Centrafrique : le temps des représailles, dans l'impunité
Laurent Fabius sur France Info
évoquait il y a 8 jours "des éléments d'apaisement". L'ambassadeur de
France à Bangui dit - ce sont ses mots - que "tout redémarre ". Mais
les exactions restent quasi quotidiennes dans la capitale. Et la
situation incontrôlée en province. L'Union européenne va déployer 500 soldats
le mois prochain. L'armée française et les 6000 hommes de la force africaine
travaillent en meilleure collaboration avec la nouvelle présidente
centrafricaine nommée le mois dernier. Mais tout cela ne suffit pas pour
enrayer le cycle infernal de la haine entre des chrétiens défendus par les
milices anti-balakas et des musulmans qui ne sont plus protégés par les selekas
qui ont perdu le pouvoir et qui sont en fuite vers le nord, vers le Tchad.
" *Le
rapport de force s'est inversé. On est maintenant sur le mode de la revanche.
Ce sont les civils musulmans qui sont la cible de foules mobilisées, assoiffées
de vengeance. Les représailles se traduisent par des lynchages, des
destructions de commerces, de maisons, de mosquées. Ce sont des violences
collectives, spontanées, populaires. A chaque rassemblement, il y a un risque
que cela dégénère en lynchage mortel, et les forces militaires sur le terrain
ne savent pas comment appréhender cette violence populaire d'une
forme nouvelle * ", décrit Thierry Vircoulon
de l'ONG International Crisis Group.
Le règne de l'impunité
La semaine dernière, la nouvelle présidente Catherine Samba Panza
a dirigé une cérémonie officielle devant les 4000 hommes, censés reconstituer
l'armée nationale. Le discours était grandiloquent pour marquer un nouveau
départ. Mais à peine les officiels partis, des soldats s'en sont pris à l'un
des leurs, suspecté d'être un ex-séléka. Ils l'ont tué à coups de pieds, de
pierre. Ils l'ont déshabillé. Son corps a été démembré, trainé dans la
poussière, brûlé devant les caméras. Des scènes terribles qui se sont répétées
les jours suivants. Un membre du conseil national de transition a été
assassiné ce week-end après avoir dénoncé ces violences. Tout cela, sans
qu'aucun responsable n'ait été arrêté. Le problème de l'impunité en
Centrafrique est criant.
La cour pénale internationale de
La Haye a ouvert une enquête préliminaire, mais au quotidien, sur place chacun
peut tuer son voisin sans être inquiété. "Il n'y a plus de police, plus de justice. Les
prisons ont été cassées et ouvertes en décembre au plus fort de la crise. Du
coup, ceux qui continuer en ce moment de voler, de violer, de recruter des
enfants-soldats ne risquent aucune poursuite ",
déplore Florent Geel de la fédération internationale des droits de l'homme qui
est en ce moment à Bangui. "Il faudrait pour commencer remettre en place une petite cellule de
quelques juges d'instructions et quelques officiers de police judiciaire. Un
embryon de justice pour faire comprendre aux combattants que le ton a changé et
que désormais ils risquent de devoir rendre des comptes ",
ajoute Florent Geel. Selon lui, cela serait en outre un symbole fort pour
l'avenir, car cela permettrait d'exclure du jeu politique pour les prochaines
années ceux qui ont du sang sur les mains.
De son côté Amnesty international affirme que "les soldats de la force internationale de maintien de la paix ne parviennent pas à empêcher le nettoyage ethnique des civils musulmans dans l'ouest de la République centrafricaine". Et l'ONG appelle la communauté internationale à "faire barrage au contrôle des milices anti-balaka et déployer des troupes en nombre suffisant dans les villes où les musulmans sont menacés".
Deux millions et demi de personnes ont besoin d'aide humanitaire
Reconstruire l'institut judiciaire semble être une urgence, mais à
y regarder de plus prêt, c'est tout l'état qui est à restaurer. Dans ce pays où
la moitié de la population a moins de 15 ans, cela fait deux ans que les
enfants ne vont plus à l'école. Les instituteurs ne sont plus payer. Pas plus
que les policiers ou les juges. Les caisses de l'état sont vides. Un état qui
dispose pourtant d'importantes ressources : diamant, bois, uranium. Mais tout
est actuellement exploité clandestinement sans que l'état n'encaisse un seul
franc CFA sur ces productions. De l'argent dont il aurait sérieusement besoin
pourtant, ne serait-ce que pour assurer la sécurité alimentaire de la
population.
La situation humanitaire reste très préoccupante, plus de deux
mois après le début de l'intervention militaire française. Deux millions et
demi de centrafricains ont besoin d'aide humanitaire. Un habitant sur deux a
quitté sa maison. Exemple : plus de 100 000 personnes vivent
toujours dans un camp improvisé près de l'aéroport de Bangui. Des épidémies,
notamment de choléra, sont à craindre par endroits. Les champs ne sont plus
correctement cultivés. Les prochaines récoltes s'annoncent maigres. La
nourriture commence à manquer dans certains secteurs. Les Nations unies sont en
train d'établir un nouveau pont aérien pour acheminer des céréales depuis le
Cameroun.
"*J'ai déjà connu beaucoup de terrains
compliqués en tant qu'humanitaire, mais ici en Centrafrique, nous sommes face à
une situation rarissime. Nous nous efforçons d'être présents le plus possible
partout dans le pays. Mais on doit s'avouer impuissant à apporter les soins et
les vivres nécessaires aux civils en difficulté. L'exode massif des populations
musulmanes et la violence qui menace d'exploser partout tout le temps rendent
impossible notre action. C'est assez frustrant * ",
explique Delphine Chedorge chargée des urgences sur place pour Médecins sans frontières.
Plus de troupes internationales?
"*On est à un point où la seule chose qui permettrait d'améliorer
nos conditions de travail, ce serait la présence de plus de troupes
militaires pour s'interposer entre les communautés * ",
ajoute Delphine Chedorge.
Plus de troupes internationales, ça pourrait être un déploiement
de casques bleus de l'ONU. Paris le réclame avec insistance. La nouvelle
présidente centrafricaine également. Sans cela, on imagine mal comment des
élections libres pourraient se tenir en Centrafrique d'ici un an. Février 2015,
c'est la date qui a été fixée.
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