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"Si je dis la vérité, je perds des clients" : en Catalogne, les opposants à l'indépendance racontent la peur des représailles

De nombreux Catalans restent attachés à l’Espagne. Mais le dire haut et fort peut parfois vous attirer des ennuis. Les adversaires de l'indépendance organisent une contre manifestation citoyenne, dimanche 8 octobre, une semaine après le référendum.

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Barcelone (Espagne)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Ernesto Lopèz, drapeau espagnol sur les épaules, dans les rues de Barcelone (Espagne), le 5 octobre 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

L'histoire retiendra peut-être que la riposte des opposants à l'indépendance a débuté ici : dans ce discret et minuscule appartement, au troisième étage d'un banal immeuble de Barcelone. Derrière la porte de la Societat civil catalana, une association qui milite depuis 2014 pour le maintien de la Catalogne dans l'Espagne, les discussions tournent autour de la "stratégie" et du "plan d'attaque" à adopter après le référendum du dimanche 1er octobre. Dès le lendemain du scrutin, son président a appelé à une contre-manifestation citoyenne, dimanche 8 octobre.

Je me suis dit que ça ne pouvait plus durer. Depuis deux semaines, il n’y en avait que pour les séparatistes. Ils étaient partout, à la télé, à la radio, dans la rue. J’ai dit stop !

Mariano Gomà, président de la "Societat civil catalane"

à franceinfo

Le mot d'ordre du rassemblement : "Retrouver la raison." Dans les locaux, la petite équipe s'organise pour s'assurer que tout soit prêt à temps. Chacun sa mission : passer un coup de fil à l'imprimeur pour la livraison des tracts, répondre aux demandes d'information... Au bout du fil, "des gens de Valence, de Madrid ou même de Catalogne qui veulent savoir comment ils peuvent venir dimanche", explique Ainhoa. Et réceptionner les dons des particuliers. Des sommes de 10, 20, 30 ou 50 euros qui serviront à payer les frais engagés.

Mariano Gomà, président de la "Societat civil catalana", dans les locaux de l'association, le 5 octobre 2017 à Barcelone. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Quelle ampleur prendra le mouvement ? "Je ne sais pas, on peut être 1 000 comme un million, répond Mariano Gomà. Tous les scénarios sont envisagés, même celui de changer de lieu si on manque de place." L'association met en avant quelques signes encourageants : le fichier Excel des participants qui se remplit, les bus affrétés spécialement de toute l’Espagne, ou le banal événement Facebook créé par un collaborateur qui regroupe aujourd’hui 5 000 personnes. Loin, bien loin des 700 000 personnes mobilisées à Barcelone mardi, jour de "grève générale", pour protester contre les violences de la police espagnole au cours du référendum. Mariano Gomà est pourtant sûr de la force du mouvement anti-indépendance.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la majorité des Catalans n’en veulent pas, de leur indépendance.

Mariano Gomà, président de la "Societat civil catalana"

à franceinfo

Selon l'exécutif catalan, le "oui" à un "Etat indépendant sous forme de République" l'a pourtant emporté dimanche à 90%, mais avec un taux de participation de 42,3%. En juillet dernier, un rapport du Centre d’études d’opinion (lien en espagnol), qui dépend des autorités locales, montrait tout de même que la moitié de la population catalane (49,4%) ne souhaitait pas se séparer de l’Espagne.

"Les gens n'osent pas bouger"

Mais ces jours-ci, difficile de mettre la main sur ces Catalans hostiles à l'idée de se séparer de l'Espagne. A Badalona, dans la banlieue de Barcelone, un bâtiment détonne dans le paysage, avec huit drapeaux espagnols visibles sur les sept étages de l'immeuble. Mais impossible d'y trouver un habitant pour nous expliquer le sens de cette mobilisation. A la sortie d'un bureau de poste, une employée opposée à l'indépendance accepte d'abord une interview, avant de changer d'avis et de trottoir. "Cela ne m’étonne pas du tout, explique Mariano Gomà. Les gens ont peur des représailles. ils n’osent pas bouger, ils préfèrent rester à la maison."

Des drapeaux espagnols accrochés aux fenêtres d'un immeuble à Badalona, près de Barcelone (Espagne), le 5 octobre 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Je connais plein de fonctionnaires qui sont contre l’indépendance, mais qui ont peur de perdre leur travail ou d’être mis au placard.

Mariano Gomà, président de la "Societat civil catalana"

à franceinfo

Avant même le scrutin, des maires socialistes, pro-Madrid, ont fait état de pressions et d'insultes de leurs administrés. Dans le centre-ville de Barcelone, Gregorio est allé jusqu'à coller une affiche "service minimum" sur la vitrine de sa pharmacie. Pour être certain qu'on le "laisse tranquille", mardi, lors de la grande journée de mobilisation des pro-indépendance. Une autre commerçante opposée à l'indépendance ne veut "surtout pas" pas qu’on cite le nom de son établissement. "Si je dis la vérité, je vais à coup sûr perdre des clients" assure-t-elle, accoudée au comptoir. Il faut dire qu’elle elle est cernée : juste au-dessus de sa boutique flotte un drapeau indépendantiste. Et d'autres Catalans rencontrés par franceinfo adoptent la même stratégie : celle du mensonge.

J’ai pris l’habitude de penser comme les gens que je côtoie au travail. S’ils sont pour, je suis pour. S’ils sont contre, je suis contre.

Ana, femme de ménage

à franceinfo

Des militants qualifiés de "franquistes"

Ceux qui ont osé sortir du bois ont eu quelques problèmes. "Les parents d’élèves n’ont pas apprécié que je donne mon opinion, assure Ana Losada, institutrice dans une école primaire de Cornellà de Llobregat, commune toute proche de Barcelone. Depuis, ils ne me parlent plus. Ma fille, qui a 9 ans, en subit aussi les conséquences. Elle a perdu plein d’amis. Et surtout, plus personne ne l’invite aux fêtes. C’est extrêmement difficile pour elle."

Qu'importe, malgré les pressions, Ernesto n'hésite pas à poser avec un drapeau espagnol pour la photo. Etudiant en sciences politiques et en droit, il s'est engagé pour non en février 2015. "A la fac, on m’a bien fait comprendre que je n’aurais pas dû", explique le jeune homme de 21 ans. C'est devenu "classique", il explique avoir régulièrement droit aux insultes – "fasciste", "franquiste" par exemple. Une de ses amis a également reçu des crachats au visage. Des réactions "classiques", mais qui l’agacent.

C’est quand même fou qu’on doive se taire. Ce n’est pas rien comme question, l’indépendance, c’est notre avenir qui se joue.

Ernesto, militant anti-indépendance

à franceinfo

Le jeune homme compte bien rameuter "quelques amis qui n’ont pas encore eu le courage de s’exprimer" dimanche, lors de la mobilisation organisée par la Societat civil catalanaCe ne sera pas sa première manifestation. Depuis deux ans et demi, il passe beaucoup de temps à distribuer des tracts pour "essayer de convaincre les gens". Mais celle à venir semble l'inquiéter : "J'ai déjà reçu des messages de menace." Elle doit avoir lieu place Urquinaona, en plein cœur de Barcelone.

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