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L'Arctique, un nouveau raccourci entre la Chine et l'Europe pour les cargos

En raison du réchauffement climatique, des navires peuvent emprunter le passage du Nord-Est, au nord des côtes russes, désormais libre de glace en été. Gain de temps : treize jours.

Article rédigé par Pauline Hofmann
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le bateau Polarlys près d'Havoysund, au nord de la Norvège, en novembre 2012. (BERTHIER EMMANUEL / HEMIS)

Un cargo chinois navigue en Arctique pour la première fois. En à peine plus d'un mois, il va relier la Chine à l'Europe, en passant au nord des côtes russes. Il y a trois ans, il était encore hasardeux d'utiliser le passage du Nord-Est, même en été. Cette route maritime est aujourd'hui praticable à cause (ou grâce) au réchauffement climatique.

La fonte des glaces a en effet atteint un niveau record en 2012. La banquise arctique est réduite à une peau de chagrin, rétrécissant de 18% par rapport au précédent record de 2007. La navigation dans l'extrême Nord du globe peut à présent se faire entre deux et quatre mois par an, selon l'importance de la fonte des glaces.

Une région qui attise les convoitises

Cette route maritime ouvre des possibilités commerciales importantes et croissantes. En 2010, seuls quatre navires ont transité au nord de la Sibérie, contre 46 en 2012. "On peut parier que le nombre de navires va aller augmentant", explique Peter Hinchliffe, secrétaire général de la Chambre internationale de trafic maritime, l’ICS (International chamber of shipping), contacté par francetv info. La Fédération des armateurs norvégiens prévoit que la quantité de marchandises passe à 50 millions de tonnes en 2020, contre 1,26 million en 2012, d'après l'AFP.

Preuve que l'océan du grand Nord est l'objet de toutes les convoitises, le Conseil de l'Arctique a accueilli six nouveaux membres observateurs en 2012 : l'Italie, l'Union européenne, la Corée du Sud, le Japon, Singapour, l'Inde et la Chine. Des membres qui n'ont aucune côte sur cet océan. Certains petits ports norvégiens espèrent profiter de cet intérêt soudain, comme la bourgade de Kirkenes, à l'extrême nord du pays, où Le Monde s'est rendu.

Le passage du Nord-Est est en effet le chemin le plus court entre l'Asie et l'Europe. Il concurrence potentiellement le trajet via le canal de Suez, en faisant gagner 30% de temps de navigation (en moyenne, 35 jours au lieu de 48). Mais pour l'instant, cette route maritime ne rivalise pas avec le canal égyptien et ses 19 000 traversées par an. Mais quand on sait que l'Europe est le premier partenaire commercial de la Chine, la nouvelle route a de quoi faire saliver l'armateur chinois Cosco, d'après le China Daily (en anglais). 

Le passage du Nord-Est (en rouge) fait gagner plus de dix jours de trajet sur la route maritime du canal de Suez (en jaune). (FRANCETV INFO)

Les navires de commerce ne sont pourtant pas les seuls à examiner le passage du Nord-Est avec attention. La Compagnie du Ponant, un croisiériste français spécialisé dans les voyages en Arctique, prévoit une expédition dans cette zone en 2015, d'après Jean-Emmanuel Sauvée, directeur général de l'entreprise, contacté par francetv info. Une croisière de luxe, pour 200 à 250 passagers, pour la bagatelle de 500 euros par jour et par personne.

Eviter les collisions avec les icebergs et les cétacés

Mais croisiéristes comme armateurs de navires de commerce doivent franchir certains obstacles. Les normes environnementales sont poussées au maximum dans l'Arctique, dont l'écosystème est particulièrement fragile. Les navires de tourisme de la Compagnie du Ponant ne rejettent absolument aucune eau usée dans la mer, contrairement aux autres navires de croisière. Les bateaux sont également équipés de sonar pour éviter les collisions avec les icebergs et les cétacés. Des contraintes qui ont un coût considérable.

Les armateurs de navires de commerce voient encore d'autres obstacles. "Si le passage n'est ouvert que deux-trois mois par an, cela ne vaut pas le coup d'y investir", constate Patrick Rondeau, responsable environnement à l'organisation professionnelle Armateurs de France, contacté par francetv info.

Il précise que l'intérêt des armateurs n'est pas forcément de raccourcir le trajet. Il est plus intéressant pour eux d'optimiser leur parcours en redistribuant les marchandises dans d'autres ports, pour qu'elles partent ensuite dans d'autres régions du globe. "Cette route est la plus courte, mais elle ne dessert aucune zone économique intéressante, explique Patrick Rondeau. A part quelques cas particuliers, je ne pense pas qu'un trajet direct entre l'Europe et l'Asie intéresse les armateurs français." Un point de vue partagé par Peter Hinchliffe : "Le développement commercial le long de la route du Nord-Est n'est pas à l'ordre du jour."

La dernière réserve d'hydrocarbures

La Russie profite de cette nouvelle route maritime en imposant aux navires d'être accompagnés d'un brise-glace. Un bateau convoyeur que l'armateur doit payer. Contrairement à Peter Hinchliffe de l'ICS, Patrick Rondeau estime que ces surcoûts sont suffisants pour décourager le trafic maritime dans cette région du monde.

Sans aller jusqu'à parler de manne financière, il s'agit de rentrées d'argent considérables pour Moscou. Mais ce n'est pas le principal pari financier de la Fédération de Russie. Cette région du monde, potentiellement riche en hydrocarbures, attise les convoitises de géants comme Gazprom, l'entreprise russe spécialisée dans l'extraction et le transport de gaz. De quoi inquiéter la communauté internationale sur les conséquences environnementales dans l'Arctique. Un "Code polaire" est sur le point d'être signé par les pays membres de l'Organisation maritime internationale, soit 170 pays. Il doit clarifier l'état de la législation sur le trafic maritime ainsi que sur l'exploitation de matières premières dans cet océan encore relativement préservé.

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