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Comment Monsanto a toujours tout fait pour couper l'herbe sous le pied de ses détracteurs

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Une marche contre Monsanto à Marseille, le 20 mai 2017. (CITIZENSIDE / AFP)

Une enquête du "Monde" a montré comment le géant des produits phytosanitaires a contré les études sur la dangerosité du glyphosate, composant de l'herbicide Roundup. Et ce n'est pas la première fois que la firme américaine utilise ce type de méthodes très controversées. 

Un géant des produits phytosanitaires à la réputation sulfureuse. En 2016, Monsanto a dégagé un chiffre d'affaires de plus de 13 milliards de dollars. Notamment grâce à son produit phare : le glyphosate, présent dans le désherbant Roundup. Un puissant herbicide de plus en plus décrié, et qui a valu à la firme américaine d'être condamnée, vendredi 10 août, à verser près de 290 millions de dollars à Dewayne Johnson, un jardinier malade d'un cancer causé par l'utilisation de pesticides commercialisés par Monsanto.

Mais Monsanto ne se résume pas seulement au glyphosate. Le groupe, fondé à Saint-Louis dans le Missouri (Etats-Unis), en 1901, s'est d'abord distingué en devenant le numéro 1 mondial dans la production de la saccharine, un édulcorant artificiel. Rapidement, l'entreprise s'est diversifiée dans la fabrication d'herbicides, puis les biotechnologies. Et les scandales ont commencé à fleurir. Franceinfo revient en cinq histoires sulfureuses sur la trajectoire de cette firme américaine en passe d'être rachetée par un autre géant de l'agrochimie, l'allemand Bayer.

Le scandale de "l'agent orange"

Dans les années 1940, Monsanto fabrique l’herbicide 2,4,5-T. Ce produit contient des dioxines et intéresse dans les années 1960 l'armée américaine, qui y voit une arme chimique potentielle, relate Courrier international. Les forces américaines sont, à l'époque, tenues en échec au Vietnam. Entre 1965 et 1973, des avions de l’US Air Force déversent, au-dessus des forêts du pays, 80 millions de litres du puissant herbicide, appelé désormais "l'agent orange". Il est fabriqué par Monsanto, ou encore Dow Chemical. L'objectif : éliminer la végétation où se cachent les combattants du Vietcong.

Les conséquences sont désastreuses pour la nature et pour des millions habitants, mais aussi pour des milliers de vétérans du Vietnam : cancers, malformations congénitales, maladies du système nerveux. Les dégâts se font sentir plusieurs années après les épandages, car "la dioxine [présente dans "l'agent orange"] étant une molécule très stable, elle tend à rester dans l'environnement", explique France Inter.

Une Vietnamienne, née en 1986, souffre de malformations qui pourraient être dues au déversement de grande quantité "d'agent orange" sur le pays entre 1964 et 1973, lors de la guerre du Vietnam. (CHRISTIANE OELRICH / DPA / AFP)

"Personne à l'époque n'imagine que tout cela était dû aux poisons venus du ciel", confie à la radio Tran To Nga, française d'origine vietnamienne. D'ailleurs, la propagande américaine distribue à cette période des tracts affirmant l’innocuité du produit, souligne Le Monde diplomatique

Or la dangerosité de l'herbicide était connue des géants de l'agrochimie depuis les années 1940. Les premières victimes étant les ouvriers des usines fabriquant l'herbicide. "Ils ont souffert d’inflammations cutanées, de douleurs inexplicables des membres, des articulations et d’autres parties du corps, d’affaiblissement, d’irritabilité, de nervosité, de baisse de la libido", selon Peter Sills, auteur de Toxic war : the story of agent orange. 

Les notes internes montrent que la compagnie savait que ces hommes étaient malades, mais qu’elle en dissimulait les preuves.

Peter Sills

à "Courrier international"

En 1949, une usine de Monsanto à Nitro, en Virginie (Etats-Unis) est touchée par une explosion, détaille Le Monde. Plus de deux cents ouvriers développent à leur tour des chloracnés. La cause de ce trouble : les dioxines contenues dans  "l'agent orange". Dans les années 1970, des vétérans américains du Vietnam ouvrent une class action (une action collective) contre les producteurs de l'herbicide. Durant ce procès, Monsanto présente des études scientifiques censées prouver l'absence de lien entre l'exposition à la dioxine et les maladies des soldats.

Or, au début des années 1990, il est démontré que ces études étaient biaisées, poursuit Le Monde. Au final, Monsanto et six autres producteurs de l'herbicide sont condamnés "pour empoisonnement" à verser 180 millions de dollars à un fonds de compensation destiné aux soldats américains. Aujourd'hui, la firme se dédouane de toute responsabilité. Elle souligne que le produit était fabriqué pour le gouvernement. "C'est lui qui a déterminé quand, où et comment l'utiliser", précise-t-elle dans un communiqué (en anglais).

