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La journaliste espagnole Griselda Pastor sur l'inquiétante situation de son pays

Griselda Pastor est la correspondante à Bruxelles de Radio Cadena Ser, la plus importante radio espagnole. Elle s’inquiète de l’évolution de la situation dans son pays, notamment en raison du manque de confiance de ses compatriotes. A ses yeux, c’est à terme tout le projet européen qui est menacé.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Manifestation étudiante contre les coupes budgétaires dans le secteur de l'éducation à Madrid le 22-5-2012 (AFP - Javier Soriano)

Comment jugez-vous les évènements en Espagne, notamment après l’appel de Bankia, troisième banque du pays, qui a demandé une aide record de 19 milliards d'euros ?

Je ressens une profonde inquiétude. L’Espagne est de fait le nouveau maillon faible de l’Europe. Quand comme moi, on observe la situation de Bruxelles, on a le sentiment que le nouveau gouvernement du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy ne parvient pas à trouver une voie entre les choix nationaux et ceux de Bruxelles. La mauvaise relation qui s’est établie avec les institutions européennes n’est pas faite pour insuffler de la confiance aux Espagnols.

On assiste à un bras de fer entre les deux parties. D’un côté, les Espagnols demandent que la Banque Centrale Européenne (BCE) achète davantage de leur dette. Ils demandent aussi une nouvelle opération de liquidité à 1% d’intérêt. De l’autre côté, la BCE estime en avoir déjà beaucoup fait. Les Institutions européennes expliquent que "les instruments pour une aide existent mais qu’il faut le demander". Le Fonds européen de stabilisation financiere (EFSF) peut ainsi venir au secours des banques espagnoles mais en échange d’un programme impliquant notamment l'exigence de mesures d'assainissement budgétaire. Ce que refuse Madrid.

Dans le même temps, Bruxelles, qui veut des données claires, reproche à l'Espagne des chiffres confus sur le déficit : en arrivant au pouvoir, Rajoy a découvert qu’il s’élevait en fait à 8,5 %, pour dire plus tard qu’il était de 8,9 %. Pendant ce temps, le différentiel des taux de la dette avec l’Allemagne ne cesse de croître: il est actuellement de 500 points de base. Le chômage touche un quart de la population et les gens normaux souffrent en raison des mesures d’austérité.

Notre gouvernement n’arrive pas à s’exprimer clairement sur la crise. On a l’impression qu’il est paniqué. De ce point de vue, la défaite subie par le PP en Andalousie tombe très mal. C’est une vrai claque ! D’autant que Rajoy avait fait de ce scrutin un symbole. Les conservateurs se rendent compte que malgré leur majorité absolue au Parlement, leur pouvoir n’est pas si absolu que cela.

Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy (23-5-2012) (AFP - Fred Dufour )

De son côté, le Parti socialiste manque de courage. Il n’a pas renouvelé sa direction à 100 % et pense que le PP ne va pas tenir au pouvoir alors que le mandat de ce dernier s’achève dans quatre ans.

On assiste à une lutte à mort entre les deux camps. C’est là un vieil héritage de la culture franquiste : il n’y a pas d’habitude de dialogue. Résultat, la confiance des électeurs s’effondre. Il y a un risque qu’ils ne croient plus à l’utilité de la démocratie. Eux subissent le chômage et ne voient pas de solution.

Les mesures d’austérité (3), prises par le gouvernement, sont-elles acceptables pour les Espagnols ?

Je pense qu’elles le seraient s’il y avait de la confiance. Les citoyens ont accepté l’austérité. Ils ont accepté des sacrifices, notamment qu’on ampute leurs salaires. Dans ma radio, par exemple, les salaires ont baissé de 8 % en échange de 23 jours de congés supplémentaires. Mais dans le même temps, les gens voient des conseils d’administration augmenter les rémunérations des dirigeants d’entreprises tout en jetant des gens à la rue. On a mis en place des réformes du marché du travail mais le chômage continue à augmenter.

Inévitablement, on se pose la question de savoir si tout cela sert à quelque chose. En Espagne, comme en Grèce, on finit par se dire qu’on ne peut pas continuer comme cela éternellement.

Dans le moment présent, les Espagnols ont l’impression de ne pas avoir d’avenir. Ils ne comprennent pas que l’Allemagne, dont la dette a augmenté, puisse se financer moins cher que leur pays. Ils commencent à détester les Allemands qui veulent les punir. Ils se demandent si l’Union européenne est une union du droit ou de la foi : ils ont l’impression qu’on veut les punir de leurs péchés.

Evidemment, les Espagnols ont des responsabilités. La spéculation immobilière a été une folie totale. On se demande comment on a pu permettre une chose pareille. Il faudrait en tirer les conséquences. Il est évident que ce n’est pas aux Européens de les payer.

Le budget de l'austérité de l'Espagne


Euronews, 3-4-2012

Comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis très pessimiste. Aujourd’hui, c’est la crédibilité du système qui est remise en cause. L’UE devrait nous aider à bâtir la confiance. Or c’est le contraire qui se passe. L’Europe institutionnelle mène la politique de l’autruche, elle nie les réalités. Ses dirigeants sont trop confiants. Ils ne voient pas que la situation ne peut pas tenir quand on jette les gens au chômage. Ainsi, au dernier Conseil européen du 23 mai, on n’a pas parlé du cas espagnol notamment parce que François Hollande a voulu parler des eurobonds.

Dans le même temps, si l’Europe persiste à montrer à la Grèce la porte de sortie, c’est une manière d’affirmer sa puissance, mais ce n’est pas une manière démocratique. Avec les élections qui vont avoir lieu dans ce pays, on est en train de leur dire qu’ils n’ont pas le droit de faire un choix. C’est terrible !

Je pense que l’Europe tremble quand on touche à la Grèce. Le résultat, c’est qu’on risque de voir les électeurs faire des choix antisystème. Dans ce contexte, je suis très pessimiste pour l’avenir du projet européen.

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