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Rick Santorum, le faux candide

Ce fervent catholique joue beaucoup sur son image d'outsider intègre, candidat des valeurs contre le système. Ce n'est pourtant pas un enfant de chœur.

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Rick Santorum en campagne à Oskaloosa, dans l'Iowa (Etats-Unis), le 31 décembre 2011. (JOHN GRESS / REUTERS)

Avec ses chandails désuets et son air poupin, Rick Santorum aimerait bien qu'on lui donne le bon dieu sans confession. Ce fervent catholique joue beaucoup sur son image d'outsider intègre, candidat des valeurs contre le système. Mais depuis sa performance dans le caucus de l'Iowa mardi 3 janvier, qui l'a mis sous le feu des projecteurs, un tableau plus mitigé se dessine.

Rick Santorum aime s'entourer de sa nombreuse progéniture lors de ses interventions. En juin 2011, lorsqu'il annonce sa candidature, il cite volontiers ses sept enfants comme la raison première de son engagement. Raconte ses drames personnels - lui et son épouse ont perdu un enfant, grand prématuré, deux heures après sa naissance - qui ont renforcé sa foi, issue d'une éducation très pieuse.

Mais ne vous fiez pas à ses airs naïfs : Rick Santorum n'est pas un enfant de chœur. Après des études de sciences politiques et de droit à l'université de Pennsylvanie, il débute sa carrière comme avocat avant de se lancer en politique. Il gagne sa première élection en 1990, à l'âge de 32 ans, et entre à la Chambre des représentants. Mais c'est surtout au Sénat, où il est élu une première fois en 1994, puis réélu en 2000, qu'il fait carrière.

Le "projet K Street"

C'est aussi en tant que sénateur que Rick Santorum a noué des liens privilégiés avec les lobbyistes qui pullulent autour de Capitol Hill, le siège du Congrès américain. Très développé aux Etats-Unis, le lobbying y est accepté et règlementé, mais les dérapages ne sont pas rares. Le "projet K Street" (du nom de la rue proche du Congrès où sont basés la plupart des groupes d'intérêts) en est un exemple. 

A partir de 1995, plusieurs dirigeants et élus républicains mettent en place des réunions régulières avec d'importants cabinets de lobbying. Ces derniers y sont fortement incités à recruter des républicains loyaux. Il leur est aussi rappelé que leur politique de contributions financières devrait prendre en compte le changement de pouvoir à la Chambre, passé sous le contrôle du "Grand Old Party" en 1994... Bien que n'ayant pas fait l'objet de poursuites, l'initiative, décriée, est abandonnée en 2006.

Un sénateur très proche des lobbys

Selon le New York Times (article en anglais), Rick Santorum a tenu ce type de réunions plusieurs années durant au Sénat. "C'était l'un des principaux acteurs du projet K Street", affirme Melanie Sloan, directrice de Citizens for responsibility and ethics in Washington, une ONG de lutte contre la corruption, au Washington Post (article en anglais). "Il essaie de se présenter comme un parangon de pureté morale, mais il a largement trempé dans la politique du 'pay-to-play' [qui peut se traduire par "payez pour compter"] durant l'une des périodes les plus corrompues qu'ait connu Washington."

Les lobbys se sont en tout cas beaucoup intéressés au sénateur Santorum. Selon les chiffres du Center for Responsive Politics, qui compile des données sur le financement des politiques, son comité de campagne a reçu plus d'un million de dollars de structures défendant les intérêts d'industriels ou d'individus qui y sont rattachés pendant le cycle de levée de fonds ayant précédé les élections de 2006. Selon le New York Times, il était même le premier des candidats au Congrès en termes de financements venus des lobbys pour cette élection. Rick Santorum y a perdu son siège en partie à cause du scandale provoqué par le "projet K Street".

Le "candidat pauvre" est millionnaire

Pour autant, l'ex-sénateur n'a pas eu de difficultés à se reconvertir. Dans les années qui suivent, il entame une lucrative carrière dans le privé. Santorum, au bas de l'échelle des revenus au sein du Congrès, devient millionnaire en travaillant comme consultant pour plusieurs groupes privés. Parmi eux, Universal Health Services, une société gestionnaire d'hopitaux basée en Pennsylvanie et accusée de plusieurs malversations (le Huffington Post [article en anglais] les a listées lorsque Santorum s'est déclaré candidat).

Rick Santorum a ainsi gagné plus de 1,3 million de dollars sur la seule période janvier 2010-août 2011, revenus dont Bloomberg News (article en anglais) détaille les principales composantes. Il possède une propriété achetée 2 millions de dollars en Virginie et plusieurs biens immobiliers en location, listés dans la fiche détaillant ses biens et ses revenus (une transparence obligatoire pour les élus et les candidats).

Sa fortune n'a rien d'illégal, mais contraste avec l'image de "candidat pauvre" mise en avant par son équipe. Dans l'ombre jusqu'à sa victoire dans l'Iowa, le candidat a souvent plaisanté sur son équipage modeste, lui qui a sillonné les routes de l'Iowa à bord d'un pick-up là où la plupart des candidats mobilisent des bus rutilants accompagnés de plusieurs véhicules, contraste bien illustré par le New York Times (article en anglais).

Un petit-fils de mineur devenu fin communicant

Il est vrai que Rick Santorum dispose d'un budget de campagne bien inférieur à celui de ses rivaux : une infographie du Washington Post  (article en anglais) montre qu'il n'avait levé qu'un peu plus d'un million de dollars avant l'Iowa, contre 33 millions pour son rival Mitt Romney. Il compte sur sa récente percée, qui lui a déjà permis de doubler ses fonds, pour lui permettre d'augmenter ses réserves.

En attendant, le candidat continue de mettre en avant le parcours d'un homme aux origines modestes, porté par sa foi dans les valeurs traditionnelles de l'Amérique. Il rappelle souvent l'histoire de son grand-père, un Italien arrivé en 1925 aux Etats-Unis et qui a travaillé toute sa vie dans les mines de Pennsylvanie, cité en exemple dans ses spots de campagne (vidéo en anglais).

 

Dans son discours prononcé à Des Moines après sa performance dans l'Iowa, il explique : "Les gens me demandent : 'pourquoi pensez-vous que vous pouvez gagner ?' (...) Comment ai-je gagné [les sénatoriales] en Pennsylvanie ? J'ai gagné parce que je suis allé sur le terrain et j'ai travaillé avec des communautés comme celles dans lesquelles j'ai grandi. J'ai gagné parce que je partage les valeurs des travailleurs de ce district."

Mais en 2004, Rick Santorum a installé sa famille dans une confortable maison de Virginie, loin des districts miniers de Pennsylvanie, Etat dont il était toujours sénateur. La révélation fit scandale, la famille Santorum recevant toujours une importante compensation financière de l'Etat pour l'éducation de ses enfants. Le genre de contradictions qui n'échappe plus à l'attention des médias... Et pourrait bien nuire à celui qui est subitement devenu le deuxième homme de la primaire républicaine.

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