Comment se structure le pouvoir libyen ? Qui sont les opposants ? Qui est Mouammar Kadhafi ?
Autant de questions complexes auxquelles nous tentons de vous répondre... simplement.
Et en bonus une "fiche d'identité" pour tout savoir sur le pays.
Comment est structuré le régime libyen ?
Le "Guide suprême du pays", Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 1969, a inventé le système de la Jamahiriya, "l'Etat des masses". Un système qui se veut une sorte de démocratie directe: le peuple gouvernerait au travers des assemblées de base, les comités populaires, représentés au niveau national par le Congrès général du peuple.Voilà pour la théorie. En pratique, le régime, dictatorial, est "dirigé par un leader s'appuyant sur une garde prétorienne et sur un organisme politique, les comités révolutionnaires, une milice populaire (...) qui chapeaute, dirige et surveille les comités populaires", explique Le Figaro. Ladite milice chapeaute également la troisième composante du pouvoir: l'armée. Mais dans le même temps, les comités révolutionnaires peuvent être "court-circuités par des solidarités tribales encore extrêmement vives", comme l'observent deux spécialistes de la Libye, François Burgat et André Laronde, dans un "Que sais-je" cité par le quotidien.
Le "Guide suprême" distribue aux tribus postes et récompenses alors que celles-ci ont pris l'habitude d'investir les différentes institutions. "Leur influence est encore grande dans une société où l'on se réfère souvent à un chef avant d'obéir à un Etat qui, en principe, n'existe pas", commente Le Figaro.
Pourquoi la révolte est-elle partie de l'est ?
Les années 90 ont déjà vu l'insurrection, dans la partie orientale du pays, d'un "Groupe islamiste combattant". La répression fut féroce. Benghazi, notamment, avait déjà été bombardé. A l'époque, le régime de Kadhafi aurait recruté "quelque 10.000 hommes, ressortissants de l'ex-URSS ou de l'ex-Yougolsavie" pour combattre les insurgés, rapporte Libération. Il craignait que l'armée se rallie aux insurgés.
La partie orientale du pays est victime de ségrégation. La dictature "a systématiquement exclu de l'appareil d'Etat et de la rente pétrolière les tribus de l'est", explique dans le quotidien Luis Martinez, directeur de recherche au CERI-Sciences Po (auteur de "Violence de la rente pétrolière: Algérie, Libye, Irak").
La raison est notamment à chercher dans l'histoire: pendant la Seconde guerre mondiale, les Britanniques s'appuyaient sur la confrérie des Sanoussia. Après l'indépendance (la Libye fut avant le conflit une colonie italienne), acquise en 1951, celle-ci continua à être favorisée par le régime monarchique qui avait installé sa capitale dans l'est, à Al Bayda. Régime renversé en 1969 par Mouammar Kadhafi.
Le centre de gravité du pays s'est alors déplacé vers l'ouest, et d'autres tribus. Mouammar Kadhafi serait lui même issu de la petite tribu des Kahdaf, basé à Syrte sur la côté méditerranéenne. Le pouvoir a également été attribué à d'autres groupes: "les Warfaala, très présents dans l'appareil sécuritaire, et les Margharha, nombreux dans l'administration et le commerce", selon le chercheur du CERI.
Sur qui s'appuie le régime ?
Le régime de Kadhafi s'appuie apparemment sur des mercenaires venus des milices que Mouammar Kadhafi avait payées et soutenues en Afrique, notamment au Soudan. La dictature utilise également les services d'autres forces supplétives: les gardes révolutionnaires, les comités révolutionnaires, la police politique etc...
"Les mercenaires ont toujours existé en Libye, mais il est vrai que leur nombre s'est intensifié ces derniers temps", constate dans Le Monde la présidente de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), Souhayr Belhassen. "Comme l'armée a décidé (...) ne pas suivre Kadhafi, celui-ci a largement recours au mercenariat pour réprimer les manifestants. Ce qui est inquiétant, c'est que ces mercenaires recrutés viennent du Sud-Sahara, d'où viennent également les migrants. Et il serait dramatique de confondre ces mercenaires avec les 1,3 million de migrants qui sont dans le pays", poursuit-elle.
"Dans les villes du pays, à l'exception de Tripoli et de la ville de Syrte [cité natale de Kadhafi sur la Méditerranée], l'armée régulière s'est ralliée aux manifestants", précise Souhayr Belhassen.
Qui sont les opposants ?
Cette opposition apparaît peu structurée dans une société laminée par plus de 40 d'une dictature impitoyable.
Le mouvement insurrectionnel a été au départ influencé par les évènements de Tunisie et d'Egypte. "On y retrouve en premier lieu les jeunes, pour la plupart diplômés et chômeurs, qui ne trouvent pas de débouchés dans une économie peu diversifiée où 90 % des revenus proviennent de la rente pétrolière", explique le chercheur Luis Martinez dans Libération.
C"est par l'intermédiaire de Facebook que ces opposants, réunis dans le groupe “Révolte du 17 février 2011 : pour en faire une journée de colère en Libye", avaient appelé leurs concitoyens à manifester jeudi 17 février 2011.
Autre composantes de l'insurrection: les islamistes, surtout actifs dans l'est (voir question précédente), "apparemment la force vive de la contestation", selon Luis Martinez. Il faut prendre en compte "les défenseurs des droits de l'homme", eux aussi longtemps combattus par le régime, rapporte le chercheur du CERI.
Qui est Mouammar Kadhafi ?
