Lucioles, algues ou champignons : la bioluminescence est-elle l’avenir de l’éclairage urbain ?
Imiter la nature pour ne plus dépenser d’énergies non renouvelables est le Graal des chercheurs. Certains s’appliquent depuis une dizaine d’années à reproduire les facultés bioluminescentes de nombreux organismes naturels pour révolutionner la ville de demain. Rêve ou réalité ?
Depuis 3,8 milliards d’années, la Nature produit sa propre lumière. Elle l’a développée chez certains insectes comme les lucioles, dans des champignons ou encore chez plus de 80% des animaux marins connus. Des baies apparaissent illuminées comme par magie à la nuit tombée comme par exemple à Porto Rico dans les Caraïbes, à San Diego sur la côte Pacifique ou encore en Tasmanie au sud-est de l'Australie. Des planctons bioluminescents microscopiques se mettent à luire pour décourager toute intrusion dans l’eau ou au contraire, attirer une proie.
Une faculté que la science cherche à copier depuis quelques années pour lutter contre les dépenses énergétiques et la pollution lumineuse. Certaines villes comme Los Angeles aux États-Unis ont commencé à remplacer leurs lampadaires par des leds, une économie d'énergie de plus de 63% pour LA et une facture annuelle réduite de près de 10 millions de dollars. En France à l'échelle nationale, l'éclairage urbain coûte deux milliards d'euros par an et représente 37% de la facture d'électricité totale des collectivités territoriales. Au total, l’éclairage urbain représente 19% de la consommation électrique mondiale, soit plus de 5% des émissions de gaz à effet de serre. Ces efforts sont donc loin d’être suffisants.
Des recherches sont en cours dans le monde entier pour développer la "lumière vivante". En 2013, trois biohackers américains montent le projet "Glowing Plants" [plantes bioluminescentes]. Leur idée est de transmettre la capacité de la luciole à de créer de la lumière à une plante, via une bactérie qui peut donner de l’ADN. Et ils y parviennent, relate Sciences et Avenir. Un plant d'Arabidopsis, une petite plante de la famille du chou, émet une faible lueur. Encouragés, ils lancent une levée de fonds sur une plateforme de financement collaboratif qui remporte un franc succès, près de 500 000 dollars de dons. Mais quatre ans plus tard, le projet avorte, faute de résultats concluants et d’argent pour poursuivre.
Luire comme une luciole
En 2016, une équipe de chercheurs de l’Institut russe de chimie bio-organique perce les secrets de la bioluminescence des champignons. "Contrairement aux autres luciférines [molécules dont l'oxydation aboutit à l'émission de photons], la luciférine fongique est compatible avec la biochimie végétale, et j'espère que cela permettra à terme la création d'une plante luminescente autonome, une plante qui serait capable de se biosynthétiser par elle-même", déclarait au Guardian le scientifique russe Ilia Yampolsky. Quatre ans plus tard, la Dr Karen Sarkisyan, PDG de Planta, une start-up qui a dirigé des travaux de recherches sur le sujet à l'Imperial College de Londres, et une équipe de collègues basés en Russie et en Autriche, rapportent comment ils ont inséré quatre gènes d'un champignon bioluminescent appelé Neonothopanus nambi dans l'ADN des plants de tabac. Résultat : des plantes qui brillent avec une teinte verdâtre visible à l'œil nu, "à la fois dans l'obscurité et à la lumière du jour", précise Karen, Sarkisyan.
En 2017, une équipe du Massachussetts Institute of Technology (MIT) réussit à intégrer des nanoparticules de l’enzyme permettant à la luciole de luire dans du cresson qui se met à émettre une faible lueur pendant quatre heures. L’idée est plus d’alimenter une lampe de chevet qu’un lampadaire, "une lampe que vous n'avez pas besoin de brancher", précise Michael Strano, professeur de génie chimique au MIT dans une interview à The Week. La performance du MIT a été de réussir à appliquer son procédé à plusieurs plantes, aux épinards, au chou frisé et à la roquette. Mais la lumière produite reste pour l’heure insuffisante pour pouvoir lire.
Au Danemark, qui s’éclaire déjà complètement aux leds et vise une électricité 100% renouvelable d’ici 2035, une start-up basée près de Copenhague tente d'isoler les gènes qui font briller certaines microalgues. Objectif : incorporer ces gènes aux arbres pour remplacer l'éclairage public standard. Le PDG d’Allumen défend dans le magazine américain Fast Company que les algues n’ont besoin que de CO2, de lumière solaire et d'un peu d'eau alors que les leds dépendent encore des combustibles fossiles.
