Günter Grass: de la Waffen-SS au prix Nobel de littérature
En 1944, alors qu’approche la fin de la guerre, Günter Grass, né en 1927, a 17 ans. Il sert d’abord comme auxiliaire de la défense aérienne (Flak) avant d’être enrôlé dans une unité militaire. Du moins c’est que l’on a cru jusqu’en août 2006 lorsque que paraît son interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung, à l’occasion de la publication d’un livre autobiographique, Pelures d’oignons (Beim Häuten der Zwiebeln).
Il y reconnaît alors qu’après la défense aérienne, il avait en fait été muté en octobre 1944 dans la division Frundsberg à la Waffen-SS. Certains historiens ont effectivement confirmé que des enrôlements obligatoires dans la troupe d’élite du régime nazi, dont les membres étaient en principe recrutés sur des critères raciaux, sont devenus la norme à partir de 1942.
Selon ses propres mots, l’écrivain n’a pas tiré une seule fois au cours de cette expérience militaire. En clair, il n’a pas participé à des crimes de guerre. Mais pourquoi lui a-t-il alors fallu 64 ans pour l’évoquer publiquement ? «Cela m’a oppressé. Mon silence au cours de toutes ces années fait partie des raisons qui m’ont poussé à écrire ce livre. Cela devait sortir, enfin…», raconte-t-il dans son interview au quotidien allemand.
Günter Grass reconnaît qu’il a été volontaire pour rejoindre l’armée, la Wehrmacht, à 15 ans pour «sortir de l’étroitesse d’un milieu étroit, quitter ma famille». «Ensuite, j’ai oublié ce fait. Cela est arrivé à beaucoup d’hommes de ma génération. Nous étions au service du travail obligatoire et tout d’un coup, un an plus tard, l’ordre de mobilisation est arrivé. Et après, j’ai réalisé que j’étais dans la Waffen-SS.»
Une explication un peu courte ? Dans une autre interview, donnée en 2014 à Die Zeit, il expliquait qu’il ne se sentait pas franchement «coupable» mais plutôt «responsable» de ne pas en avoir parlé plus tôt. Il se sentait alors davantage coupable de ne pas avoir, pendant la guerre, posé de questions sur des personnes de son entourage qui disparaissaient. Et qui avaient en fait été déportées.
«Voiture d’occasion»
Sa confession a suscité des réactions passionnées et passionnelles en Allemagne comme à l’étranger en raison de la stature de l’écrivain. Mais aussi de ses prises de position et de ses jugements de valeur qui ont fait de lui une sorte de caution morale. Il avait en effet souvent renvoyé l’Allemagne à son passé nazi, et pourfendu les omissions des dirigeants d’après-guerre sur le national-socialisme. A ses yeux, l’Allemagne ne serait jamais un pays «normal».
Une polémique judiciaire l’oppose à son biographe Michael Jürg. Le responsable CDU (droite) Wolfgang Börnsen exige que Grass rende son prix Nobel. «Je n’achèterais même pas une voiture d’occasion à cet homme», dit l’écrivain et historien Joachim Fest.
Mais d’autres intellectuels prennent sa défense. A commencer par le Britannique Salman Rushdie. A ses yeux, les révélations sur Günter Grass «ne changent rien» à la valeur de son travail et son passé de SS était une «erreur de jeunesse».
Le mot de la fin revient peut-être au fondateur du syndicat polonais Solidarité et ancien président polonais, Lech Walesa. En 2006, celui-ci demande au Nobel de renoncer à son titre de citoyen d’honneur de la ville de Danzig, aujourd’hui en Pologne et où l’écrivain était né. Mais à l’annonce de sa mort, Walesa explique qu’il aurait été préférable, «y compris pour lui-même, si nous avions appris plus tôt» son séjour dans la SS. Tout en ajoutant qu’il ne lui «en voulait pas car toute cette génération était mouillée».
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