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Convention citoyenne pour le climat : "La quasi-totalité des sujets qui fâchent a été mise de côté", regrette un avocat spécialiste de l'environnement

Avocat en droit de l'environnement et ancien porte-parole de France Nature Environnement, Arnaud Gossement a lu les propositions qui doivent être soumises au vote de la Convention citoyenne pour le climat. Il se montre très critique sur leur intérêt et leur portée.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'avocat Arnaud Gossement, lors d'un colloque d'Europe Écologie Les Verts, le 4 avril 2015, à Paris. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

La Convention citoyenne pour le climat ne fait pas l'unanimité chez les défenseurs de l'environnement. Critique du dispositif de départ, l'avocat Arnaud Gossement n'est pas du tout convaincu par les mesures sur lesquelles les 150 citoyens tirés au sort doivent se prononcer samedi 20 et dimanche 21 juin. "Ce rapport, il aurait pu avoir pour titre 'Demain, on rase gratis'. C'est une compilation des idées généreuses qui existent depuis 20 ans", estime celui qui a participé au Grenelle de l'environnement en 2007 comme porte-parole du réseau associatif France Nature environnement.

Franceinfo : Quelle a été votre réaction en découvrant ce rapport ?

Arnaud Gossement : J'ai été surpris. J'avais des informations qui me laissaient penser à un rapport plus court. Certains citoyens craignaient qu'un rapport trop long ne permette au gouvernement de piocher. Lorsqu'on élabore deux-trois mesures fortes plutôt que 150, c'est plus facile de les voir reprises sans filtre.

Ma deuxième surprise, c'est le ton. On pouvait s'attendre à un rapport de citoyens. Par bien des aspects, c'est un rapport d'experts : il est évident qu'énormément de propositions n'ont pas été élaborées que par les citoyens. Le message des organisateurs est de dire qu'ils ont eu l'appui d'experts qualifiés. Il y a un ensemble de parties qui montre une expertise d'assez haut niveau, presque technocratique.

Enfin, ils proposent plus des adaptations que des révolutions. C'est presque un peu dommage. On aurait aimé un peu plus d'imprudence de la part de citoyens. Quand on demande des notes à l'administration de l'Etat pour savoir quelles mesures on peut prendre, on obtient cela.

Certaines propositions, comme la réduction du temps de travail à 28 heures ou l'interdiction de la vente des véhicules polluants, sont pourtant tranchées...

Pour moi, il y a deux catégories de propositions. Celles qui sont susceptibles d'être traduites en règles de droit et celles qui ressemblent à des voeux, soit parce qu'elles sont imprécises, générales, ou à rebours des idées de la majorité. C'est vrai que lorsque j'ai identifié des propositions qui, selon moi, ne peuvent pas être reprises par le gouvernement, comme la réduction du temps de travail, je ne leur ai pas accordé tant d'intérêt que cela. Sur les véhicules neufs, le secteur automobile souffre, l'Etat vole à son secours. Je ne l'imagine pas dire ensuite "je vais amputer votre carnet de commandes".

Sur le fond, comment jugez-vous le contenu des propositions ?

Il y a un grand manque. Il ne faut pas oublier qu'à l'origine de cette Convention, il y a la taxe carbone et la crise des "gilets jaunes". Quand on recherche ces deux termes dans le document, on trouve deux occurrences : l'une, pour rappeler la crise des "gilets jaunes", et la seconde pour fixer cette taxe aux frontières de l'UE. La Convention est-elle pour ou contre la taxe carbone ? On n'en sait rien.

Ce n'est pas le seul oubli de ce rapport. La quasi-totalité des sujets qui fâchent a été mise de côté. Le rapport, consacré au climat et à l'énergie en France, réussit le tour de force de ne jamais parler de nucléaire. Pas un mot sur cette énergie qui représente pourtant une large part de notre production d'électricité, et dont le coût pèse déjà sur le budget consacré à la transition énergétique.

D'une manière générale, dans le contexte post-coronavirus, nous avons un Etat qui a beaucoup dépensé, des ménages qui ont moins d'argent et un chômage qui augmente. La clé, c'est la question du financement. Ce rapport, il aurait pu avoir pour titre "Demain, on rase gratis". C'est une compilation des idées généreuses qui existent depuis 20 ans. Mais cela fait 20 ans que l'on sait qu'il y a un problème de financement. C'est l'énorme défaut de la Convention, qui devait s'atteler au problème. Or, il n'y a rien [une synthèse sur la question doit tout de même être jointe aux mesures dans le rapport]. Où trouver l'argent ? La taxe sur les dividendes, ce n'est rien du tout : les entreprises susceptibles de faire l'objet d'une telle taxation [celles qui distribuent plus de 10 millions d'euros de dividendes] doivent représenter 1% des boîtes françaises. C'est totalement symbolique.

Pensez-vous que cette Convention puisse déboucher, a minima, sur quelques avancées ?

Je suis très pessimiste, pour trois raisons. D'abord, donc, il aurait fallu commencer par le financement. Rappelez-vous quand Nicolas Hulot fait ses propositions en 2006 pour un pacte écologique, la taxe carbone est la première d'entre elles. C'est la solution. Tant que le pétrole n'est pas cher, les gens en consommeront. Il faut en sortir, avec des mécanismes redistributifs.

Ensuite, ma grande crainte, c'est le référendum. C'est la pire des choses. L'environnement est un sujet complexe. Va-t-on fracturer la France à la veille de la présidentielle ? Il y aura de la personnification, et beaucoup d'électeurs voteront en fonction de qui défend telle ou telle proposition. Les citoyens, en faisant un catalogue, laissent la main libre à l'Etat pour piocher. Et que fait-on si une proposition de lutte contre le changement climatique est refusée lors de ce scrutin ? Cela n'a pas de sens, c'est absurde de faire un référendum sur l'état de la planète.

Le dernier point, c'est qu'il y a une absence d'analyse juridique. Je sais que certaines choses doivent faire l'objet d'une transcription légistique, mais je n'y ai pas eu accès. C'est pourtant le plus intéressant. Tous les juristes vous diront qu'entre l'intention et la règle de droit, il peut y avoir un monde. Ensuite, le droit de l'environnement (notamment concernant les déchets et l'énergie) relève dans 95% des cas de la compétence de l'Union européenne. Les 150 citoyens ne se posent à aucun moment la question du niveau de compétence : français, européen, national, local ? Emmanuel Macron ne peut pas reprendre sans filtre des choses dont décident en réalité l'UE ou des élus locaux. Par ailleurs, à chaque fois qu'il y a une proposition, il n'y a pas de présentation du cadre juridique existant. La rénovation des bâtiments, cela existe déjà : c'est dans deux lois récentes. Ce n'est pas du tout nouveau, je n'ai pas vu de grande différence, hormis le fait qu'on repousse l'échéance à 2040. Ils auraient dû préciser ce qui existe, ce qu'on va modifier, et comment c'est modifiable.

Bref, tout cela est très sympathique, mais j'attendais du droit, des financements et un peu plus de développement sur la mise en oeuvre. C'est vrai, il y a un catalogue très fourni, mais l'essentiel manque.

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