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Attentats de Bangkok : mystères et certitudes

Qui est derrière l’attentat terroriste du 17 août 2015, lequel a fait 22 morts et au moins 120 blessés ? Les enquêteurs ont plusieurs certitudes. Mais ils sont confrontés à de nombreuses inconnues. Les coupables sont-ils des opposants, des séparatistes musulmans, des Ouïghours ? Ou des djihadistes étrangers ?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Sur les lieux du premier attentat à Bangkok le 17 août 2015 (Lionel de Coninck à Bangkok)

Dans les minutes qui ont suivi l’attentat, la junte militaire au pouvoir en Thaïlande depuis un peu plus d’un an, s’est empressée de pointer du doigt les fameuses chemises rouges, un groupe d’opposition, en fustigeant «les groupes anti-gouvernementaux du nord-est du pays», mais cette hypothèse a fait long feu.

Alors, qui est derrière cet attentat terroriste? Selon le porte-parole de la police nationale, Prawut Thavornsiri, le principal suspect a été pris en charge par un moto-taxi. Ce dernier a été entendu par les policiers. Selon lui, l'homme parlait une langue étrangère, mais «pas l'anglais». Le moto-taxi a ensuite tente de décrire l'ethnie supposée du suspect. Il a utilisé un terme thaïlandais désignant généralement des musulmans au teint clair originaires d'Asie du sud, d'Asie centrale ou du Moyen-Orient.

LES CERTITUDES
1/Les faits
A environ 19:00 heure locale, le 17 août, un engin explosif ravage le temple d’Erawan, un sanctuaire hindou-bouddhiste, en plein centre de Bangkok. La bombe a tué 20 personnes, dont 12 sont mortes sur le coup. Plus de 120 blessés ont été acheminés en urgence dans les hôpitaux de la ville.
 
2/La cible.
Le temple d’Erawan est un symbole religieux trop fort pour être complètement anodin. C’est l’élément principal qui pousse les enquêteurs à se distancier de l’hypothèse des opposants, eux-mêmes bouddhistes, au régime militaire en place.

Selon les enquêteurs, le temple a été choisi pour son caractère religieux. Et parce que les terroristes étaient certains, en cette fin de journée, après la sortie des bureaux, de faire un maximum de victimes.
 

Une jeune fille rend hommage aux victimes de l'attentat du 17 août (Lionel de Coninck)

3/La bombe
Selon le chef de la police thaïe, le lieutenant général Somyot Poompanmoung, l’engin explosif improvisé était une «bombe-tuyau» (pipe-bomb) de 3 Kg de TNT ou de C4, entourée de tissu blanc caché dans un sac à dos. La bombe était composée d’éléments pouvant facilement se trouver en Thaïlande. Mais pour tous les spécialistes interrogés, jamais des opposants à la junte ne se risqueraient à un tel bain de sang qui leur ferait perdre tous leurs soutiens.

De fait, jamais ce genre d’engin explosif n’avait été utilisé dans le pays. Cette «pipe bomb», couplée avec des milliers de billes d’acier, destinées à faire le maximum de dégats et à mutiler le plus grand nombre, est très différente des pièges explosifs plus rudimentaires utilisés par les séparatistes musulmans, selon la police.

L’insurrection musulmane, qui sévit dans le sud du pays depuis 10 ans, outre le fait d’être très localisée et de ne jamais s’être attaquée à la capitale, n’a jamais utilisé ce modus operandi. Dans le cas du massacre d’Erawan, la façon d’opérer du poseur de bombe au T-shirt jaune, que l’on voit clairement sur les vidéos de surveillance, poser son sac à dos et partir discrètement, ressemble plus aux attentats du marathon de Boston, ou les frères Tsarnaev, eux aussi, avaient déposé leurs sacs à dos meurtriers avant de s’éclipser.

4/Le suspect
Clairement identifié sur la vidéo, le suspect au T-shirt jaune est désormais la cible d’une chasse à l’homme sans précédent dans tout le pays. Selon le porte-parole de la police nationale Prawut Thavornsiri, le principal suspect a été entendu par le moto-taxi qui l'a pris en charge, parlant une langue étrangère, mais "pas l'anglais".
Il a ensuite tente de décrire l'ethnie supposée du suspect, il a utilisé un terme thaïlandais désignant généralement des musulmans au teint clair originaires d'Asie du sud, d'Asie centrale ou du Moyen-Orient."

