A quoi ressemblera l'Inde de Narendra Modi, l'ultranationaliste hindou ?
La coalition menée par le leader nationaliste controversé a remporté les élections législatives, déclenchant à la fois l'espoir d'un retour de la croissance et la crainte d'un regain de tensions interreligieuses.
Le basculement politique était attendu de longue date au sein de la "plus grande démocratie du monde". Les observateurs politiques avaient largement anticipé la victoire du parti nationaliste hindou de Narendra Modi aux élections législatives en Inde, confirmée vendredi 16 mai. Mais l'ampleur de ce succès politique est historique, d'autant qu'il récompense un leader controversé pour son rôle dans les pogroms antimusulmans de 2002, dans son Etat du Gujarat.
Avec les nationalistes au pouvoir, réapparaît la crainte de voir ces tensions religieuses ressurgir. Mais le futur nouveau Premier ministre, soutenu par les milieux d'affaires, a surtout axé sa campagne sur une relance économique espérée par une population inquiète face au ralentissement de la croissance. Francetv info se penche sur le futur visage d'une Inde désormais dirigée par des nationalistes à la réputation sulfureuse.
Un seul parti au pouvoir, une première depuis 1984
Cette fois, le retournement de dernière minute n'a pas eu lieu. Après avoir goûté au pouvoir entre 1998 et 2004, les nationalistes du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien) étaient donnés favoris des législatives depuis dix ans. Mais à chaque fois, le Congrès, parti modéré historique mené par la famille Gandhi, avait réussi à coiffer le BJP au poteau. En 2014, Narendra Modi, son leader charismatique, n'a rien laissé au hasard.
Comme l'explique L'Express, il a mené une campagne sans précédent, multipliant les meetings aux quatre coins du pays, grâce notamment à un hologramme 3D diffusé dans plusieurs réunions publiques en même temps. La technique lui a permis d'être omniprésent.
Mais la victoire du BJP est avant tout la conséquence de la déliquescence du Congrès, le parti au pouvoir depuis dix ans. Sa campagne avait pour tête de pont Rahul Gandhi, 43 ans, fils du défunt Premier ministre Rajeev Gandhi, petit-fils de l'ancienne présidente Indira Gandhi, et arrière-petit-fils de Nehru, le père de la nation indienne. Mais le successeur n'a pas l'aura de ses ancêtres. "Rahul Gandhi ne s'est pas montré très intéressé par les élections, explique Pierre Monégier, correspondant de France 2 en Inde. Il n'est pas très bon en communication. Pour Modi, ce scrutin a été un boulevard."
Les scandales de corruption qui ont secoué l'Inde ces dernières années ont également affaibli le Congrès. Face à lui, des partis comme Aam Aadmi (L'Homme du peuple), décrit par L'Express, ont éparpillé le vote modéré. Conséquence de cette gifle, le BJP va obtenir la majorité absolue au Parlement, une première depuis 1984. En 1998, lors de sa première victoire, il avait dû former une coalition avec des partis régionaux, limitant l'application de son programme. Cette fois, le parti ne devrait pas avoir besoin d'alliance. Il pourra donc gouverner seul et imposer ses vues radicales, sous la houlette d'un leader autoritaire.
Le retour des tensions religieuses ?
Si la majorité du Parlement se couvre d'orange, couleur sacrée de l'hindouisme portée en étendard par le BJP, le risque est de voir s'imposer des décisions radicales, comme l'explique Christophe Jaffrelot, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri) et spécialiste de l'Inde, dans Le Monde (article abonnés) : "Le gouvernement de Modi sera sans doute soumis aux pressions de l'aile dure du mouvement nationaliste hindou pour enfin mettre son programme en œuvre, au risque de provoquer les minorités."
Le BJP est un parti issu d'un mouvement paramilitaire défenseur de l'hindouisme orthodoxe. Sa cible prioritaire a toujours été la minorité musulmane, qui représente 14% de la population. L'événement le plus marquant de cet antagonisme reste les émeutes de 2002, durant lesquelles un millier de musulmans, y compris des femmes et des enfants, ont été massacrés dans le Gujarat. A l'époque, le ministre en chef de cet Etat indien s'appelait justement Narendra Modi. Comme l'explique Christophe Jaffrelot dans un article universitaire consacré à ces événements, il est soupçonné d'avoir demandé à la police de ne pas empêcher les massacres perpétrés par les émeutiers hindous.
Douze ans après, Modi, blanchi de ces accusations depuis 2012, a calmé le jeu. Il a fait campagne "pour tous les Indiens", recevant même le soutien de quelques leaders musulmans, comme l'explique The Guardian (en anglais). Mais le naturel est vite revenu au galop.
