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A Donetsk, le chocolat ukrainien fait fondre les rebelles prorusses

A Donetsk, un café douillet de la chaîne «Atelier du chocolat de Lviv» a miraculeusement survécu en plein cœur de la capitale rebelle. Sur place, les séparatistes mangent avec leurs petites amies du chocolat venu tout droit de l'«ennemi», à savoir de l'ouest du pays.
Article rédigé par Celia Mascré
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Image en page d'accueil du site web de la chocolaterie, à Lviv (YURKO DYACHYSHYN / AFP)
C'est un petit café de Donetsk, fief des séparatistes prorusses, où des rebelles invitent leurs petites amies. Rien d'incongru. Sauf que les serveurs y parlent ukrainien et qu'on y mange du chocolat venant tout droit de l'«ennemi» nationaliste à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine.
 
Depuis le début de la guerre dans l'est du pays, les autorités séparatistes prorusses ont consciencieusement effacé tout ce qui rappelait l'Ukraine ou l'ukrainien, changeant notamment les drapeaux et les enseignes sur les territoires qu'ils contrôlent. Mais ce café douillet avec ses tables couvertes de nappes en dentelle de la chaîne «Atelier du chocolat de Lviv» a miraculeusement survécu en plein coeur de la capitale rebelle.
 
«Je viens ici me reposer, prendre un café avec ma copine», confie un jeune homme en tenue de camouflage mais sans armes, refusant d'en dire plus.


Les serveurs y parlent ukrainien comme dans n'importe quel autre établissement de la chaîne à Kiev ou à Lviv, chef-lieu de l'ouest ukrainien nationaliste et russophobe, ennemi idéologique de toujours de Donetsk.

Dans le bastion séparatiste, on ne trouve évidemment pas de figurines en chocolat à l'effigie du président russe Vladimir Poutine striées de lettres évoquant un juron, l'un des produits les plus vendus aux touristes étrangers à travers l'Ukraine. Le choix de chocolat est d'ailleurs plus modeste à cause des problèmes liés au transit de marchandises via les postes de contrôle sur la ligne du front.

«Peuples frères»
A l'intérieur du café, Dacha, une étudiante en médecine de 19 ans, échange quelque phrases en ukrainien avec les serveurs en attendant une amie, venue de Moscou. «Dans ce café, l'atmosphère est la même qu'à Lviv. Le fait qu'on parle ukrainien en fait partie. Je comprends tout, je n'ai rien contre l'ukrainien», explique-t-elle.

«Même si nous sommes actuellement plus proches de la Russie, nous avons été des peuples frères», ajoute-t-elle en tenant une tasse de café décorée d'un logo de Lviv. Les premiers problèmes apparaissent néanmoins lorsque les jeunes femmes veulent payer : les cartes ne sont plus acceptées depuis que le système bancaire ne fonctionne plus correctement dans les territoires séparatistes. Le café n'accepte que la hryvnia ukrainienne, mais fait éventuellement appel à un intermédiaire qui échange les roubles, les deux monnaies étant autorisées à Donetsk.

L'atelier du chocolat de Lviv, vu de l'intérieur (Afisha.Bigmir.net)

 
Comme un rappel que la ligne de front n'est jamais loin, certains clients portent des tenues de camouflage, insigne des bataillons rebelles à l'épaule.
«Les rebelles y invitent leurs copines pour un rendez-vous galant. Ils ne se comportent pas de façon agressive, mais exigent qu'on leur parle en russe», confient des membres du personnel.

«On me regarde comme un dinosaure»
Non loin de là, en face du bâtiment de l'administration régionale sous contrôle des rebelles, les passants peuvent acheter une chemise brodée traditionnelle, très à la mode en Ukraine, portée par la vague patriotique des pro-européens qui a suivi l'annexion de la Crimée par la Russie et par le déclenchement du conflit dans l'est ukrainien. La boutique qui s'appelait autrefois «Souvenirs ukrainiens», a été depuis rebaptisée «Souvenirs» tout court. Les blasons russes y sont désormais affichés à côté des bustes du poète ukrainien Taras Chevtchenko et de chemises brodées. 

«Quand il y avait des manifestations (prorusses) devant l'administration, nous avions peur que quelqu'un brise les vitres de la boutique», raconte Svetlana, une vendeuse de 56 ans qui porte une chemise traditionnelle avec des coquelicots brodés pour attirer la clientèle. Si certains clients ont protesté contre la vente de souvenirs ukrainiens, la vendeuse leur a expliqué qu'on vendait bien en ville des produits chinois, russes et biélorusses. «Alors pourquoi pas ukrainiens?», lance-t-elle.
 
Il reste aussi à Donetsk ceux qui portent des chemises brodées et parlent ukrainien en ville, à l'exemple de Galina Diakova, 79 ans, professeur de langue ukrainienne à la retraite. «On me regarde comme un dinosaure. Les télévisions expliquent depuis un an aux gens que tout ce qui est bien est russe», raconte la vieille dame. «C'est de la propagande, il faut avoir l'esprit critique et apprendre l'histoire. Personne ne m'obligera à parler le russe sur ma terre», lance-t-elle. 

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