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Comme en France, au Canada, la loi antiterroriste fait polémique

Mêmes causes, mêmes effets. Après les attentats qui avaient endeuillé le Canada en octobre 2014, Ottawa a mis en route un projet de loi «antiterroriste» étendant considérablement les pouvoirs des services de renseignement, qui pourront exercer un contrôle inédit d'internet. Un texte qui, comme la loi votée en France, suscite une vive contestation.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
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13 mars 2015. A Toronto, manifestation d'opposants à la loi antiterroriste canadienne, connue sous le nom de C-51. (Seyit Aydogan / ANADOLU AGENCY)

Décidée après deux attaques islamistes à l'automne 2014 au Québec et au Parlement d'Ottawa, le texte, qui porte le nom de «C-51», a été adopté en dépit de l'opposition d'une vaste coalition de la société civile qui craint une surveillance systématique d'internet.

Une loi sur le renseignement
Dans les faits, cette loi, déposée le 30 janvier 2015, doit renforcer l'arsenal juridique pour empêcher les départs d'apprentis terroristes vers des zones de combat -en bloquant notamment l'achat de billets d'avion sur internet-, et prévenir de prochaines attaques. Pour le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, «la loi antiterroriste de 2015 fournira à nos services de police et nos organismes d’application de la loi les outils nécessaires pour protéger les Canadiens contre les menaces graves et changeantes des organisations terroristes comme l’EIIS»

Jusqu'ici cantonné à la collecte d'informations et à la surveillance, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pourra notamment «perturber» les actions de présumés terroristes, en piratant par exemple leurs comptes internet, et placer sur écoute des Canadiens et leurs proches si jamais ils sont soupçonnés d'avoir une «intention» malfaisante.

Pour arrêter plus facilement un individu, les agences fédérales pourront s'adresser à un juge lors d'auditions secrètes, auxquelles aucun avocat de la défense ne sera présent. Ce qui fait dire aux associations de juristes, comme au Commissaire à la protection de la vie privée, un haut fonctionnaire relevant du Parlement, que la loi viole les droits fondamentaux des Canadiens.

L'échange et le partage de contenus sur internet servant de «propagande terroriste» deviendra en outre un geste criminel, quelle que soit l'intention de l'internaute en cause.

 
La loi a été adoptée à une confortable majorité. «L’opposition libérale s’est rangée du côté du gouvernement conservateur pour faire avancer le projet de loi à la Chambre haute. Les néo-démocrates, le Bloc québécois, Forces et Démocratie et le Parti vert s’y sont opposés», analyse le Journal de Montreal.

La gauche n’est pas la seule à dénoncer le texte décidé par un gouvernement conservateur. «Des milliers de Canadiens sont descendus dans la rue pour protester contre ce projet de loi qui va éroder nos libertés et nos droits. Ces gens ne voulaient pas que la peur triomphe sur les valeurs mêmes qui guident notre  démocratie», a dénoncé le Nouveau parti démocratique (NPD, gauche), première formation de l'opposition, qui qualifie le texte de «néfaste».

Les leaders de l'économie digitale se sont aussi opposés à ce texte. Dans une tribune récente dans la presse nationale, une soixantaine de chefs d'entreprises travaillant dans le numérique ont exprimé de leur côté leur crainte que la loi ne «mine la réputation du Canada» et ne nuise à leurs affaires. Des anciens premiers ministres ou magistrats ont demandé une surveillance accrue des services de renseignement.

Les défenseurs des libertés mettent notamment en cause l’article 83.221 qui selon eux limiterait la liberté d’expression. Cet article stipule : «Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, quiconque, sciemment, par la communication de déclarations, préconise ou fomente la perpétration d’infractions de terrorisme en général [avec ou sans intention].»

Les Amérindiens, souvent à la pointe de l'opposition aux projets d'exploitation des ressources naturelles (et surveillés à ce titre par les services de renseignement), ont promis de s'opposer «vigoureusement» à cette loi qu'ils jugent «antidémocratique». Une pétition demandant le retrait de la loi a été signée par plus de 200.000 Canadiens, pour qui cette réforme va transformer les services de renseignements en en «police secrète», violer la Constitution et conduire à une «surveillance de masse».
 
Les détracteurs de la loi ont averti qu'une fois adoptée, celle-ci serait portée en justice, certains observateurs pronostiquant même que l'affaire se règlerait devant la Cour suprême. En France, le Conseil constitutionnel devrait être saisi de la loi antiterroriste.

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