COP28 : "Le chemin de la sortie des énergies fossiles est un chemin compliqué", observe Jean-Marc Jancovici, membre du Haut conseil pour le climat

Alors qu'un accord a été trouvé mercredi à la COP 28 de Dubaï, l'expert du climat souligne que "les pays producteurs de pétrole ne vont pas renoncer au pétrole comme ça d'un claquement de doigts".
Article rédigé par franceinfo
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Dubai le 12 décembre 2023 (MARTIN DIVISEK / EPA)

"Le chemin de la sortie des énergies fossiles est un chemin compliqué", observe Jean-Marc Jancovici, président du groupe de réflexion "The Shift Project", membre du Haut conseil pour le climat, invité sur franceinfo, alors qu'un accord a été trouvé mercredi 13 décembre à la conférence des parties sur le changement climatique (COP28), organisée à Dubaï depuis le 30 novembre, après une nuit supplémentaire de tractations. Les pays du monde entier approuvent un appel historique à une "transition" hors des énergies fossiles, a déclaré la présidence émiratie de cette COP28.

Franceinfo : Il n'est pas question de "sortie", mais d'une "transition" hors des énergies fossiles. Pour vous, que faut-il comprendre ?

Jean-Marc Jancovici : En fait, il y a toujours un petit côté un peu déceptif dans les COP parce qu'il faut bien se rendre compte qu'il n'y a pas de "chef du monde". Une COP, ça n'est rien d'autre qu'une déclaration d'intention mise en forme. Il n'y a pas de sanction si les États ne font pas ce qu'ils ont dit qu'ils feraient.

Pourtant, encore une fois ce matin, des pays parlent "d'accord historique"...

L'accord de Paris (COP21, en 2015) était historique. Si on regarde ce qui s'est passé depuis ça, la trajectoire physique sur les gaz à effet de serre, n'a pas beaucoup dévié de ce qu'elle était avant. En fait, une COP, il faut bien comprendre que c'est essentiellement un endroit où on entérine ce que les pays sont déjà prêts à faire pour des raisons domestiques. L'Europe, par exemple, a déjà commencé à légiférer. Elle a décidé d'interdire la vente des véhicules thermiques en 2035, elle a décidé que les bâtiments devaient être neutres en carbone en 2050... Quand elle va à la COP, elle dit ça. "C'est mon niveau d'ambition à moi et je voudrais qu'on se cale dessus." La Chine, elle, est dans une phase de rattrapage, on va dire. Elle essaie de retrouver la place qu'elle a toujours eue historiquement sur la planète, hors de la moitié du dernier siècle, c'est-à-dire la première puissance économique mondiale. Et elle se dit d'abord : "J'y vais et puis on verra ce qu'on fait avec le climat."

Et il y a les pays pétroliers, on peut dire que les masques sont tombés pendant cette COP28 ?

Non, les masques ne sont jamais vraiment tombés parce qu'ils n'ont jamais été vraiment mis. Les pays pétroliers produisent du pétrole et ils ont l'intention de produire du pétrole aussi longtemps qu'ils pourront produire du pétrole. Enfin, je veux dire pourquoi et comment voulez-vous qu'il fasse autre chose ? Imaginez la France disant : "Au nom du climat, je renonce au tourisme." C'est exactement pareil. Les pays producteurs de pétrole ne vont pas renoncer au pétrole comme ça d'un claquement de doigts. Qu'est-ce que vous leur proposez en échange ? La" realpolitik" fait que dans ce genre d'enceinte qu'est la COP, on ne peut pas espérer de miracles.

Mais si on s'est focalisé depuis quelques jours sur la sortie des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), c'est bien parce que tout le monde sait que c'est la condition sine qua non pour ralentir le réchauffement.

Absolument, mais ce qu'on sait de plus en plus aussi, c'est que les énergies fossiles ont fait le XXᵉ siècle. Donc c'est à cause des énergies fossiles que nous avons tous une voiture, que nous vivons en ville, que nous sommes passés de 20 à 100 kilos de viande mangés par personne par an… Et donc dire d'un claquement de doigts, "on va renoncer à tout ça", ce n'est pas si simple. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas le faire. Je dis juste que de s'imaginer que c'est quelque chose qui va se décider à l'unanimité parce que c'est le cas dans les enceintes onusiennes, par consensus et en se disant "on va y arriver facilement, il n'y a qu'a décider de le faire", malheureusement, c'est se bercer d'illusions. Le chemin vers la sortie des énergies fossiles est un chemin qui va être compliqué.

Ce mot de "transition vers une sortie des énergies fossiles", pour vous, c'est un progrès ?

Peu importe les mots qui sont utilisés dans les COP. Les vrais progrès, ce sont quand il y a des objectifs quantitatifs qui émergent. Par exemple, à Copenhague (COP15), en 2009, on a vu émerger le seuil de température à deux degrés. Ça, c'est un vrai progrès. Parce que même si la COP n'a aucun effet coercitif par elle-même, à partir du moment où il y a un chiffre qui commence à circuler dans les esprits, ça c'est quelque chose d'important. Et Paris n'a fait qu'entériner ce chiffre de deux degrés qui était né à Copenhague en 2009.

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