Le portrait robot de l'auteur présumé du premier attentat suicide. Portrait publié par la police thaïlandaise. (DR - Police royale thaïlandaise)

Pour l’instant, la police se refuse à dire avec certitude que le suspect est un étranger. Un portrait robot a été diffusé et une récompense d’un million de baht (25.000 euros) est offerte pour toute information qui mènera à sa capture. Selon le général Weerachoon Sukhontapatipak, porte-parole de la junte militaire, il n’a pas pu agir seul, et «fait forcément partie d’un réseau». La police est «tout prête» d’identifier le suspect. D’autre part, selon  la police, «deux autres hommes au comportement suspect» ont été repérés sur les images vidéos dans le temple, avant l’attentat.
 
LE MYSTERE : QUI EST DERRIERE CET ATTENTAT ?
 
Pour la plupart des observateurs, la piste de l’attentat guidé par des motivations de politique intérieure, semble peu credible. Les opposants à la junte au pouvoir sont nombreux et actifs. Mais de l’avis de tous, commettre un attentat de pareille ampleur dans un temple serait contre-productif. Ils se mettraient à dos tout le pays.
 
Reste les pistes religieuses, puisque la cible est un temple boudhiste.  Pour l’heure, aucune organisation ou international djihadiste n’a revendiqué l’attentat.
 
Pour les raisons évoquées plus haut, les autorités thaïes ne croient plus trop à la piste qui mène aux séparatistes du sud du pays. Depuis plus de 15 ans, une guérilla musulmane fait le coup de feu contre l’armée thaïe. La plupart du temps, les insurgés assassinent des professeurs dans la rue ou organisent des embuscades contre des convois de l’armée.
 
Depuis 2001, le conflit a déjà fait plus de 6000 victimes. Mais leurs armes de prédilection restent les grenades, les armes de poings, et les petits engins explosifs artisanaux. La bombe du temple Erawan semble très, très éloignée de leurs habitudes opérationnelles.
 
Reste une autre piste, encore plus nébuleuse. Celle des Ouïghours, issus de la minorité musulmane du sud de la Chine. Ces derniers mois, les autorités thaïlandaises ont expulsé et renvoyé en Chine plus d’une centaine de réfugiés ouïghours, qui fuyaient la répression chinoise. En représailles, le consulat de Thaïlande à Istanbul a été mis à sac au mois de juillet dernier, la Turquie accueillant une large communauté de réfugiés musulmans ouïghours, qui sont de langue et d’origine turque.
 
Sur les lieux de l'attentat du 17 août 2015. On remarque notamment les grilles de l'enceinte du sanctuaire, soufflées et tordues par l'explosion. (Lionel de Coninck à Bangkok)

Mais la plupart des experts en sécurité internationale, s’ils relevant la présence d’un grand nombre de touristes chinois parmi les victimes, ne croient pas à l’hypothèse ouighoure. Le Dr Zachary Abucha, un des plus grands experts de l’Asie du Sud-Est sur les questions de sécurité, l’affirme : «Je ne crois pas un instant à la théorie de l’attentat ouïghour». Pour lui, les Ouïghours n’ont «ni les moyens ni les ressources techniques pour un attentat de cet ampleur».
 
Reste la dernière hypothèse, celle de l’internationale djihadiste. L’Europe et l’Amérique devenant bien trop méfiantes, et mobilisées, certains experts commencent à évoquer ces loups solitaires, type Daech, qui se décideraient à venir frapper une région du monde, jusqu’au 17 août pourtant encore préservée de l’horreur du terrorisme aveugle dans la foule innocente. 

Une piste moins farfelue qu'il n'y parait. Il y aurait plus de 600 combattants, originaires d’Asie du Sud-Est, aux côtés de Daech, en Irak et en Syrie. Zachary Abucha l'affirme dans une interview, «On n’a connaissance d’aucun Thaïlandais dans leurs rangs, mais s’il y en avait, ils s’identifieraient eux-mêmes comme Malais. Beaucoup de gens d’Asie du Sud-Est qui ont rejoint Daech se sont radicalisés sur internet, et ils pourraient avoir été inspirés par la brutalité.»
 

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