Interrogé par Reuters (en anglais) en juillet 2013, au début de sa campagne, sur sa responsabilité dans les émeutes de 2002, il avait osé une comparaison d'un goût douteux : "Si vous êtes à l'arrière d'une voiture, et que le chauffeur écrase un chiot, est-ce douloureux ? Oui, ça l'est, je suis un être humain." La comparaison canine avait fait bondir ses adversaires, mais aussi grandir la cote de popularité de celui qui assure avoir, à l'époque, pris "les bonnes décisions".
Au lendemain de la victoire écrasante du BJP aux législatives, les musulmans "sont sous le choc, explique Pierre Monégier. Ils ne comprennent pas ce vote, et sont évidemment inquiets." Des craintes alimentées par de nouvelles violences interreligieuses survenues en septembre dernier dans l'Etat de l'Uttar Pradesh, à une centaine de kilomètres de Delhi. Des affrontements entre nationalistes hindous et musulmans y ont fait 62 morts, comme le rappelle Le Monde (article pour abonnés).
Un espoir économique
Ce n'est pas un candidat comme les autres que les Indiens ont porté au pouvoir. Fils d'un modeste épicier, Narendra Modi, ancien chai wallah (vendeur de thé dans la rue) est l'incarnation du self made man, parti de rien. Plus qu'un politique, il est perçu comme un homme d'affaires qui a su faire prospérer son Etat, le Gujarat, comme l'expliquent Les Echos. Offrant terrains et avantages aux entreprises, il a attiré des industries comme Tata, le géant indien de l'automobile, qui y construit la Nano.
Comme le précise L'Express, il n'avait d'ailleurs qu'un seul mot à la bouche durant la campagne électorale : développement. Il est naturellement devenu le champion des milieux d'affaires. Dès mardi, au lendemain de la publication de sondages favorables à Modi, la Bourse indienne a enregistré des niveaux record, d'après Courrier international.
Mais le leader du BJP est également devenu l'espoir d'une classe moyenne inquiète face à un taux de croissance passé de 9,6% en 2007 à 4,4% en 2013. Peu après l'annonce de sa victoire, le BJP a d'ailleurs promis une nouvelle ère. Sur Twitter, Narendra Modi a ainsi certifié : "L'Inde a gagné. Les beaux jours arrivent."
India has won! भारत की विजय। अच्छे दिन आने वाले हैं।
— Narendra Modi (@narendramodi) 16 Mai 2014
Le fait que le règne de Modi soit synonyme de réussite économique reste à confirmer. Car comme le démontrent Les Echos, le bilan économique du Gujarat a été gonflé par son ministre en chef. Par ailleurs, le progrès financier est allé beaucoup plus vite que le développement humain, domaine dans lequel le Gujarat reste seulement un des élèves moyens du pays.
Une menace pour les intérêts étrangers ?
Narendra Modi est souvent comparé à Margaret Thatcher ou à Vladimir Poutine. Car comme la "Dame de fer" britannique et comme le président russe, il est connu pour la bienveillance que son libéralisme suscite dans le monde des affaires, mais aussi pour son autoritarisme et son nationalisme économique. "Il est hostile aux intérêts étrangers, explique Pierre Monégier. Ce ne sera pas facile de discuter avec lui."
Concernant la géopolitique, le règlement de l'éternel conflit entre l'Inde et le Pakistan n'est pas à l'agenda, d'après le site Business Today (en anglais), Narendra Modi ayant "promis, au nom du sol indien, de défendre [son] pays." Mais une escalade entre les deux voisins n'est pas à envisager, selon l'International Bussiness Times (en anglais). Le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, s'est d'ailleurs entretenu vendredi avec son nouvel homologue indien pour le féliciter de sa "victoire impressionnante".
Les discussions pourraient être en revanche plus compliquées pour les pays intéressés par une implantation en Inde, notamment la France. Le BJP a, à plusieurs reprises, exposé son hostilité à l'installation de grands groupes de distribution étrangers en Inde. Or l'un des champions mondiaux du secteur s'appelle Carrefour. Comme l'explique Challenges, le groupe français a récemment émis un plan pour quitter l'Inde où il travaillait pourtant à une implantation depuis 2012.
L'autre inquiétude française concerne les négociations exclusives engagées avec New Delhi en janvier 2012 pour vendre 126 avions de combat Rafale. Narendra Modi a clairement indiqué son intention de "rendre la défense indienne autosuffisante", c'est-à-dire de limiter les achats d'armes étrangères.
Mis au ban par la communauté internationale pour son rôle présumé dans les massacres de 2002, Modi n'a pas pu, un temps, voyager aux Etats-Unis. Mais en novembre 2013, Washington a finalement accepté d'accorder un visa au leader du BJP. Comme l'explique Le Monde, la France, qui a toujours boycotté le dirigeant du Gujarat, va elle aussi devoir ravaler sa fierté et changer d'attitude si elle veut garder le contact avec un pays qui devrait être le plus peuplé du monde en 2030.
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