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Pêche, abattage d'arbres, chasse... Des experts internationaux de la biodiversité alertent sur l'exploitation non durable des espèces sauvages

Dans un rapport publié vendredi, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) se penche sur l'utilisation par l'homme de la faune et la flore sauvage, à l'heure où de nombreuses espèces disparaissent.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
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Temps de lecture : 4 min
Des ouvriers déchargent une cargaison de thons, le 11 mars 2022 à Manta (Equateur). (RODRIGO BUENDIA / AFP)

C'est l'autre crise environnementale, avec le réchauffement climatique, qui menace l'équilibre de nos sociétés. Un million d'espèces animales et végétales voient leurs populations fondre sous l'effet de la destruction des habitats, des pollutions, du changement climatique, de leur surexploitation et des espèces invasives. Alors que cette érosion de la biodiversité s'accélère, les scientifiques de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) publient, vendredi 8 juillet, un rapport sur l'exploitation des espèces sauvages par l'homme, via des activités comme la pêche, l'abattage d'arbres, la chasse ou encore le tourisme.

L'objectif : faire le point sur la situation et dégager des solutions pour une utilisation durable de ces espèces indispensables à la vie humaine. Franceinfo résume les principaux enseignements de ce rapport, fruit de quatre ans de travail.

L'humain a besoin des espèces sauvages

L'exploitation des espèces sauvages est aujourd'hui centrale. "S'assurer de [leur] utilisation soutenable est crucial pour l'humanité et pour empêcher le déclin de la biodiversité", écrivent les scientifiques. C'est particulièrement vrai pour 45% de la population mondiale (3,5 milliards), la plus pauvre, qui dépend directement de ces espèces. "Pour ces populations vulnérables, elles sont essentielles pour la sécurité et la souveraineté alimentaires, parce qu'elles sont souvent l'unique source de protéine", explique à franceinfo Marie-Christine Cormier-Salem, l'une des autrices principales du rapport.

La chercheuse en sciences sociales de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) cite l'exemple des femmes de Casamance (Sénégal), qui ramassent les huîtres dans les mangroves. "Cela leur permet d'améliorer le quotidien alimentaire de leur famille et également, par la vente, de financer des dépenses de santé ou de scolarité", détaille-t-elle.

Cet usage n'est pas uniquement alimentaire. Il est aussi énergétique – un tiers de la population mondiale dépend du bois pour cuisiner ou se chauffer –, spirituel pour les communautés indigènes, ou encore touristique.

Ces espèces sauvages sont menacées et la situation empire

Observateur du CNRS auprès de l'IPBES pour ce rapport, l'écologue Philippe Grandcolas résume : "Nous sommes sur une trajectoire terrible." A ce jour, selon le rapport, 34% des poissons de mer sont victimes de surpêche, à cause de l'augmentation de la demande. C'est le cas des requins. "Il y a aujourd'hui un marché très demandeur d'ailerons de requin, qui entraîne une pression sur la ressource", analyse Marie-Christine Cormier-Salem. Les squales font aussi partie, avec les tortues, les raies, les mammifères et les oiseaux marins, des espèces menacées par les captures accidentelles, lorsqu'elles se prennent dans des filets lancés pour pêcher d'autres animaux.

La situation n'est pas meilleure sur la terre ferme. "Globalement, les populations de nombreux animaux terrestres déclinent à cause d'un usage non soutenable", assure le rapport. En cause : la chasse, via notamment la transition d'une pratique locale de subsistance vers une pratique commerciale. Les plantes aussi souffrent. L'exploitation forestière, via des pratiques destructrices ou des coupes illégales, "menace l'usage soutenable des forêts naturelles", constate l'IPBES. "L'augmentation de la demande en bois de construction ne sera pas compensée par la plantation de forêts", avertit l'organisme. Les fleurs sauvages sont aussi menacées par la cueillette illégale.

A l'avenir, la situation ne va pas s'arranger. "Le changement climatique a un impact de plus en plus fort et pose de nombreux défis", prévient l'IPBES. L'augmentation de la température, la modification de la pluviométrie et la multiplication des événements extrêmes comme les sécheresses ou les vagues de chaleur sont une menace pour la faune et la flore. Par exemple, "des feux de forêt répétés et intenses ont le potentiel de dégrader le paysage, de réduire la densité d'espèces locales et d'entraîner la prolifération d'espèces invasives", détaillent les scientifiques.

L'augmentation de la population humaine et de la consommation globale constituent une autre tendance menaçante. "La demande de poissons va doubler d'ici le milieu du siècle et augmentera dans toutes les régions", avertit l'IPBES.

Des solutions durables existent

Côté solutions, l'IPBES insiste d'abord sur la nécessité de bâtir des politiques sur-mesure, adaptées à la diversité des contextes sociaux et écologiques. "Beaucoup de mesures ont fonctionné dans certaines circonstances et échoué dans d'autres", souligne le rapport. Cette précision faite, le texte liste une série de critères importants : les mesures doivent par exemple être inclusives, participatives et justes socialement.

"Si vous traitez des gens qui chassent ou pêchent pour se nourrir de manière aussi sévère et stricte que des activités industrielles à but lucratif, cela ne peut pas fonctionner."

Philippe Grandcolas

à franceinfo

Elles doivent aussi s'appuyer sur un suivi scientifique précis des espèces et les savoirs des populations locales et être capables de s'adapter à une situation changeante.

Enfin, l'IPBES invite à arrêter de considérer l'homme comme une espèce supérieure, au-dessus des autres et de la nature. Cette conception, très répandue dans le monde occidental, a "provoqué des crises environnementales majeures, comme le changement climatique et l'érosion de la biodiversité", relèvent les scientifiques, avant de conclure : "Considérer que l'homme fait partie de la nature posera les fondations d'une relation plus respectueuse et soutenable, comme nous le montrent les communautés indigènes".

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