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Fritz Bauer, le héros méconnu du film allemand «le labyrinthe du silence»
Le film allemand «le labyrinthe du silence», qui vient de sortir sur les écrans français, retrace l'histoire du premier procès mené par l’Allemagne de l’après-guerre contre des criminels nazis. Dans ce film apparaît la figure du procureur Fritz Bauer, à l'origine de cette enquête dans une Allemagne qui ne voulait pas revenir sur son noir passé. Portrait.
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Le 20 décembre 1963 s’ouvrait à Francfort (en Allemagne) «le procès d’Auschwitz». 18 ans après la fin de la guerre, 211 survivants du camp de concentration d’Auschwitz témoignaient contre 22 accusés responsables à des degrés divers de l'assassinat de centaines de milliers de victimes du IIIe Reich. Pour la première fois, des Allemands allaient juger des Allemands pour les crimes nazis.
C'est l'histoire de ce procès que raconte le film Le labyrinthe du silence. En arrière plan du film et à l'origine de ce procès exceptionnel (quelque 20.000 personnes y assistèrent), qui fut un choc pour l'Allemagne du très conservateur chancelier Adenauer, un procureur à la personnalité unique, Fritz Bauer.
Fritz Bauer est né en 1903 à Stuttgart dans une famille juive allemande. Il a fait des études de droit avant de devenir magistrat. Dans l’Allemagne de l’après-Première guerre mondiale, il s’engage dans le parti social-démocrate.
Déporté par les nazis
A l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, il fait une cible parfaite: juif et socialiste... Après avoir été arrêté, placé un temps en camp, et exclu de la fonction publique, il s’exile au Danemark, puis fuyant l’avancée des troupes nazies, il part en Suède, pays neutre.
En Suède, il travaille avec un certain Willy Brandt, un autre socialiste qui a fui l’Allemagne et qui deviendra par la suite chancelier (1969-1974). La guerre finie, il revient en Allemagne et reprend un poste dans la magistrature, après la naissance de la RFA.
En 1952, en tant que juriste, il se bat pour défendre les droits des opposants au nazisme. En 1956, il prend le poste de procureur général du land de Hesse, à Francfort. Poste qu’il occupera jusqu’en 1968. C’est dans le cadre de ses fonctions qu’il devient un personnage historique.
Il est en effet l’homme qui oblige les Allemands de l'après-guerre à regarder leur passé. C’est sous son autorité que sera monté ce que le journal allemand Süddeutsche Zeitung considère toujours comme le «plus grand procès pénal de l’histoire judiciaire allemande». Procès que les Allemands appellent «le procès d’Auschwitz».
Arrestation d'Eichmann
Une tâche difficile pour cet homme épris de justice. Ses origines juives ne l'aidaient pas. Il ne voulait pas que le procès puisse avoir une connotation personnelle. Il ne voulait pas la vengeance mais la justice. Son combat: que l'Allemagne puisse regarder son passé.
Lors du processus judiciaire, pour ne pas être accusé de partialité et rendre l’accusation plus forte, il confie le dossier à une équipe de jeunes procureurs (celle que l'on voit dans le film) qui devant l'horreur des découvertes (le génocide des Juifs par le régime nazi était à l'époque beaucoup moins documenté qu'aujourd'hui) se mobilisent totalement.
Preuve de la méfiance que Bauer avait envers la hiérarchie allemande de l'époque, toujours perméable aux anciens nazis, il a préféré donner ses informations sur le lieu de résidence d’Adolph Eichmann, le «comptable de la solution finale», au Mossad israélien. Résultat, Eichmann sera enlevé en Argentine par les Israéliens, jugé, condamné et exécuté en Israël.
Il faut bien sûr replacer ce procès dans le contexte de l’époque. La guerre est terminée depuis une quinzaine d’années. La priorité est à la reconstruction et les nouveaux méchants sont les communistes. La Guerre froide domine l’actualité et personne ne veut revenir sur le passé. De plus, les anciens nazis bénéficiaient de protections et de soutiens dans l’Etat allemand et passaient facilement entre les mailles du filet.
Mort mystérieuse du «héros allemand»
Le procès a changé l’Allemagne. Quelque 20.000 personnes ont assisté à des audiences. C’est à partir de là que les jeunes Allemands ont pu demander à leurs parents ce qu’ils avaient fait pendant la guerre. Fritz Bauer a sans doute été le procureur le plus marquant que la République fédérale allemande ait jamais eu.
Celui que le Süddeusche Zeitung a appelé «un héros allemand» et Die Welt le «père fondateur de la République fédérale» pour son action a été retrouvé mort dans son appartement le 30 juin 1968. Il était en pleine préparation d’un nouveau procès contre les crimes d’euthanasie de l’époque nationale socialiste. Au point de susciter des interrogations sur les causes de sa mort.
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