Lors de la Première guerre mondiale, les océans se transformèrent en une immense galerie d’art. A la surface des eaux, flottaient d’étranges objets aux formes incertaines et aux couleurs aussi improbables que le rose fuchsia, le vert anis, le jaune d’or, le bleu cobalt ou encore le rouge vermillon. Le «Razzle Dazzle», l’art de camoufler les bateaux, était né.
Pourquoi ? Les navires marchands, réquisitionnés par l’armée pour transporter armes et munitions, ainsi que la flotte militaire, étaient alors la cible des terribles sous-marins allemands, les U-Boots.
Pour éviter que l’océan ne se transforme en un immense cimetière marin, l’armée dû rapidement trouver une solution à ce problème. Si le camouflage des engins militaires était déjà largement utilisé sur terre, celui-ci fut aussi envisagé sur mer.
Des personnes telles que Thomas Edison, l’un des plus grand inventeurs de l’époque (phonographe, ampoule électrique à incandescence, entre autres) ou les peintres spécialistes du trompe-l’œil, Abott H.Thayer et Everett L.Warner, travaillèrent sur cette idée.
Mais ce fut le peintre de la marine et lieutenant réserviste dans la Royal Navy, Norman Wilkinson, qui au final eut l’idée incroyable de recouvrir les navires de taches, de rayures, de traits aux perspectives brisées, et de les peindre avec des couleurs vives et variées.
L’artiste Edward Wadsworth, fer de lance du mouvement Vorticisme (qui se réclamait du futurisme et du cubisme), collabora étroitement à la mise en place de ce stratagème. 200 bateaux lui furent confiés.
Le but n’était pas de rendre ces bateaux invulnérables aux tirs d'artillerie et de torpilles, mais de brouiller la vue des observateurs ennemis pour rendre leurs tirs imprécis (le rouge vermillon avait par exemple l’avantage d’être invisible aux lentilles de périscopes). Ces étranges formes abstraites perturbaient également les calculs des distances entre les navires, ou rendaient difficile ceux de leur vitesse ou de leur position.
Le HMS Alsatian et le SS Industry, deux navires marchands, devinrent les premiers ainsi «déguisés» à prendre le large.
A la fin de la guerre, près de 4500 navires (marchands et militaires) avaient été transformés en Dazzle Ships (navires brouillés).
S’il fut prouvé que les bateaux ainsi camouflés furent moins touchés, l’efficacité d’un tel subterfuge fut remit en cause par de nombreuses personnes dont Norman Wilkinson lui-même. Ce camouflage, qui entraîna de nombreuses collisions dans les derniers mois du conflit entre bateaux alliés, ainsi que l’arrivée de nouvelles techniques (télémétrie et radar) firent que ce procédé fut nettement moins utilisé lors de Seconde guerre mondiale puis, définitivement abandonné.
Après guerre, ces étranges vaisseaux amarrés dans les ports suscitèrent une curiosité et un engouement grandissant auprès du grand public. La mode s’empara de leurs formes géométriques. Robes et maillots de bain se recouvrirent de leurs motifs à la plus grande joie des nouvelles femmes modernes.
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