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Espagne : mais de quoi souffrent les noms de famille?

L’Espagne est le pays d’Europe qui possède le plus faible nombre de patronymes, selon une étude franco-espagnole. La faute, pêle-mêle, à l’Inquisition, à la dictature du général Franco... Les explications de l’un des auteurs de l’étude, Franz Manni, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle à Paris.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, répond à des journalistes à Madrid le 27 novembre 2014. A quand remonte le nom «Rajoy»? (REUTERS - Andrea Comas)
Pourquoi l’Espagne possède-t-elle si peu de noms de famille ?
En fait, l’affaire est un peu plus compliquée ! Il faut voir qu’en Espagne, l’adoption des noms de famille date de la fin du Moyen Age. A cette époque, le pays était constitué de trois royaumes distincts : la Castille, l’Aragon (grosso modo la Catalogne et la région de Valence), la Navarre, petite entité au nord (rattachée à la première au XVIe, NDLR).
 
L’époque correspond à la phase finale de la reconquête (Reconquista) des territoires arabes du sud par les royaumes catholiques du nord. Un moment qui marque le début de l’unification du pays, organisée par la Castille et sa souveraine Isabelle 1ere (appelée aussi la Catholique, NDLR), un peu comme la France s’est réunie autour de l’Ile-de-France. Pour ses initiateurs, il devait s’agir d’un processus d’unification à la fois territoriale, politique et culturelle.
 
Les patronymes des habitants des territoires conquis étaient ainsi inclus dans ce mouvement. Ils devaient être normalisés. L’affaire a notamment été menée par l’Inquisition, active jusqu’à la fin du XVIIIe. Celle-ci obligeait les nouveaux sujets castillans à embrasser la religion catholique surtout s’ils étaient musulmans ou juifs. Et à changer de nom. Elle leur en proposait d’autres, parmi lesquels nombre de Rodriguez, Diaz, Garcia… Résultat : en Castille, qui constitue la partie la plus importante du territoire espagnol, on constate jusqu’à aujourd’hui un noyau de noms relativement réduit.

En Aragon et en Navarre, la situation est différente car il n’y a pas eu de processus de «castillanisation». Même si l’Aragon s'est, à la même période, politiquement unie avec la Castille, elle a longtemps conservé une administration propre (jusqu’en 1707, NDLR). Les habitants ont conservé leurs noms d’origine et le nombre de ces derniers rejoint la moyenne européenne.

Dans la Mezquita, mosquée-cathédrale de Cordoue (Andalousie). Photo prise le 10 février 2015. (AFP - GUILLAUME SOULARUE / ONLY WORLD / ONLY FRANCE)

Quels noms ont dû être abandonnés par les nouveaux sujets des souverains castillans? Y avait-il parmi eux de nombreux patronymes arabes et juifs ?
On connaît mal la situation. Une étude génétique a chiffré à 10-15% le nombre d’habitants d’origine «non ibérique». Mais c’est tout. La situation est différente pour les dénominations de lieu : elles n’ont pas été modifiées et ont conservé leurs origines arabes et juives.
 
Une chose est sûre : les habitants des territoires conquis par les Castillans ont changé de patronyme sous la contrainte. Mais dans certains cas, ils ont fait le choix de prendre des noms de famille d’un royaume prestigieux, dans la mesure où, à cette époque, commence ce que l’on appelle le «Siècle d’or espagnol».

Les trois royaumes espagnols ont connu, au départ, un développement séparé. Par la suite, l’exode rural (à partir du XIXe) n’a-t-il pas favorisé un mélange culturel, donc des noms de famille, entre les différentes régions du pays?
Détrompez-vous. Le retard du développement industriel en Espagne au XIXe n’a pas entraîné de migrations internes importantes, comme cela a été le cas dans d’autres pays d’Europe. De plus, le régime du général Franco menait une politique anti-régionaliste. Il était alors plus facile d’être Catalan à Barcelone qu’à Madrid. Les Espagnols avaient donc tendance à rester dans leurs régions d’origine. Conjugués, ces différents phénomènes ont contribué à figer une géographie patronymique qui reste aujourd’hui proche de ce qu’elle était au Moyen Age.
 
Le dictateur espagnol, le général Francisco Franco, posant devant un trophée de chasse dans sa résidence au palais du Pardo à Madrid (la date de la photo n'est pas connue). (AFP - EUROPA PRESS)

Dans ce contexte, on peut dire que les royaumes médiévaux continuent à survivre dans la répartition des noms de famille. Et en Castille, on observe que la situation patronymique est le reflet d’un processus d’unification très fort décidé par le pouvoir politique. Ce dernier était une main de fer dans un gant sans beaucoup de velours… Personnellement, je n’aurais pas aimé être castillan à l’époque !

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