Haut-Karabakh : l'Unesco propose l'envoi d'une mission d'experts pour dresser "un inventaire" du patrimoine culturel local
Depuis le cessez-le-feu instauré le 10 novembre 2020 dans le conflit opposant l'Azerbaïdjan à l'Arménie sur la question des territoires disputés du Haut-Karabakh, les inquiétudes s'accroissent quant à la préservation d'un patrimoine culturel millénaire dans les régions récemment perdues par les Arméniens.
L'Unesco a proposé d'envoyer une mission d'experts au Haut-Karabakh (ou Nagorny Karabakh en russe), "avec l'accord des parties concernées", pour faire le point sur les biens culturels de la région, a annoncé vendredi l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, basée à Paris.
Au cours de rencontres mercredi avec les représentants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, sa directrice générale Audrey Azoulay "a proposé le concours technique des services de l'Unesco" en vue d'une éventuelle "mission sur le terrain afin de dresser un inventaire préliminaire des biens culturels les plus significatifs, comme préalable à une protection effective du patrimoine de la région".
À ses interlocuteurs, Audrey Azoulay a "réaffirmé la dimension universelle du patrimoine culturel, témoin de l'histoire et indissociable de l'identité des peuples, que la communauté internationale a le devoir de protéger", selon un communiqué prudent de l'Unesco qui se garde visiblement de mettre en avant la présence historique des Arméniens dans la région. Elle a notamment évoqué la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé qui permet au secrétariat de l'Unesco d'envoyer une telle mission. Néanmoins, cela ne s'est jamais produit. Ce serait donc une première.
Alertes sur des actes de vandalisme et de destruction
Ces dernières semaines, l'Unesco a reçu un flot d'informations sur des actes de vandalisme et de destruction touchant le patrimoine et les biens culturels du Haut-Karabakh : des vidéos et images d'églises taguées ou dépossédées de leurs dômes, des statues renversées, martelées par des soldats hilares (qui ne parlent pas arménien), circulent ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Les Arméniens redoutent l'effacement pur et simple des traces de leur présence depuis la nuit des temps dans une région où l'on trouve de nombreux monastères très anciens et des vestiges remontant au moins jusqu'au cinquième siècle, voire jusqu'au quatrième. Des monuments arméniens très anciens ont déjà été rayés de la carte dans les années 2000 dans une autre région contrôlée par l'Azerbaïdjan, le Nakhitchevan (lien en anglais).
Pour s'assurer de la possibilité de la mise en œuvre d'une telle mission, Audrey Azoulay a mené une série de consultations, ces derniers jours, avec l'Azerbaïdjan et l'Arménie, mais aussi avec les coprésidents du groupe de Minsk (France, Russie, États-Unis) de l'OSCE, médiateurs dans ce conflit.
Ayaz Gojayev, délégué permanent adjoint de l'Azerbaïdjan auprès de l'Unesco et Christian Ter Stépanian, ambassadeur arménien, délégué permanent auprès de l'Unesco, ont chacun manifesté "une ouverture sur le principe", ont indiqué à l'AFP des sources proches du dossier. Audrey Azoulay s'est entretenue en début de semaine avec l'ambassadeur russe auprès de l'Unesco, après que le président russe Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov ont évoqué leur souhait que l'Unesco s'engage pour la protection du patrimoine, selon l'organisation.
Elle a poursuivi ses consultations jeudi soir auprès du président français Emmanuel Macron qui a apporté son soutien à l'initiative de l'Unesco, selon les mêmes sources, avant de s'entretenir vendredi à la mi-journée avec le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov. Ce dernier l'a "félicitée pour cette initiative et a apporté le plein soutien de la Russie", selon ces sources. Lors de cet échange téléphonique ont notamment été évoquées "les prochaines étapes et l'importance de l'appui politique à cette initiative".
Une "fenêtre d'opportunité" et des "bases pour avancer"
L'Unesco devrait poursuivre les contacts "avec tous les acteurs qui souhaitent y contribuer". Si la prudence reste de mise, "on a le sentiment à l'Unesco qu'il existe une fenêtre d'opportunité et qu'on a les bases pour avancer", alors que depuis la première guerre des années 90, l'agence onusienne n'a jamais pu se rendre dans cette région, malgré des tentatives en ce sens.
Soutenu par l'Arménie, le Haut-Karabakh, enclave offerte par Staline à l'Azerbaïdjan au début des années 1920, avait déjà été le théâtre d'une guerre ayant fait plus de 30.000 morts au début des années 1990. Une fois les conditions politiques réunies, il restera la phase pratique de l'envoi d'une telle mission, complexe et qui devrait prendre plusieurs semaines. Devront notamment être déterminés le périmètre de la mission - l'Unesco souhaitant pouvoir accéder aux zones géographiques des deux côtés -, les biens qui seront visés, et la composition même de la mission, avec le choix d'experts "incontestables". Une phase "compliquée" également.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.