Les grandes dissimulations autour des PCB

Autre époque, autre produit chimique. En 1935, Monsanto rachète la Swann Chemical Company, qui a mis au point les polychlorobiphényles (PCB). Pendant plus de quarante ans, Monsanto a déversé des milliers de tonnes de déchets contaminés, issus de son usine de fabrication des PCB, dans un ruisseau et une décharge à ciel ouvert, au cœur d'un quartier de la ville d'Anniston peuplé de Noirs, en Alabama (Etats-Unis), comme l'a montré le documentaire de Marie-Monique Robin Le Monde selon Monsanto.

En 2001, 3 600 habitants de la ville, qui souffrent de cancers, attaquent le géant de l'agrochimie. Pendant le procès, des notes confidentielles révèlent que Monsanto a dissimulé la dangerosité du produit. "En 1966, des responsables de l'entreprise avaient découvert que des poissons immergés dans ce ruisseau se retournaient sur le dos en moins de dix secondes, pissant le sang et perdant leur peau comme s'ils avaient été bouillis vivants. Ils ne l'ont dit à personne", rapporte alors The Washington Post (anglais).

Par ailleurs, une étude menée par Monsanto en 1975 montre que le PCB provoque des tumeurs chez le rat. Mais la firme change les conclusions, de "légèrement tumorigènes" à "n'apparaît pas cancérigène".

Nous ne pouvons nous permettre de perdre un seul dollar.

Mémo interne de Monsanto

The Washington Post

La firme connaissait donc la dangerosité de son produit, dès la fin des années 1960. Mais l'entreprise a arrêté totalement de commercialiser les PCB seulement en 1977, rappelle The Guardian (anglais), qui s'est penché sur plus de 20 000 mémos internes, mis en ligne début août. Contacté par The Guardian, Scott Partridge, le vice-président de la stratégie de Monsanto a rétorqué "qu'à l'époque où Monsanto fabriquait des PCB, c'était totalement légal et approuvé. Monsanto n'a donc aucune responsabilité dans la pollution causée par le rejet par ceux qui ont déversé des PCB dans l'environnement".

La firme a été reconnue coupable en 2002 d'avoir pollué "le territoire d'Anniston et le sang de sa population avec les PCB". La multinationale a été condamnée à verser 700 millions de dollars de dommages et intérêts à la ville d'Anniston.

Les pressions pour défendre l'hormone de croissance bovine

Si Monsanto n'aime pas les scandales, la firme déteste encore plus ceux qui les provoquent. Les deux journalistes américains Jane Akre et Steve Wilson, de Fox News, en ont fait les frais. Après avoir enquêté sur les dangers du Posilac, l'hormone de croissance bovine, rBGH, fabriquée dans les années 1980 par Monsanto, les deux journalistes du groupe Murdoch ont été licenciés. Leur reportage n'a jamais été diffusé, comme le raconte Marie-Monique Robin dans Le Monde selon Monsanto.

Quel est le problème avec la rBGH ? Cette hormone transgénique, injectée aux vaches, permet d’augmenter la production laitière de 15 à 20%. La vente de cette hormone, sous le nom de Posilac, est autorisée aux Etats-Unis en 1994. Mais rapidement, des mammites chez les vaches (infection des pis), des fragilités osseuses et des malformations chez les veaux, sont constatés, détaille Marie-Monique Robin. Pour faire face à ces symptômes, les éleveurs multiplient les traitements à base d'antibiotiques sur leurs bêtes. Conséquences : des traces de ces antibiotiques sont retrouvées dans le lait.

Le Canada est le premier pays à refuser la commercialisation du Posilac en 1999 malgré les pressions de Monsanto. Le documentaire raconte en effet comment la firme américaine a proposé un à deux millions de dollars à des agents de l'agence gouvernementale, Health Canada, pour qu’ils homologuent le produit.

Un an après, l'Europe lui emboîte le pas. L'hormone de croissance bovine y est interdite définitivement. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) établit que les résidus dans les viandes de bovins traités aux hormones présentent des risques pour la santé humaine, rappelle La Croix.

Monsanto a longtemps défendu son hormone de croissance, assurant qu'il n'y avait "aucune différence entre le lait des vaches recevant un complément de Posilac et le lait des vaches qui n'ont pas reçu de Posilac". Finalement au courant de l'année 2008, la firme renonce à la fabrication du Posilac, comme le relate The New York Times (en anglais). Monsanto justifie alors cette décision par son souhait de se concentrer sur les semences agricoles.

