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Qui est Carles Puigdemont, l'indépendantiste catalan à la coupe de Beatles ?

Vendredi, près d'un mois après le référendum illégal, le Parlement de Catalogne a déclaré l'indépendance, déclenchant une mise sous tutelle immédiate de la région. Et la destitution du président catalan Carles Puigdemont. Portrait. 

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le président de la Catalogne Carles Puigdemont tient une conférence de presse à Barcelone, le 2 octobre 2017, après le référendum controversé sur l'indépendance de la région. (BURAK AKBULUT / ANADOLU AGENCY / AFP)

L'Espagne plonge dans la crise politique. Vendredi 27 octobre, près d'un mois après le référendum illégal organisé en Catalogne, le Parlement catalan a proclamé l'indépendance, déclenchant la joie de nombreux habitants et une réaction immédiate de Madrid. Le gouvernement central a acté la mise sous tutelle de la Catalogne. Celle-ci s'accompagne de la destitution de Carles Puigdemont, président de la Généralité, tout-puissant gouvernement autonome, qui va être poursuivi pour "rébellion". Un délit est puni d'une peine de prison allant jusqu'à 30 ans. Mais qui est ce séparatiste convaincu, qui a mené la Catalogne jusqu'à ce jour de proclamation d'indépendance ? 

Né indépendantiste (ou presque)

Tous ceux qui le côtoient dressent le portrait d'un nationaliste catalan intransigeant, jusque dans les moindres détails. Pendant des années, explique ainsi le quotidien espagnol El Pais, Carles Puigdemont a présenté dans les hôtels une carte d'identité catalane, évidemment invalide, plutôt que l'officielle, espagnole. Et pour bien signaler qu'il vient d'un autre pays, il a aussi parfois privilégié les vols internationaux pour rejoindre Madrid. A partir de Barcelone, il faisait ainsi un crochet par Paris ou Bruxelles pour rejoindre la capitale espagnole, histoire d'y arriver en étranger, rapporte le même quotidien. Enfin, dès qu'il le peut, il ignore le castillan pour lui préférer le catalan, choisit les voies d'autoroute passant sous le panneau "peatge" (péage en catalan) plutôt que sous le panneau "peaje", en espagnol.  

Il faut dire que son combat a commencé tôt. Dès l'enfance, Carles Puigdemont était déjà séparatiste, à en croire les journaux. "La légende raconte que tout petit, il suppliait sa grand-mère de lui tricoter une estelada, l’iconique drapeau catalan indépendantiste à rayures jaunes et bleues", rapporte ainsi L'Obs. Le berceau familial s'y prêtait. Né sous le franquisme en 1962 dans le village d’Amer, dans la province de Gérone, le futur dirigeant de l'autonomie a "grandi dans les effluves de la pâtisserie familiale, au sein d’une famille de nationalistes convaincus", résume Le Monde. Il est le deuxième d'une famille nombreuse de huit enfants, conservatrice.

Son engagement se traduit, très jeune, par le militantisme. A 20 ans, il cofonde les Jeunesses de Catalogne, qui font partie de Convergence démocratique de Catalogne, un parti régionaliste, centriste, libéral et pro-européen : autant de valeurs auxquelles il adhère. C'est d'ailleurs via sa rencontre avec Jordi Pujol, président de la Catalogne de 1980 à 2003, qu'il se rapproche de ce mouvement chrétien-démocrate, selon El Español. Parallèlement, il s'engage dans la défense de la langue, la culture et la Nation catalanes, au sein du mouvement La Crida. "Puigdi" (prononcez "pouitchi"), comme le surnomment ses amis, parle d'ailleurs un catalan "exquis", et emploie des mots rares que seuls les puristes maîtrisent, souligne El Periodico 

Deux passions : le journalisme et les nouvelles technologies

Après des études de littérature et de linguistique, Carles Puigdemont s'adonne à ses deux autres grandes passions, le journalisme et les nouvelles technologies. Passé de rédacteur à rédacteur en chef de la revue El Punt, retrace Libération, il a ensuite pris la tête de Catalonia Today, une revue en anglais, et a également lancé l'Agence catalane d'informations (ACN). Il recrute dans ses journaux sa femme, Marcela Topor, journaliste roumaine qu'il a rencontrée en 1998, selon le quotidien La Vanguardia, alors qu'elle faisait partie d'un groupe de théâtre universitaire roumain. Mariés deux ans plus tard, selon le rite orthodoxe en Roumanie, ils sont parents de deux filles. Avec Marcela, ce polyglotte doué apprend le roumain, une corde de plus à son arc.

L'engouement de Carles Puigdemont pour les réseaux sociaux l'incite à s'inscrire dès 2007 sur Twitter, sous le nom de @KRLS (pour Carles, son prénom). Il est l'un des premiers Catalans à le faire, relève El Periodico, et il est désormais suivi par plus de 400 000 abonnés. Sur son compte, où flotte en fond de décor un drapeau catalan, il tweete (ou retweete) indifféremment en catalan, castillan, français ou anglais. Le message est toujours le même : il s'y fait inlassablement le chantre du séparatisme catalan.

