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«Envoyé Spécial»: «La Corée du Nord veut donner l’image d’un pays moderne»

Les journalistes Nathalie Tourret et Julien Alric ont déjà maintes fois séjourné en Corée du Nord. En octobre 2014, ils ont tenté de rendre compte du quotidien des Nord-Coréens qui subissent l'une des plus féroces dictatures au monde. «Envoyé Spécial» diffuse leur reportage ce jeudi 16 avril 2015 sur France 2. Retour sur un tournage inédit avec Nathalie Tourret.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
  (AFP - KCNA via KNS )

Nathalie Tourret a été correspondante en Corée du Sud, au Japon, en Australie et en Autriche pour plusieurs médias français. Parmi eux, France 24, TV5 Monde, Canal Plus, Radio France et RFI. Julien Arlic est journaliste reporter d’images, réalisateur et monteur. Il a également été correspondant pour plusieurs médias et a collaboré à l’émission Un Œil sur la planète diffusée sur France 2. 

Pourquoi les autorités nord-coréennes, dont la mauvaise réputation n’est plus à faire, vous ont-elles permis de faire ce reportage?
Elles ont envie de changer un peu leur image. Elles s’appuient donc sur des journalistes qui connaissent assez bien la zone en se disant qu’ils donneront une vision moins manichéenne du pays. Julien Alric et moi-même sommes déjà allés en Corée du Nord plusieurs fois. Quand on connaît les deux Corées, il y a des choses qui ne vous étonnent plus. Par conséquent, la critique se fait moins systématique.

La société a-t-elle évolué ces quinze dernières années, notamment sur le plan socio-économique? 
En termes de régime, rien n’a changé. Il s’est même durci avec l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un qui est à l’origine de purges, même au sein de sa propre famille. Les garde-frontières ont, par exemple, l’ordre de tirer à vue à la frontière entre la Chine et la Corée du Nord pour décourager ceux qui veulent quitter le pays.

La seule qui ait vraiment changé, c’est la capitale Pyongyang. J’y suis allée la première fois en 2001. A l’époque, tout était gris, vétuste… Aujourd’hui, la ville s’est développée, les gens portent des vêtements plus colorés, les femmes sont coiffées, les gens ont des téléphones portables même s’ils ne peuvent pas appeler à l’étranger. Il y a également des touristes, ce qui constitue une manne financière pour le régime. Ils sont pour la plupart Chinois ou originaires de l’ancien bloc soviétique. Il semble y avoir plus d’échanges économiques, notamment avec la Chine. Les vêtements, par exemple, viennent de l’Empire du milieu. Ce régime nord-coréen, terrible pour ses citoyens, semble prendre soin de son image : dans le coeur de la capitale, il crée des espaces verts, rénove des rues, fait construire des parcs d’attraction… et mise beaucoup sur le tourisme. Le pouvoir nord-coréen veut donner l’image d’un pays moderne, qui se développe. Nous ne sommes évidemment pas dupes. Nous avons essayé de montrer la réalité en étant au plus près des gens.

Il semble y avoir, ces dernières années, un essor du secteur privé dans un pays où l’Etat vérouille tout…
On constate une ébauche d’économie de marché. A Pyongyang, il y a même quelques centres commerciaux qui proposent des produits importés. Il y a régulièrement des visites d’investisseurs étrangers, européens, entre autres… Mais on est très loin d’une ouverture assumée, à la Deng Xiaoping. Autoriser le secteur privé équivaut pour le régime nord-coréen à reconnaître qu’il n’est pas capable de subvenir aux besoins de la population et par conséquent reconnaître l’échec de sa politique. Le discours assure que l’Etat prend tout en charge: nourrit, loge et soigne tous les citoyens. Pour l’heure, la réalité, c’est que l’Etat tolère, par exemple, que les agriculteurs vendent la petite production de leurs lopins de terre privés sur les marchés. Cela leur garantit un petit revenu. 

La Corée du Nord est un pays fermé. Comment gère-t-on le peu de liberté dont on dispose en tant que journaliste? Quelles ont été vos contraintes?
Tourner en Corée du Nord est très difficile pour de multiples raisons. Il faut d’abord obtenir le visa, ce qui est très difficile. Ensuite, on soumet une longue liste de sujets que l’on souhaite traiter… On obtient généralement peu d’autorisations, in fine. Mais ce que nous avons réussi à filmer est exceptionnel et s’explique par le fait que nous avions déjà obtenu des autorisations de tournage.

Par ailleurs, outre le fait d’être constamment surveillé, il faut faire attention à ne pas mettre les gens que vous interviewez en porte-à-faux. Il faut les préserver, car les questions indélicates peuvent avoir de très graves répercussions. Aussi, on ne les interroge pas, évidemment, sur les atteintes aux droits de l’Homme… Il faut tabler sur des questions un peu «naïves» et laisser tourner la camera pour capter aussi les regards, les mimiques, qui en disent parfois plus long qu’une réponse convenue. 

Notre reportage, dans lequel nous ne voulons pas faire l'apologie du régime, sera diffusé en France. Bien évidemment, il ne sera jamais vu par les citoyens nord-coréens, mais les autorités ne manqueront pas de le passer au peigne fin. A mon avis, nous ne retournerons pas en Corée avant plusieurs années.
 
Par quoi avez-vous été le plus marqué dans cette Corée du Nord que vous avez redécouvert?
Julien et moi avons tous les deux été marqués par «l’histoire de la poire». Nous étions logés dans un hôtel d’Etat parce que le gouvernement tente toujours de se montrer sous son meilleur jour. Quarante-huit heures avant, nous nous étions arrêtés en chemin et nous avions acheté des poires chez une dame. Nous avons décidé de les consommer au petit déjeuner. Malheureusement, la poire de Julien était complètement gâtée. Nous l’avons laissée sur la table parce que, pour nous, elle était bonne pour la poubelle. Le lendemain, quand nous sommes revenus prendre notre petit déjeuner, elle était toujours là. Pour nos hôtes, il était impensable qu’on puisse jeter ce fruit. C’est très révélateur du rapport que les Nord-Coréens ont avec la nourriture et ça vous permet, de votre côté, de remettre les choses en perspective. Aujourd’hui, on ne peut plus parler de «famine» en Corée du Nord, du moins comparable à celle qui a sévi dans les années 90, mais on ne mange toujours pas à sa faim dans ce pays. C'est le cas de 80% des Nord-Coréens, selon les Nations Unies.

> Envoyé Spécial: Carnet de route en Corée du Nord, un reportage de Nathalie Tourret et Julien Alric 
Diffusion le jeudi 16 avril 2015 à 20h55 sur France 2

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