Des procès pour protéger ses OGM

Dans les années 1990, Monsanto reçoit les autorisations pour commercialiser ses semences génétiquement modifiées et résistantes au glyphosate. Parmi elles : le soja Roundup Ready, le colza Roundup Ready et le coton Roundup Ready. "L'emprise de Monsanto est déjà quasi-totale aux Etats-Unis : plus de 90 % du soja et 80% du maïs sont produits à partir de ses semences. Les agriculteurs sont ainsi prêts à payer deux fois plus cher que pour des graines normales, avec la promesse d'obtenir une meilleure résistance aux insectes, à la sécheresse... et aux herbicides produits par Monsanto !" racontent Les Echos.

Les semences sont protégées par les brevets pendant vingt ans. Durant cette période, Monsanto conserve son monopole et peut engranger un maximum de bénéfices. C'est pourquoi la firme va défendre ardemment ses OGM aux dépens parfois de petits agriculteurs. "Au cours des années 2000, Monsanto assignera ainsi devant les tribunaux des centaines de paysans accusés d'avoir utilisé 'frauduleusement' ses semences transgéniques brevetées, c'est-à-dire de les avoir replantées", relate Le Monde.

Ainsi en 2013,  la Cour suprême des Etats-Unis a donné raison à Monsanto, dans un litige qui l'opposait à un petit fermier de l'Indiana. Ce dernier était accusé d'avoir enfreint ses brevets dans l'utilisation de graines de soja transgéniques. Le fermier de 75 ans a été condamné à verser 85 000 dollars au géant de l'agrochimie, relaie The Huffington Post.

Monsanto justifie sur son site ses différentes actions en justice : "Sans la protection des brevets, les entreprises privées n’auraient guère intérêt à poursuivre dans cette voie et à réinvestir dans l’innovation. Monsanto investit plus de 2,6 millions de dollars par jour en recherche et développement, investissements qui bénéficient en dernier ressort aux agriculteurs et aux consommateurs." 

Des rapports scientifiques manipulés sur les effets du glyphosate 

Le désherbant Roundup, mis sur le marché en 1974, a également fait la fortune de Monsanto. En 2014, 826 000 tonnes de glyphosate ont été vendues sur la planète, selon une étude de l'Environmental Sciences Europe (en anglais), ce qui en fait le numéro 1 mondial des herbicides. Et pour implanter son produit, le géant de l'agrochimie n'a pas lésiné sur la publicité. En 1990, ce spot publicitaire met en scène un agriculteur qui explique que "Roundup il y a pas mieux pour désherber" et qu'il "n'hésite pas à en mettre partout" dans les champs.

Sept ans plus tard, cet autre clip publicitaire a envahi les écrans de télévisions. Le Roundup est présenté comme le premier désherbant "biodégradable", qui "ne pollue ni la terre, ni l'os de Rex".

Pour cette dernière publicité, Monsanto a été condamné deux fois, aux Etats-Unis et en France, pour "publicité mensongère", comme le rappelle Le Monde. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), dépendant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé officiellement en 2015 le glyphosate comme cancérogène pour l’animal et  "cancérogène probable" pour l’homme.

Mais Monsanto n'a pas tardé à répliquer. Sa stratégie ? Le "ghost-writing", ou "écriture fantôme", comme l'a révélé Le Monde dans son enquête sur les "Monsanto papers", publiée mardi 4 octobre. "Nous sommes face à un énorme scandale sanitaire", estime Marie-Monique Robin, dans son documentaire, Le Roundup face à ses jugesdiffusé sur Arte, mardi 17 octobre. Des scientifiques, rémunérés par la multinationale, ont signé des textes montrant que le glyphosate n'est pas cancérigène. Or les grandes agences réglementaires (EPA aux Etats-Unis, EFSA et ECHA en Europe), chargées d’évaluer la dangerosité d’un produit avant et après sa mise sur le marché, se sont basées sur les données fournies par Monsanto. Contacté par franceinfo, Monsanto France assure que "dans la situation où des scientifiques Monsanto ont pu être impliqués pour aider à la rédaction de ces documents, leur participation était complètement appropriée, circonscrite et clairement énoncée."

La firme refuse par ailleurs systématiquement de venir s'expliquer sur le glyphosate devant les députés européens. "Les eurodéputés essayent de faire le procès du glyphosate", a expliqué à franceinfo Monsanto France. Mais en coulisses, les soutiens s'activent. A commencer par la Glyphosate Task Force qui regroupe des industriels. Certains syndicats agricoles sont également des partisans de ce produit. En septembre dernier, la FNSEA (premier syndicat agricole français) a ainsi organisé une manifestation sur les Champs-Elysées, à Paris, pour défendre l'herbicide. Les Etats-membres de l'Union européenne doivent se prononcer le 25 octobre sur un prolongement, ou non, de dix ans de mise sur le marché du glyphosate.

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