Cet article date de plus de neuf ans.
Comment lutter contre les crimes environnementaux ?
Déchets toxiques, pêches illégales, déforestation sauvage, exploitation d’espèces protégées… Au-delà des grandes décisions que pourrait prendre la COP21, reste la question de l’application de ces décisions. Or, la criminalité environnementale accélère la destruction de la planète et du climat, ont averti avant la conférence des experts internationaux.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le dossier n'est pas mince. Cette criminalité pèse lourd. Selon Interpol, les crimes contre l’environnement engendrent des profits estimés entre 70 et 213 milliards de dollars. Un marché que les différentes mafias tentent d'investir comme, par exemple, le marché européen du carbone.
«Avant la COP21, on parle beaucoup d'environnement, mais il est regrettable que la question de la criminalité environnementale soit absente de la conférence internationale de Paris, car ces délits ont un impact direct sur le climat et la destruction des ressources naturelles de la planète», juge Cees Van Duijn, responsable de la section spécialisée d'Interpol.
«La plupart des formes de criminalité environnementale – production industrielle illégale, trafic de déchets, pollution du milieu maritime, pêche illicite, déforestation, commerce illégal des bois et des végétaux accélèrent de manière significative le réchauffement climatique et la dégradation de la planète», souligne l'universitaire américaine Louise Shelley (université George Mason de Virginie), spécialiste de la criminalité transnationale.
Les crimes environnementaux
Les organisations criminelles ciblent notamment les politiques publiques, «le marché du carbone et ses dérives étant un cas d'école», note le juriste Laurent Neyret, auteur de propositions contenues dans Des écocrimes à l’écocide.
«Les atteintes à l’environnement constituent un problème international grave dont l’ampleur ne cesse de croître et qui revêt des formes très diverses», écrit Interpol. «Lorsque des politiques publiques se mettent en place dans le domaine environnemental, il faut savoir que les organisations criminelles les observent pour trouver les failles», explique Olivier Fouque, chef adjoint du Service national de douane judiciaire (SNDJ). «Elles sont toujours à la recherche d'opportunités, particulièrement sur des marchés innovants peu protégés et peu régulés comme le carbone.»
Le site de l’organisation internationale des polices détaille cette «criminalité»:
-celle liée aux espèces sauvages se définit comme l’exploitation illégale de la flore et la faune sauvages,
-celle liée à la pollution correspond au commerce et au rejet de déchets ou de ressources toxiques au mépris des législations nationales et du droit international.
S’y ajoute, le commerce des émissions de dioxyde de carbone et la criminalité liée à la gestion de l’eau.
«Les itinéraires empruntés pour le trafic transnational et transcontinental d’espèces sauvages sont souvent identiques à ceux utilisés pour le trafic d’armes, de stupéfiants et d’êtres humains. En effet, les atteintes à l’environnement vont souvent de pair avec d’autres infractions – faux passeports, corruption, blanchiment d’argent ou meurtre», affirme Interpol.
Un «Comité sur la criminalité de l’environnement»
«La sécurité environnementale fait partie intégrante de la sécurité nationale», explique Cees Van Duijn, responsable de la sous-direction criminalité environnementale d'Interpol à l'origine d'une Conférence internationale intitulée Sécurité et crimes contre l'environnement qui s'est tenue en novembre 2015 à Nîmes.
«A qui profite le crime?» A des groupes mafieux mais aussi à des gouvernements corrompus et à des entreprises, a répondu la sénatrice verte Leïla Aichi, lors de cette conférence. «Le trafic lié à la biodiversité alimente aussi les caisses de groupes terroristes» et de rebelles à travers le monde. Elle pointe également l'implication du «système de la finance internationale qui englobe aussi tout l'argent qui provient des délits qui sont commis contre l'environnement».
Machine à cash
Pour le spécialiste du droit de l'environnement et de la santé Laurent Neyret, les crimes liés à l’environnement «progressent à une vitesse inquiétante» et attirent de nombreux groupes mafieux car ils constituent des «machines à cash». Surtout que le «risque de poursuites et de sanctions est relativement faible», affirme le juriste.
Ainsi, le commerce illégal d'un kilo de poudre de corne de rhinocéros rapporte deux fois le prix d'un kilo de cocaïne. Aux Etats-Unis, par exemple, le premier délit est passible d'un maximum d'un an de prison contre dix ans pour le second. «Le chiffre d’affaires du commerce illicite d’espèces sauvages s’élèverait à 19 milliards de dollars (17 milliards d’euros), selon un rapport publié fin 2013 par le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW)», rappelait Le Monde. Dans le même article: «The Global Initiative, un réseau international d’experts du crime organisé, créé en 2013 à New York, estime que la pêche illégale rapporte aujourd’hui 23 milliards de dollars par an et que la Camorra, l’un des acteurs clés du trafic de déchets toxiques exportés vers les pays les plus pauvres comme la Somalie, en retire chaque année un butin de 27 milliards de dollars.»
La sénatrice verte Leïla Aichi a d'ailleurs rappelé qu'en Somalie, la majorité des pirates sont des pêcheurs ou fils de pêcheurs qui ont vu disparaître les ressources halieutiques.
L’exemple du carbone
On a constaté des infiltrations mafieuses massives des marchés européens de quotas de gaz à effet de serre qui ont eu pour effet l'impossibilité d'atteindre les objectifs fixés par la puissance publique et des pertes fiscales importantes. Les organisations criminelles qui ont investi le marché carbone sont «extrêmement sophistiquées», alliant «délinquance classique et cybercriminalité» et disposant «de structures juridiques, de sociétés opaques, de comptes financiers dans des paradis fiscaux, numériques et bancaires», analyse Olivier Fouque de la SNDJ.
«Si on l'invitait à la table de la conférence de Paris, le crime organisé serait vraisemblablement le 4e ou le 5e émetteur de CO2 au plan mondial», assure Nicolas Imbert, de la Fondation Green Cross France. «Tant que l'on ne mobilise pas des moyens à la hauteur des enjeux, il y aura toujours un trou dans le filet et c'est la planète, le climat et nous tous qui en subiront les conséquences».
Un tribunal international ?
On se souvient qu’en 2006, le Probo Koala, navire pétrolier immatriculé au Panama, appartenant à une compagnie grecque et affrété par une société hollandaise et suisse, dont l'équipage était russe, avait déchargé des produits qui se sont révélés toxiques en Côte d’Ivoire, provoquant la mort de 17 personnes. Cette affaire avait révélé la difficulté de suivre la trace des produits et l’établissement des responsabilités. Un dossier qui ne serait toujours pas totalement fermé aujourd'hui.
«La notion de crime contre l'environnement est apparue quand la vie humaine a été réellement en jeu», a expliqué l'ex-ministre française de l'Environnement, Corinne Lepage, considérant la catastrophe industrielle meurtrière de Bhopal (Inde), en 1984 comme un tournant. Mais le marché des crimes environnementaux étant lucratif et le droit lacunaire et peu appliqué, il est «incontournable», affirme l'ex-ministre, de créer un «tribunal pénal international de l'environnement et de la santé». Une idée qui fait son chemin pour traquer les «écocides».
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.