Allemagne: les points faibles d'une super puissance économique
Croissance, emploi, déficits, balance commerciale... L'Allemagne ne semble pas connaître la crise et le pays est regardé avec jalousie par tous les autres pays européens.
Pourtant, un certain nombre d’indices montrent que l’économie allemande subit elle aussi la récession européenne. Sans compter que sur un plan politique, elle est de plus en plus isolée face aux pays qui réclament une politique économique moins restrictive, comme les débats pendant la campagne électorale française (et plus récemment aux Pays-Bas) l'ont prouvé.
Les signes de faiblesse
Derrière les chiffres globalement bons, les économistes insistent sur les quatre risques qui pèsent sur l'économie allemande: le recul de la production, une fragilité du système bancaire, la part trop faible de la consommation intérieure dans la richesse nationale et, surtout, le déficit démographique.
-Croissance
Des signes montrent que l'Allemagne est, elle aussi, touchée par la récession qui frappe l'Europe. Selon l’OCDE, l'économie allemande pourrait se contracter de 0,5% en taux annuel au troisième trimestre et de 0,8% au quatrième.
«La croissance s’est essoufflée au second semestre de 2011 et l’économie traverse un passage à vide, qui se traduit par de lourdes menaces d’évolution à la baisse de l’activité », note l’OCDE qui ajoute : «Ce repli de l’activité est accentué par le net ralentissement de l’expansion des échanges mondiaux et une perte de confiance due à la crise de la dette dans la zone euro.»
Ces menaces sur la croissance se voient dans l'automobile, un secteur clef de l'économie d'outre-Rhin. Les ventes de voitures neuves en Allemagne ont baissé en août, pour le deuxième mois consécutif, reculant de 5%. Vu le contexte économique européen, "nous nous attendons à davantage de vents contraires pour le reste de l'année. Nos fabricants et sous-traitants mettent en place des mesures de flexibilité et peuvent réagir en conséquence», ont commenté les constructeurs.
Autre exemple, un grand groupe comme Siemens a indiqué, en juillet, qu'en raison de la dégradation conjoncturelle, il lui sera difficile d'atteindre ses objectifs pour 2012.
-Système bancaire
Au niveau européen, l’Allemagne est aussi le pays qui est le plus exposé à une crise des dettes... dans les autres pays. L'Allemagne est en effet engagée à hauteur de 350 milliards d'euros via les prêts accordés aux quatre pays sous perfusion (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne) et via ses participations auprès des pare-feu européens (les fonds de secours créés par l'Europe), rappelait l'Expansion. La menace est certes théorique, mais si tous les Etats en difficulté faisaient faillite, le pays perdrait l'équivalent de 12% à 14% de son produit intérieur brut (PIB). De quoi faire exploser une dette qui atteint déjà plus de 80% de son PIB (la France est à 85%).
Prenant en compte ce risque, l'agence Moody's avait indiqué au cours de l'été 2012 qu'elle placait sous surveillance le triple A allemand, en raison de la crise des dettes souveraines en Europe. Moody's s'inquiète surtout de la «probabilité de plus en plus forte» que l'UE soit contrainte d'aider à nouveau d'autres Etats de la zone euro et que ce «fardeau» pèse avant tout sur ses pays les plus solides.
Il faut ajouter à cela que le système bancaire est souvent critiqué pour un certain conservatisme. «Le système bancaire allemand est confronté à une nécessaire restructuration d’ensemble», pouvait-on lire dans Les Echos.
-Consommation intérieure
Si la France regarde les chiffres du commerce extérieur allemand avec envie et jalousie, les organismes économiques internationaux pointent du doigt le trop grand déséquilibre de l'économie allemande et sa trop grande dépendance aux marches internationaux, au détriment de sa consommation intérieure. Il faut dire qu'avec des exportations passant pour la première fois la barre des 1.000 milliards d'euros, l'Allemagne a confirmé sa place de puissance économique incontournable.
L’Allemagne exporte 40% de sa production industrielle vers l’Europe. Conséquence: le ralentissement de la croissance dans la zone europe pèse directement sur l'industrie allemande. Mais cette inquiétude est en partie masquée par le poids des exportations vers les pays dits émergents, qui peuvent aussi connaître une récession qui serait dangereuse pour l'Allemagne. Ainsi, la moitié de toutes les exportations de l'UE vers la Chine proviennent d'Allemagne.