Une startup française pionnière
C’est cependant en France que la recherche semble le plus près du but. Deux start-up se détachent du lot. Woodlight à Strasbourg planche sur le transfert des gènes bioluminescents de certains animaux, lucioles, méduses et certains poissons, sur des plantes. L’idée est d’apporter du vert dans les villes : non seulement un éclairage d’ambiance apaisant mais aussi un rafraîchissement et une dépollution naturelle de l’air. Une énergie naturelle, 100% recyclable bien sûr. Mais le laboratoire n’en est pour l’heure qu’à la phase de prototypage. S’ensuivra une étape d’infertilisation des végétaux créés pour répondre aux inquiétudes que certains formulent sur l’impact de ces plantes génétiquement modifiées sur leurs voisines naturelles. "Elles seront non bouturables. Quand la plante meurt, la bioluminescence aussi. Elle sera donc 100% compostable", assure la biologiste Rose-Marie Auclair dans une interview à Bsmart.
Glowee de son côté est déjà passée au concret. La start-up parisienne a mis au point une lumière liquide produite par des bactéries. "La bioluminescence est une réaction chimique régie par des gènes que portent certains organismes, explique Sandra Rey, la fondatrice de Glowee, à la chaîne YouTube Les pandas roux. Des molécules vont se créer et réagir avec l’oxygène pour produire des photons. Les bactéries utilisées par Glowee sont nourries avec une sorte d’eau de mer, poursuit la fondatrice. Le système est branché au réseau d’eau auquel on ajoute des nutriments, ce qui permet de les alimenter en continu. Une bactérie ne vit pas très longtemps mais se reproduit à grande vitesse". Tant qu’il n’y a pas de contamination par un micro-organisme extérieur, le système n’a pas de durée de vie limitée, assure-t-elle. Glowee commercialise déjà des installations intérieures, appelées Glowzenroom, pour l’heure dans des spas. Mais la ville de Rambouillet, dans les Yvelines, en a acquis une également qui sera implantée mi-juin dans son centre de vaccination. À destination des soignants, précise Nicolas Pollet, le directeur des services techniques de la ville. Il s’agit de créer un espace zen autour d’un arbre bioluminescent pour leur offrir un quart d’heure de relaxation.
"Un côté un peu extraterrestre"
La ville est également engagée depuis septembre 2019 avec Glowee dans un projet autrement plus ambitieux. "On sert de showroom géant", explique Nicolas Pollet. À cause de la crise du coronavirus, l’installation du premier mobilier urbain d’extérieur a été décalée d’un an. Mais à l’automne 2022, la ville testera une sorte de fleur stylisée avec un écran d’annonces des évènements culturels, alimentée par la lumière liquide développée par Glowee. Pendant un an, les effets des saisons, des changements de températures – et d’un éventuel vandalisme – seront évalués.
Une année pendant laquelle les personnels seront également formés à nourrir les bactéries, une fois par semaine, "pas plus compliqué que de nourrir son poisson rouge", selon Nicolas Pollet. Les colonnes contenant les bactéries seront connectées au réseau d’eau potable et s’écouleront via le réseau d’assainissement. Il n’y a aucun danger pour l’environnement ou la santé puisque ces bactéries sont non pathogènes et non toxiques, affirme Sandra Rey. Coût de l’aventure : 250 000 euros dont 100 000 injectés par la ville. "Il y a un côté un peu extraterrestre", convient Nicolas Pollet. Mais l’idée à moyen et long terme est de repenser l’aménagement de la ville. Un enjeu écologique, économique mais aussi sécuritaire, défend le directeur technique qui espère pouvoir déployer cette lumière vivante dans les quartiers où il y a de grands espaces verts, comme celui de la Louvière, et les rendre ainsi aux familles.
Alors, est-ce que cette lumière vivante remplacera nos lampadaires ? Évidemment pas tous, conviennent Woodlight et Glowee. La lumière produite par ces organismes reste très douce, d’un bleu-vert couleur lagon et n’est donc pas opportune pour éclairer un carrefour routier, par exemple. En revanche, elle convient pour résoudre la question de la pollution lumineuse et remplacer les enseignes lumineuses, les éclairages de façades ou les bornes de signalisation par un éclairage 100% renouvelable et moins nocif pour la biodiversité. "L’idée c’est de repenser la manière dont on éclaire nos villes", résume Sandra Rey.
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