Le raïs Libyen, qui affronte à son tour un mouvement populaire, règne sans partage sur son pays depuis près de 42 ans. Mouammar Kadhafi est le plus ancien chef d'Etat du monde arabe et aussi le doyen des dirigeants d'Afrique depuis la mort en juin 2009 du Gabonais Omar Bongo. Il s'est autoproclamé "roi des rois traditionnels d'Afrique".
Traité pendant des années de chef d'Etat "terroriste" par les Occidentaux, le président libyen s'est réconcilié avec l'Ouest.
Selon sa propre légende, Mouammar Kadhafi est né en 1942 sous une tente bédouine dans le désert de Syrte. Fils de berger de la tribu des Gaddafa, il reçoit une éducation religieuse rigoureuse avant d'entrer dans l'armée en 1965.
Le colonel Kadhafi n'a que 27 ans quand il renverse le 1er septembre 1969, sans qu'une goutte de sang ne soit versée, le vieux roi Idriss. Il instaure une république arabe socialiste.
Kadhafi, guide de la Jamahiriya
En 1977, Kadhafi proclame la "Jamahiriya" libyenne, "république des masses", qui gouverne par le biais de comités populaires élus. Il s'attribue le seul titre de "Guide de la révolution". Et son pouvoir reste intact. Il a énoncé ses principes politiques dans un "Livre vert", où il rejette capitalisme et marxisme.
Il exerce le pouvoir de façon fantasque sur cet immense et riche pays pétrolier peu peuplé. Il aime les tenues et le mode de vie traditionnels. En saharienne kaki, en uniforme militaire chamarré d'or ou en gandoura, la robe des Bédouins, Kadhafi aime recevoir sous la tente, à Syrte ou dans la cour de la caserne Bab El Azizia, au coeur de Tripoli.
D'ailleurs, en visite à Paris en décembre 2007, il n'avait pas voulu déroger à la "tradition du désert" et avait exigé qu'on lui dresse une tente dans les jardins de l'hôtel Marigny, résidence officielle des hôtes de l'Etat français.
Séducteur, le colonel Kadhafi apprécie la compagnie féminine. Il a constitué un corps d'"amazones", garde personnelle féminine. Il se nourrit de façon frugale, notamment de lait de chamelle. Personnage théâtral, il s'est singularisé par des actes et propos qui ont amusé le monde, distribuant les affronts à ses pairs arabes ou émettant des théories très personnelles sur l'Histoire et les hommes.
Un dirigeant au ban des nations
Lors d'un sommet arabe, en 1988, on l'a la main droite gantée de blanc. Il expliquait qu'il voulait ainsi éviter de serrer des "mains tachées de sang". Au sommet suivant, il se trouvait à côté de l'ex-roi saoudien Fahd. Fumant un gros cigare, il se tournait ostensiblement vers son voisin chaque fois qu'il exhalait la fumée. "Les élections, c'est une mascarade", affirme-t-il.
Dans les années 1990, Mouammar Kadhafi, affaibli sur la scène mondiale, déçu par ses partenaires arabes, est accusé par les pays occidentaux de soutenir le terrorisme international.
En représailles à un attentat à Berlin-ouest, les Américains bombardent ses résidences à Tripoli et Benghazi, faisant 44 morts, dont sa fille adoptive.
Il se tourne vers le continent noir et ne cesse de plaider pour la création d'"Etats-Unis d'Afrique". Elu à la tête de l'Union africaine (UA) début 2009, le Guide de la Jamahiriya libyenne a demandé à ses pairs de l'appeler désormais "Roi des rois traditionnels d'Afrique", après avoir été "adoubé" par des chefs traditionnels en Libye. Après une année chaotique où ses prises de position dissonantes ont brouillé l'image de l'institution, le dirigeant libyen cède la place au président du Malawi.
Une réconciliation surprise
En 2003, à la surprise du monde entier, Mouammar Kadhafi décide de se réconcilier avec l'Occident et annonce le démantèlement de ses programmes secrets d'armement. Ensuite, il reconnaît la responsabilité de son pays dans les attentats contre un avion américain au-dessus de Lockerbie, en Ecosse (270 morts en 1988), un avion français au Niger (170 morts en 1989) et verse des indemnisations aux familles des victimes.
L'ex-paria reçoit en Libye les dirigeants occidentaux, tandis qu'à l'étranger on lui déroule le tapis rouge, comme à Paris et plus récemment à Rome, suscitant à chaque fois des polémiques.
Fort de son pétrole, il réussit en 2008 à solder son passé avec l'Italie en obtenant des excuses et des dédommagements de Rome pour la période coloniale.
Plus récemment, il a fait plier la Suisse qui lui a présenté ses excuses, un an après que son fils Hannibal eut été arrêté à Genève pour des violences sur ses domestiques.
Un des fils de Mouammar Kadhafi, Seif Al-Islam, qui a proposé un plan de réformes pour que son pays évite la guerre civile, est régulièrement présenté comme le futur successeur de son père, même s'il s'en défend publiquement. Homme d'influence, Seif Al-Islam, 38 ans, n'occupe pas de fonction officielle.
La Libye au Conseil des droits de l'homme
La Libye a été élue en mai dernier au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, malgré les protestations de nombreuses ONG qui la jugent indigne d'y siéger. 37 organisations de défense des droits de l'homme avaient alors estimé que le régime de Mouammar Kadhafi était "une des plus brutales et des plus anciennes tyrannies", et que la Libye était "une des sociétés les plus répressives au monde", où "la liberté d'expression, les partis politiques et les médias libres sont interdits".
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