Cet article date de plus de sept ans.

Bangladesh: Tahmima Anam met la puissance de la fiction au service de la réalité

L’écrivaine bangladaise anglophone Tahmima Anam, qui collabore notamment au «New York Times», publie en France le 11 octobre 2017 «Les vaisseaux frères» (Actes Sud), troisième volume d’une trilogie. L’histoire d’une jeune scientifique bangladaise prise entre deux cultures et deux amours. Mais l’auteur interroge aussi celle de son pays, devenu indépendant en 1971. Interview.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'écrivaine bangladaise Tahmima Anam (Zahedul I. Khan)

Tahmima Anam est née en 1975, quasiment quatre ans après l’indépendance du Bangladesh, acquise à l’issue d’une guerre très meurtrière contre le Pakistan. L’histoire troublée de son pays est donc aussi la sienne, elle dont les parents ont participé à la lutte pour l’indépendance.

En trois forts et beaux romans (Une vie de choix, Editions des Deux Terres, 2007 ; Un bon musulman, Actes Sud, 2011; Les vaisseaux frèresActes Sud, 2017), l’écrivaine, installée à Londres, se penche sur l’identité du Bangladesh et celle de ses habitants. Dans Les vaisseaux frères, sans doute le plus abouti des trois, elle raconte le parcours de la jeune Zubaïda, déchirée par ses contradictions. Ce faisant, elle livre une description très fine et percutante de la société bangladaise contemporaine et de ses clivages, entre la très grande pauvreté des uns, l'extrême richesse des autres et le poids de la famille. Un livre aux accents poétiques, dont les questionnements, à la fois intimes et collectifs, en font une belle œuvre littéraire. Et un passionnant témoignage sur le Bangladesh. Indispensable pour ceux qui souhaitent mieux connaître ce pays de l’intérieur.

Ouvriers bangladais sur un chantier de démantèlement de navires, le 19 août 2009, à Chittagong, premier port du Bangladesh, dans le sud-est du pays. Une activité que décrit Tahmima Anam dans «Les vaisseaux frères». (REUTERS - Andrew Biraj)

Quel est le fil conducteur de votre trilogie ?
C’est l’histoire d’une famille et de trois générations de femmes. Les itinéraires qu’elles empruntent, les changements qu’elles vivent. Ce n’est donc pas une étude historique en tant que telle. Même si j’aborde les principaux thèmes de l’histoire du Bangladesh: la révolution (l’indépendance, NDLR) ; le conflit entre le religieux et le séculier ; les différents aspects de la société d’aujourd’hui.

Vous expliquez (dans le «Guardian»): «Un roman capture plus fidèlement la mémoire qu’un livre universitaire». Que voulez-vous dire? Voulez-vous rendre compte d’évènements de la guerre d’indépendance encore difficiles à admettre pour la mémoire collective de votre pays?
Je ne critique pas les livres universitaires car je suis moi-même issue de l'Université. Ce type d’ouvrage doit coller au passé, s’en tenir aux faits. Il en va différemment avec la fiction. Elle permet d'utiliser l'imagination, parfois plus puissante que la réalité.

L’imagination appartient au monde du roman. Elle peut rendre compte d’émotions vécues par les personnages, vues à travers leurs propres yeux, exprimant ainsi un sens plus riche de l’Histoire.

Trouve-t-on de nombreux livres comme le vôtre au Bangladesh?
Il y a de nombreux romans en bengali sur le même sujet. Mais il n’y en a pas en anglais. J’ai ainsi pu toucher un public plus large.

Dans «Les vaisseaux frères», «la question des origines et de l’identité plane sur Zubaïda», l’héroïne, écrit le journal indien «The Hindu». Est-ce un roman sur l’identité, notamment celle de votre pays?
Zubaïda est à la recherche de sa propre identité, de ses propres racines. Elle fait un voyage aux sources d’elle-même. Elle se sent perdue, elle ne trouve pas le sens de sa propre histoire.

En écrivant, je n’ai pas forcément voulu parler de l’identité du Bangladesh comme je l’ai fait dans les deux autres livres de la trilogie. Le récit est plus individuel. Je fais les portraits de nombreux et différents types de femmes, sans vouloir rendre compte de la complexité de toute la société.

Ouvriers bangladais sur un chantier de démantèlement de navires à Chittagong (sud-est) le 19 août 2009. Une scène semblable à celles décrites par Tahmima Anam dans «Les vaisseaux frères», qui se déroule notamment à Chittagong. (REUTERS - Andrew Biraj)

«J’ai une relation compliquée avec le Bangladesh. (…) Il est très difficile pour moi d’envisager y vivre», dites-vous dans le «Guardian». Pourquoi?
J’ai grandi à l’extérieur du Bangladesh (elle a notamment vécu à Paris, à New York et en Thaïlande, NDLR). J’adore y séjourner mais je ne m’y sens pas à l’aise à 100%. Je préfère l’atmosphère plus cosmopolite, plus internationale de Londres. Je m’y sens davantage chez moi. Je m’y sens plus libre.

Comment voyez-vous votre pays aujourd’hui ?
Le Bangladesh est confronté à de nombreux défis qui ne sont pas résolus. Mais il est surprenant de voir comment les gens là-bas les surmontent, l’énergie qu’ils y mettent.

Vos parents se sont engagés dans la guerre d’indépendance. Cela ne vous donne pas envie de vous engager comme votre père?
Mon père (Mahfuz Anam, l’un des journalistes les plus connus du pays) a participé à la révolution. Ma contribution est différente. Je m’engage en écrivant des livres, reflet de mon éducation et de mes propres expériences. Ceux-ci abordent des thèmes politiques. Je peux avoir des opinions critiques sur le pays et j’écris des choses où éléments personnels et éléments politiques s’entremêlent. Pour autant, c’est l’aspect personnel qui l’emporte.

Quel accueil vos livres ont-ils reçu au Bangladesh? Dans le climat actuel, ne craignez-vous pas d’être censurée?
En général, l’accueil a été très chaleureux.

Pour autant, il faut souligner qu’au Bangladesh, la culture de la censure grandit, à la fois au sein du gouvernement et chez certains groupes extérieurs. Vous avez, bien sûr, entendu parler du meurtre de blogueurs et d’activistes en 2015-2016. Même si personnellement, je n’ai subi aucune censure, beaucoup d’autres, dont mon père, sont les victimes d’un climat de plus en plus compliqué. 

«Les vaisseaux frères», livre de l'écrivaine bangladaise Tahmima Anam publié en français chez Actes Sud.  (DR)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.