir, donc à repartir.
Alors c’est vrai, les chiffres qu’on avance pour l’arrivée de réfugiés en 2015 en Allemagne semblent énormes : de 700.000 à 800.000 réfugiés. Et encore, ce chiffre ne tient pas compte des migrants européens qui continuent à venir : en tout, ce sont peut-être 1,5 millions de personnes qui vont arriver ! Mais il faut voir que les Allemands sont habitués à gérer de tels flux qui sont répartis dans chacun des Länder. Au contraire de la France où les étrangers sont surtout concentrés dans quelques régions : Ile-de-France, Lyon, Marseille…
L’intégration des réfugiés peut effectivement constituer un choc. Mais pour autant, l’islam n’est pas un inconnu outre-Rhin. Les musulmans constituent déjà la première minorité religieuse du pays : en 2010, on estimait qu’ils étaient 4,7 millions, soit 5,8 % de la population globale.
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