L’OCDE pointe d’ailleurs le risque pour l’Allemagne de cette dépendance aux marchés étrangers. L’organisation appelle l’Allemagne à « stimuler sa demande intérieure » en procédant à des réformes qui doivent permettre «d’améliorer les conditions générales de l’investissement et de l’innovation au niveau national en intensifiant la concurrence ». Pour l'OCDE « ces réformes contribueraient aussi à réduire l’excédent structurellement important de la balance courante et, ainsi, à atténuer les déséquilibres mondiaux, au profit tant de l’Allemagne que d’autres pays.»
Démographie
L'Allemagne vieillit. Sa population totale a reculé pendant huit ans, avant de progresser de 50.000 personnes en 2011 sous l'effet de l'immigration en provenance de l'Union européenne et des pays de l'Est. Malgré cette année d'exception, l'OCDE prévoit une baisse continue de la population active à long terme à partir de 2013.
Le taux de fécondité reste extrêmement faible et l'office fédéral des statistiques prévoit dans ses études une baisse de population. D'après certaines études, la France devrait compter plus d'habitants que l'Allemagne d'ici le milieu du siècle.
Conséquence, la France pourrait passer devant l'Allemagne en terme de puissance économique vers 2050. Par ailleurs, cette question démographique risque de créer des difficultés de financement du système de retraite et peut expliquer une partie de la fermeté allemande dans les discussions sur la rigueur à appliquer en Europe.
Des chiffres à rendre jaloux
Ce sombre tableau ne doit pas cacher les succès de l'économie allemande. Première puissance européenne, quatrième puissance économique mondiale, premier ou deuxième exportateur mondial.
Avec un taux de chômage de moitié de celui de la moyenne européenne (5,4% contre 10,3% en avril 2012), une activité économique soutenue et une compétitivité internationale reconnue, Berlin peut se targuer d'une incontestable réussite. L’Allemagne affiche aussi le déficit budgétaire le plus bas parmi les pays du G7.
Reportage France 2 d'Arnaud Boutet et Brice Boussouard, diffusé le 3 septembre 2012
Les réformes lancées dans les années 2000 par le gouvernement Schröder expliqueraient le succès de l'économie allemande, en matière de productivité notamment. «Les réformes du marché du travail conduites dans le passé font partie des facteurs expliquant la remarquable résistance de l’emploi au cours de la récente récession ; elles ont en effet permis d’accroître la flexibilité du temps de travail et de réduire le chômage structurel», explique l'OCDE.
Mais ces réformes ont eu et continuent à avoir un coût social important. Précarité croissante, un enfant sur six sous le seuil de pauvreté, des retraités encore actifs à 70 ans passés, le bilan de ces réformes est lourd dans un pays qui n'a pas de salaire minimum. Même l'OCDE, qui est peu suspecte de socialisme, affirme que le pays doit «stimuler sa demande intérieure».
Une situation qui fait dire à Joachim Möller, directeur de l'institut du marché du travail que «l'Allemagne est actuellement le pays où les inégalités salariales s'accroissent le plus rapidement».
Reportage France 2 Arnaud Boutet diffusé le 23 août2012
Quel rôle pour l'Allemagne ?
Dans la tempête européenne, la chancelière Angela Merkel, qui symbolise la puissance allemande, concentre les critiques sur son rigorisme budgétaire et son refus de mutualiser les dettes. Une position qui a cristallisé les oppositions envers la politique de la chancelière dans certains pays d'Europe.
Un récent sondage a montré que plus de 30% des Allemands souhaitent quitter l'Euro.
«Diriger ou quitter (la zone euro), c'est une décision légitime que doit prendre l'Allemagne», affirme George Soros. «Soit il faut lier son destin au reste de l'Europe, prendre le risque de couler ou de nager ensemble, soit il faut quitter l'euro, car, en partant, les problèmes de la zone euro s'arrangeront», ajoute le financier. Un débat qui pourrait rebondir en cas d'accentuation de la crise.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.