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Bangladesh : la montée de l'islam radical

Une prise d'otages et le massacre de 20 otages ont eu lieu le 1er juillet 2016 à Dacca. EI, qui a déjà revendiqué la mort d'étrangers, se dit l'auteur de l'attaque. Des intellectuels et des leaders soufis ont, eux aussi, subi des agressions. Quelle est la nature de l’islamisme radical dans ce pays? L’avis de Jérémie Codron, enseignant à l’Institut national des langues et civilisations orientales.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
​Un écrivain blessé, Sudeep Kumar Bay Barman, reçoit des soins dans un hôpital de Dacca le 1er novembre 2015. Il a été attaqué lors d'une attaque attribuée à des islamistes radicaux. (AFP - ZAKIR HOSSAIN CHOWDHURY - NURPHOTO)
(Article publié le 11 janvier 2016)

Faut-il voir un rapport entre ces différents assassinats et les attaques contre des lieux de culte ?

La première chose que je voudrais dire, c’est qu’on dispose de très peu d’informations fiables sur ces évènements. D’abord parce qu’il est difficile d’être journaliste au Bangladesh : les membres de cette profession sont menacés en permanence. L’autre raison, c’est que l’élite tient à donner du pays l’image d’un pays séculaire modéré où l’Etat fait preuve de neutralité vis-à-vis des religions. Il s’agit de maintenir l’«esprit de la libération» (liberation spirit), qui a prévalu lors de la guerre d’indépendance contre le Pakistan en 1971.

Face aux évènements que vous mentionnez, la réponse est complexe. D’abord, on constate que ce ne sont pas seulement des étrangers et des blogueurs séculaires qui sont touchés. On trouve aussi des représentants de l’islam traditionnel, notamment des soufis, et des chiites.

Par ailleurs, il faut voir qu’il y a eu plusieurs vagues d’islamisme radical au Bangladesh. Sur la période 2003-2006, il y a eu une première flambée de violences de la part de groupes se réclamant d’al-Qaïda. Certains de leurs militants partaient se battre en Afghanistan. A cette époque, al-Qaïda avait alors tenté de s’implanter dans le pays. Les financements venaient notamment de pays du Golfe.

Le point d’orgue de cette période a été le 17 août 2005 quand quelque 350 bombes ont explosé en l’espace d’une heure dans 300 lieux différents de 63 (sur 64) districts du Bangladesh. Ces attentats n’ont fait que des blessés. Mais ils montraient une capacité d’organisation d’envergure.

Le gouvernement, alors mené par le Bangladesh Nationalist Party (BNP) en coalition avec des partis islamistes comme le Jamaat-e-Islami (ou Jamaat), refuse alors l’aide étrangère, notamment américaine, et entend gérer seul la répression. Néanmoins, sous la pression des Occidentaux, il fait procéder à de nombreuses arrestations. Des peines de mort sont prononcées. Dans le même temps, la coalition a été accusée de couvrir les activistes islamistes. D’autant que le Jamaat-e-Islami est parfois considéré comme la vitrine légale de groupes violents sans que cela ait été prouvé. 

Comment la situation a-t-elle évolué?
La période 2006-2008 a été une période de crise politique pour le pays. Fin 2008, l’Awami League, l’autre grand parti avec le BNP, gagne les élections. Une femme, Sheikh Hasina, devient Première ministre et l’est toujours aujourd’hui.

La Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, pendant la célébration du 45e Jour de la Victoire à Dacca le 16 décembre 2015 (REUTERS - Ashikur Rahman)

Le nouveau gouvernement décide alors de mener des procès contre les responsables de crimes de guerre et les collaborateurs de l’armée pakistanaise pendant la guerre d’indépendance contre le Pakistan en 1971. Il s’agit d’individus connus depuis longtemps, et qui sont souvent d’anciens leaders du Jamaat-e-Islami.

Cette formation impopulaire regroupe moins de 10% des électeurs. Pour autant, elle est indispensable pour former des coalitions dans le système politique bipartite du Bangladesh. En s’attaquant aux criminels de guerre, le gouvernement de Sheikh Hasina s’attaquait ainsi au leadership du principal allié du BNP, expliquant qu’il porte en lui la trahison.

C’était donc un coup politique…
On peut penser que les juges et les procureurs nommés pour s’occuper de cette affaire ne disposaient pas d’une grande indépendance… De fait, le pouvoir a trouvé là le moyen d’en finir avec le parti islamiste en mettant en avant l’«esprit de la libération». Plusieurs leaders ont ainsi été condamnés à mort et exécutés.   

Le gouvernement a essayé d’internationaliser cette affaire en créant un Tribunal international des crimes du Bangladesh, un peu comme cela a été fait pour le Rwanda avec le Tribunal pénal international. Il entendait ainsi montrer que le pays était prêt à faire face à son passé. Mais le Pakistan a refusé de s’impliquer.

De manière concomitante, en 2011, dans le sillage des révolutions arabes, on a assisté à l’émergence d’un mouvement générationnel puissant. Lequel regroupe des jeunes, des étudiants américanisés, issus des classes moyennes urbaines, et qui s’affranchissent des pressions de leurs familles et de la société. Défendant l’«esprit de libération», ses sympathisants ont notamment manifesté en 2013 à Shahbagh, un quartier de Dakha (d’où le nom, qu’on leur donne parfois de «mouvement de Shahbagh», NDLR) contre les violences islamistes.

C’était une sorte de réveil de l’«esprit de la libération» pour défendre les valeurs progressistes de la nation et s’opposer aux vieux politiciens. Ces jeunes ont investi les réseaux sociaux. Certains se sont mis à tenir des blogs, notamment sur la plateforme Mukto-mona. Peu à peu, ils ont attiré sur eux l’attention des milieux conservateurs et islamistes. 

Des policiers bangladesh lors d'une opération de fouille à Dacca le 7 septembre 2005 (Reuters - Rafiqur Rahman RR/TY)

De fait, plusieurs de ces blogueurs ont été assassinés…
Face à eux, une partie de la jeunesse proche du Jamaat, qui a disparu du paysage politique, s’est radicalisée. On a vu apparaître une seconde vague de violence politique. C’est dans ce contexte qu’ont été attaqués des religieux soufis, des blogueurs et des journalistes. Certaines de ces attaques, notamment contre des étrangers, ont été revendiquées par des groupes comme Ansar al-Islam, qui se réclame de l’organisation Etat islamique. Mais ces groupes n’ont pas de leader connu, ils ont peu d’influence. Et il est difficile de comprendre leurs motivations. 

On se retrouve un peu dans la même situation qu’il y a 10 ans avec al-Qaïda. On a affaire à une nouvelle génération susceptible d’alimenter le djihadisme. Personnellement, j’interprète le phénomène par l’absence actuelle d’un espace politique pour l’islamisme dans le pays : ces radicaux tentent de trouver un moyen pour exister.
 
Pour autant, je ne suis pas sûr que les revendications d’EI soient crédibles. Mais comme dans les années 2000 avec al-Qaïda, les groupes radicaux peuvent être tentés de créer des liens avec lui. De son côté, l'Etat islamique chercherait à recruter parmi les réfugiés rohningyas entassés dans des camps au Bangladesh.

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