Après les attaques de talibans, l'Afghanistan s'interroge sur sa sécurité
Les assauts coordonnés de dimanche, qui ont fait plus de 50 morts, ont pu être stoppés par les forces afghanes. Mais le gouvernement de Kaboul critique les services de renseignements de l'Otan.
Les combats de dimanche entre talibans et militaires, en Afghanistan, ont duré dix-huit heures. Ils ont fait 51 morts, dont 36 insurgés, onze membres des forces de sécurité et sept civils. Les attaques ont fait des victimes dans la capitale, Kaboul, ainsi que dans trois autres provinces.
Pourtant, experts, officiels et diplomates s'accordent, lundi 16 avril, sur le fait que cette "offensive de printemps" aurait pu faire davantage de victimes. Alors que la passation de pouvoir entre les forces internationales et l'armée afghane est engagée, que révèlent ces attaques des forces et des faiblesses de la sécurité dans le pays ?
• Hamid Karzaï critique les services de renseignement et l'Otan
Pour le président afghan, Hamid Karzaï, "le fait que les terroristes aient pu pénétrer dans Kaboul et frapper dans d'autres provinces est un échec pour nos services de renseignement et en particulier pour l'Otan", a-t-il jugé dans un communiqué publié lundi. "Le fait qu'ils aient réussi à lancer simultanément des attaques complexes démontre un certain degré de perfectionnement dans leur aptitude à se mouvoir sans être détectés" confirme Martine van Bijlert, spécialiste de l'Afghanistan. En revanche, le président s'est félicité de la réaction des forces de sécurité afghane sans qui, dit-il, cette "offensive du printemps" aurait pu faire davantage de victimes.
Selon un diplomate occidental spécialisé dans les questions de sécurité, interrogé par Reuters, ces services ont réalisé récemment d'importantes saisies d'explosifs dans Kaboul, qui auraient dû être utilisés dans les attaques de dimanche. "Ces attaques (...) choquantes par leur échelle et leur remarquable coordination dans différentes villes simultanément ont ébranlé un peu plus la confiance des Afghans dans leurs forces de sécurité", commente pour sa part Abdul Waheed Wafa, directeur du Centre de Recherches d'Afghanistan à l'université de Kaboul. Voilà "qui augure bien mal de l'avenir", poursuit l'analyste.
• Les services de sécurité sont-il prêts à assurer la sécurité ?
"Dans un bref laps de temps, nous avons réussi à faire échouer leurs plans diaboliques. Ils portaient des ceintures d'explosifs, mais ils ont seulement réussi à se faire tuer", s'est félicité le directeur des opérations du ministère de la Défense, Afzal Aman. L'Isaf (les troupes de l'Otan en Afghanistan) et les Américains, dont les soldats composent plus des deux tiers de cette force internationale, ont également été prompts, dès dimanche, à louer "l'efficacité" des forces afghanes, lesquelles doivent prendre progressivement en main la sécurité du pays d'ici à la fin 2014. "Nous avons assisté à une réaction très professionnelle de la part des forces de sécurité", a indiqué l'ambassadeur des Etats-Unis à Kaboul, Ryan Crocker. "Je suis immensément fier de la rapidité de la riposte des forces afghanes à Kaboul", a renchéri le général américain John Allen, qui commande l'Isaf.
Côté experts, l'enthousiasme est beaucoup plus mesuré concernant la prouesse des soldats afghans. Ces derniers estiment en effet que l'armée afghane ne sera pas prête à prendre la relève des forces internationales, car elle est minée par le manque de moyens, la corruption et l'infiltration des insurgés dans ses rangs. "Même s'il est vrai que les forces afghanes ont démontré cette fois une meilleure capacité de réaction, les talibans ont clairement démontré, eux, leur capacité à frapper de manière coordonnée où ils le veulent, quand ils le veulent", a précisé à Reuters un diplomate occidental en poste à Kaboul.
• Des attaques signées par un réseau proche d'Al-Qaïda
"Les premières indications montrent que le réseau Haqqani était impliqué dans cette série d'attaques", a déclaré à la presse le porte-parole du Pentagone, George Little. Ce dernier évoque des attaques "bien coordonnées". Plus tôt, l'ambassadeur des Etats-Unis sur place avait indiqué que "compte tenu des expériences passées, je pense qu'il s'agit d'une série d'opérations du réseau Haqqani venu du Nord-Waziristan et des région tribales pakistanaises" ajoutant au micro de CNN que, "franchement, je ne pense pas que les talibans sont assez bons pour cela [perpétrer de telles attaques]".
Sirajuddin Haqqani, fils du fondateur du mouvement, mène ses opérations avec l’assistance d’Al-Qaïda et de militants pakistanais endurcis aux combats, expliquait Slate.fr en octobre.
• Des assauts soigneusement préparés
"Nos experts militaires ont dessiné des croquis des cibles visées et créé un site d'entraînement que les combattants ont utilisé avant de lancer leur attaque", a expliqué lundi, à Reuters, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid.
Cette attaque a été soigneusement préparée pendant plusieurs mois grâce à des entraînements sur des cibles factices et le pré-positionnement d'armes, a-t-il confirmé, précisant que les hommes chargés de mener l'assaut avaient été sélectionnés parmi les 50 000 insurgés qui, selon lui, luttent contre le gouvernement afghan et l'Otan, afin de recevoir "un entraînement spécifique".
• Le dialogue mis en danger ?
Depuis quelques mois, les Etats-Unis multiplient les appels du pied à l'adresse des chefs talibans pour qu'ils négocient, en particulier au Qatar. Les insurgés ont répondu qu'ils y étaient prêts, à des conditions strictes. "Ces attaques ne mettent pas en danger le processus de dialogue, au contraire, analyse un autre diplomate occidental. Simplement, les talibans font monter les enchères pour être en position de force face aux Américains. C'est une manière de leur dire : 'vous voyez, vous n'allez pas négocier avec des tocards'", conclut-il.
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