Des bouteilles d'eau à prix d'or
Sur les hauteurs de Megève, à 1740 mètres d’altitude, la source de la Sasse en ce moment n’est accessible qu’en motoneige. Benoît Szymanski se rend ici régulièrement pour contrôler la qualité de sa source. À l’entendre, c’est bien plus que de l’eau qui coule ici. "On est sur un produit qui est vivant, qui sort de la montagne. C'est une expérience qu'on propose, on en est presque à boire, comme quand on était gamin, à même les mains, dans un torrent de montagne", décrit celui qui directeur commercial des sources de la Sasse. Selon lui, l’eau de la Sasse n’a pas de trait gustatif particulier et elle contient peu de minéraux. Mais il met en avant sa pureté et surtout son flacon, unique et dessiné par un artisan local. Cela expliquerait une bonne partie du prix. Pour une bouteille de 74 cl, comptez de 12 euros en épicerie fine à 18 euros au restaurant. "La philosophie, c'est d'avoir un contenant aussi exceptionnel que le contenu", fait remarquer Benoît Szymanski.
"La philosophie, c'est d'avoir un contenant aussi exceptionnel que le contenu."
Benoît Szymanski, directeur commercial des Eau de la Sasse
Commercialiser de l’eau à un prix élevé, il n’y a pas que dans les Alpes françaises qu’on y a pensé. Connaissez-vous par exemple, l’Aur'a, une eau roumaine qui contiendrait des nanoparticules d’or et d’argent? 9 euros le litre mais pas de réponse à nos sollicitations. Plus chère encore, cette eau américaine dont la bouteille est incrustée de cristaux, proposée jusqu’à 65 euros les 75 cl. Mais alors, que valent vraiment ces eaux qui affirment sortir de l’ordinaire ? "Que ce soit cette eau ou celle-ci, cela revient au même, explique un vendeur que nous interrogeons anonymement devant le rayon eau d'un grand magasin de région parisienne. C'est le packaging qui fait la différence".
Nous avons alors demandé son avis à Alexis Durand, un "sommelier en eau" dont la boutique est située dans le 15e arrondissement de Paris. Il vend certaines de ses bouteilles à des clients pas tout à fait comme les autres. "Là, il y a l'eau que boit Lionel Messi. Ici, c'est celle de Madonna et enfin, voilà celle de Tom Crusie", explique-t-il devant un présentoir qui rassemble une trentaine d'eaux de prestige. Pour nous prouver le caractère unique de ses produits, cet ancien expert en vin nous propose la dégustation d’une bouteille islandaise. "Elle est vraiment typiquement caractéristique des eaux de glacier. On retrouve vraiment la jeunesse, la fraîcheur dans l'eau", décrit-il à la manière de l'ancien sommelier en vin qu'il a été, après avoir dégusté un verre d'eau. Question:les qualités intrinsèques d'une eau justifient-elles que certaines bouteilles soient vendues une dizaine d'euros et parfois beaucoup plus ? "L'eau pour moi symbolise la santé, répond Alexis Durand. Qu'est-on prêt à dépenser pour être en bonne santé ?", interroge-t-il à son tour.
Des doutes scientifiques et écologiques
Ces eaux de prestige auraient donc des vertus médicinales et seraient - pour une partie d'entre elles - riches en minéraux, d’où leurs prix élevés. Beaucoup de marques mettent d'ailleurs ces atouts en avant dans leurs publicités. "Boire régulièrement l'eau Aur'a permet de renforcer votre système immunitaire", indique par exemple l'eau roumaine aux nanoparticules d'or et d'argent. "Probablement l'eau la plus pure du monde", indique une autre marque qui propose de "l'eau de brouillard". Des slogans qui agacent Bernard Legube. Pour ce professeur émérite de l'université de Poitiers qui étudie depuis cinquante ans l'eau, les propriétés thérapeutiques de nombreuses eaux minérales resteraient à prouver. Selon lui, l’eau dite de luxe est peut-être une affaire de collectionneur mais certainement pas de santé. Il donne l'exemple des eaux de glaciers. "Une eau extraite d'un glacier va être absolument sans goût, précise-t-il. La différence de qualité entre cette bouteille et celle qu'on va trouver vous et moi dans le supermarché du coin n'existe pas. Cela ne justifie pas qu'on vende un litre d'eau 50 euros la bouteille." Cette émergence de nouvelles eaux en bouteille inquiète aussi les militants écologistes. Selon une étude suisse, à cause du transport et de la fabrication des bouteilles, le bilan carbone d’un litre d’eau minérale est en moyenne 1500 fois pire que celui d’un litre d’eau du robinet.
Parmi nos sources (liste non exhaustive) :
"L'eau du robinet, une évidence", 2022, Office fédéral de l'environnement, Suisse.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.