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Espagne : on vous explique pourquoi Mariano Rajoy a été poussé vers la sortie

Les députés ont voté une motion de censure visant le chef du gouvernement conservateur. 

Article rédigé par franceinfo - Lison Verriez
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Temps de lecture : 7min
Mariano Rajoy, lors d'une séance au Congrès, le 30 mai 2018 à Madrid (Espagne).  (JUAN MEDINA / REUTERS)

Basta ya ! Une majorité des 350 députés espagnols ont voté, vendredi 1er juin, une motion de censure contre Mariano Rajoy, le chef du gouvernement conservateur espagnol, affaibli par un scandale de corruption après plus de six ans au pouvoir.  La motion a été déposée par le chef du Parti socialiste espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, il y a une semaine, et adoptée à une majorité de 180 députés sur 350. Mariano Rajoy a été remplacé par le socialiste Pedro Sanchez.

Avant même le vote, vendredi matin, le chef de l'exécutif avait reconnu sa défaite. "Ce fut un honneur d'avoir présidé le gouvernement espagnol et de laisser l'Espagne dans un meilleur état que celui dans lequel je l'ai trouvée. J'espère que mon remplaçant pourra dire la même chose à son tour", a déclaré Mariano Rajoy.

Franceinfo vous explique ce qui a mené à cette motion de défiance et comment elle fragilise le gouvernement.

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1 D'où vient cette motion de censure ?

C'est un scandale de corruption, "l'affaire Gürtel", qui a largement affaibli le chef du gouvernement. Le journal El Pais a révélé en 2009 un système de corruption impliquant des responsables politiques issus du Parti populaire (PP). La justice a enquêté sur ce dispositif et a mis au jour des relations entre des chefs d'entreprise et des élus qui attribuaient des marchés publics en échange d'argent, de cadeaux ou de diverses faveurs. 

Jeudi 24 mai, l'Audience nationale, le tribunal espagnol chargé des affaires les plus graves, a finalement condamné plusieurs cadres du PP. Trois d'entre eux, dont l'ex-trésorier du parti Luis Barcenas, ont écopé de peines de prison allant jusqu'à 51 ans. L'ancienne ministre de la Santé, Ana Mato, et le parti ont été condamnés à rembourser près de 300 000 euros indûment perçus. La justice reproche aux condamnés d'avoir participé à "un authentique et efficace système de corruption institutionnelle au travers d'un mécanisme de contrats publics", entre 1999 et 2005. 

Si le PP soutient qu'il ne s'agit que "de cas isolés", le tribunal l'a néanmoins considéré comme "participant à titre lucratif". Cette condamnation affaiblit davantage Mariano Rajoy, dont le témoignage pendant le procès a été qualifié de "peu crédible" par les juges, comme le rapporte Le Monde

Le lendemain de la décision de justice, le chef de l'opposition, Pedro Sanchez, secrétaire général du Parti socialiste (PSOE) a déposé une motion de censure à l'encontre du chef du gouvernement. Il estime avoir été dans l'obligation de le faire, "par responsabilité", "pour la crédibilité des institutions" et pour défendre "la démocratie"

2Comment s'explique ce résultat ? 

Pour parvenir à pousser Mariano Rajoy vers la sortie, Pedro Sanchez devait réunir la majorité des députés autour de sa motion de censure, et donc récolter 176 des 350 voix. Le débat a commencé au Parlement le jeudi 31 mai, pour s'achever par un vote vendredi matin. La motion a été adoptée à 180 voix pour, 169 contre et une absention.

En début de semaine, les analystes politiques accordaient à cette motion très peu de chances d'aboutir. Le PSOE est la troisième force politique du Congrès et compte seulement 84 élus depuis les élections de 2016. Mais le vent a tourné et  d'autres partis ont annoncé, dans la semaine, leur soutien à la motion. 

Podemos, le parti d'extrême gauche qui compte 67 élus, a consulté ses partisans sur la question et a confirmé son soutien pour le socialiste "par hygiène démocratique". La gauche indépendantiste catalane (ERC) a, elle, laissé entendre qu'elle soutiendrait aussi Pedro Sanchez. "Virer des voleurs et des matons de la Moncloa [la résidence du Premier ministre] n'est pas une option mais une obligation", a ainsi déclaré le député Gabriel Rufian. Un soutien qui n'arrive pas sans quelques promesses. En effet, Pedro Sanchez a annoncé qu'il essaierait de "nouer des liens" avec le gouvernement régional à Barcelone, qui vient de se reconstituer. "Au sein de la nation espagnole, il y a des territoires qui eux aussi se sentent nations. Nous pouvons coexister dans le cadre de la Constitution", a ainsi déclaré le chef des socialistes. 

Le PSOE, Podemos, ERC et plusieurs autres partis régionalistes réunissaient ainsi un total de 175 voix, selon les décomptes mercredi soir. Toujours insuffisant pour valider la motion de censure... Mais coup de théâtre jeudi : le Parti nationaliste basque (PNV) a annoncé sa décision de voter en faveur de la censure contre Mariano Rajoy, apportant les 5 voix nécessaires pour obtenir la majorité absolue. Afin de convaincre le PNV, Pedro Sanchez a assuré qu'il ne toucherait pas au budget voté la semaine dernière prévoyant des largesses financières pour le Pays basque. 

3Et maintenant, il se passe quoi ? 

Après des tractations intenses avec les partis de tous bords, et des concessions parfois cher payées, Pedro Sanchez, qui devient donc le nouveau chef du gouvernement, a réussi à réunir autour de sa candidature suffisamment de soutiens. Le responsable socialiste est amené à gouverner jusqu'à la fin de la législature, soit en juin 2020.

Toutefois, la situation est loin d'être idyllique pour le chef du PSOE. Ignacio Varela, chroniqueur politique interrogé par l'AFP, estime qu'avec une "majorité Frankenstein", le parti socialiste sera incapable de gouverner. 

Pedro Sanchez pourrait donc décider de convoquer des élections anticipées, pour tenter de reconstruire une majorité, mais seulement après avoir gouverné '"quelques mois", a confirmé l'une de ses porte-parole, Carmen Calvo. Un laps de temps qui lui permettrait notamment de "faire des changements suffisants", par exemple "des hausses de salaires, de retraites" et prendre des mesures en faveur de "l'égalité hommes-femmes" ou "de l'éducation". Un moyen de renforcer la popularité du PSOE qui a enregistré, en 2016, les pires résultats électoraux de son histoire récente. 

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