Drapeau catalan et épisode de "Game of Thrones"

S'il est élu député au Parlement de Catalogne en 2006, l'indépendantiste ne prend vraiment son envol politique qu'en 2011, à l'orée de la cinquantaine. Candidat de Convergence démocratique de Catalogne (CdC), Puigdemont est élu maire de Gérone, une ville tenue par les socialistes depuis la chute du franquisme. Il y met rapidement en œuvre ses convictions et "s'empresse de rebaptiser Gérone à la catalane. Gerona (en espagnol) devient Girona", rappelle L'ObsEt il contrevient – déjà – à la loi espagnole, et notamment à celle qui oblige le drapeau régional à côtoyer le drapeau national, et ne laisse onduler au balcon municipal que la "senyera estelada". En 2014, il mène campagne pour que Leonor, fille aînée du roi Felipe VI et future héritière du trône d'Espagne, ne porte pas le titre de "princesse de Gérone" lors de l'accession au pouvoir de son père. 

Habile, il mêle combat pour l'indépendance et souci de modernisation de la ville. Il  "s'est forgé durant ces quelques années à la tête de Gérone une image de séparatiste consensuel et moderne, sillonnant sa ville en Girocleta (le Vélib' local) et y injectant du wifi gratuit partout", raconte L'ObsConsécration suprême, selon L'Obs, il "parvient même à négocier avec la production de Game of Thrones qu'un épisode y soit tourné". Car c’est là, explique France Inter, que HBO "recrée une partie du monde de Westeros, l’un des continents imaginés par le créateur de la série. Gérone, la "ville aux 1 000 sièges", sert de décor au marché de Braavos – l’une des cités de Westeros. Et à la cathédrale de Port Real, capitale du Royaume des Sept Couronnes". Une page de pub internationale assurée pour cette cité méconnue de quelque 100 000 habitants, au nord-est de l'Espagne. Car Puigdemont passe allègrement du local au mondial, en omettant systématiquement l'échelon national.

"Tu ressembles à un Beatles" lui disait déjà, lorsqu'il était enfant, sa grand-mère, citée par La Vanguardia. Il cultive toujours cette coiffure, qui dissimule sous la frange la cicatrice d'un grave accident de voiture survenu dans sa jeunesse. Mais il garde aussi le goût de la musique des "Fab Four", comme en témoigne cette vidéo, où on le voit interpréter "Let It Be".

Président de Catalogne après un coup de chance

S'il devient populaire dans sa ville, le maire de Gérone reste néanmoins quasi inconnu des Espagnols (et même des Catalans) lorsqu'il accède, presque par hasard, à la présidence de la Generalité, début 2016, après des mois de négociations. Elue fin septembre, la majorité indépendantiste au Parlement régionale n'arrivait pas à trouver son leader. Parmi les partis de la coalition, certains préféraient barrer la route au président sortant de Catalogne, Artur Mas, empêtré dans des scandales de corruption.

Projeté en pleine lumière, Carles Puigdemont est désormais à pied d'œuvre pour réaliser son rêve politique : l'indépendance de la Catalogne. Mais il s'appuie, remarque El Pais, sur une coalition politiquement hétéroclite. Cette alliance, qui va du centrisme libéral pro-européen à l'extrême-gauche, n'est cimentée que par la volonté commune d'indépendance.

Carles Puigdemont va donc s'attacher à mettre en œuvre le référendum annoncé sur l'indépendance pour le 1er octobre, quoi qu'il arrive. Même les attentats meurtriers commis les 17 et 18 août 2017 à Barcelone et Cambrils n'y changeront rien. L'exécutif catalan, explique alors Le Monde, est "d’autant plus décidé à continuer sur la voie de la sécession qu’il considère la gestion des attentats – en particulier le bon travail de la police régionale – comme un succès qui légitime ses revendications". Le référendum illégal se tient donc le 1er octobre comme prévu, et les images de violences policières contre les électeurs vont faire le tour de l'Europe, et se retourner contre le gouvernement espagnol. De quoi encourager Carles Puigdemont à persister. Au soir de la consultation, il tient des propos sans ambiguïté : "Avec cette journée d'espoir et de souffrances, nous, les citoyens de Catalogne, avons gagné le droit d'avoir un Etat indépendant qui prenne la forme d'une République". 

"La porte est ouverte pour dialoguer avec Madrid"

Calmement, il va répondre au roi Felipe VI réclamant l'unité de la Nation, en retournant l'accusation. "Le roi répond avec le discours et les politiques du gouvernement de Mariano Rajoy, qui ont été catastrophiques pour la Catalogne. Il ignore que les Catalans ont été victimes de violences policières", accuse-t-il. Et d'appeler "au calme et au dialogue".

Surtout, il en appelle à la médiation de l'Union européenne, rapidement rejetée par le pouvoir central. Mais Carles Puigdemont réaffirme sans cesse, y compris en français, que "la porte est ouverte pour dialoguer avec Madrid". Ainsi va cet obstiné se posant sans cesse, sans jamais céder de terrain, en interlocuteur pacifique et ouvert.

Et peu importe ce que lui réservent les prochains mois et les menaces de poursuites judiciaires, explique à l'AFP son ami, l'écrivain Antoni Puigverd. "Depuis qu’on se connaît, il a changé quatre ou cinq fois de travail. C’est une personne libre, qui n’a pas peur du changement. Quelqu’un d’autre à sa place serait très inquiet pour son avenir, lui, non."

 

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