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Rapprochement Washington-La Havane : ce qui a déjà changé pour les Cubains
Si pour l'instant le rapprochement américano-cubain est surtout diplomatique, puisque le blocus n'est toujours pas levé, des changements peuvent déjà être perçus pour les Cubains.
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Mercredi 17 décembre 2014, Raul Castro et Barack Obama ont annoncé quasi-simultanément leur rapprochement historique. Après 44 ans de rupture diplomatique, les discussions vont reprendre. Tant que le bloqueo, l'embargo américain contre La Havane, n'aura toujours pas cessé, il sera difficile de percevoir des changements concrets et significatifs. Mais combinée aux grandes réformes engagées par le gouvernement depuis 2008, la reprise des relations américano-cubaines fait entrevoir quelques changements dans le quotidien des Cubains.
Plus d'investissement pour les auto-entrepreneurs
En 2008, Raul Castro a engagé de grandes réformes du secteur économique, créant un secteur privé. Le gouvernement est parti d'un constat simple : plus d'un million de travailleurs engagés par l'Etat étaient en surplus. Depuis, ce sont surtout les secteurs de la restauration et du bâtiment qui se sont développés. Ces auto-entrepreneurs vont pouvoir bénéficier de plus grosses sommes d'argent de la part de leur famille installée aux Etats-Unis. En effet, la nouvelle règlementation américaine a élevé le plafond de la somme d’argent que les Cubains installés aux Etats-Unis peuvent transférer vers leur pays d'origine. Les fameuses «remesas familiares» passent ainsi de 500 à 2.000 dollars par trimestre. D’ailleurs, ces sommes constituent la seconde ressource économique du pays. Or, elles ont toujours été restreintes, notamment lorsque Hillary Clinton était secrétaire d'Etat. Elle avait non seulement limité considérablement ces montants, mais aussi le nombre de transactions autorisées par personne. Des mesures pesantes, d'autant que les Cubains sont particulièrement nombreux aux Etats-Unis car ils bénéficient d'un régime spécial. En 2013, ils étaient 1,7 million dans le pays, dont 80.000 à Miami. Une des conséquences positives est que cet argent pourra être consacré à l'entrepreneuriat, ce qui contribuera à développer le secteur privé.
Immobilier : l'économie de marché pourra bénéficier aux propriétaires
Ernesto Ivan Diaz, journaliste cubain, explique : «Ils investissent à Cuba car leurs proches sont conscients qu'il vaut mieux les aider à entreprendre que de leur envoyer de l’argent tous les mois. Ils importent des biens qui leur facilitent la vie. Ils ont un meilleur accès au transport. Ils acquièrent le meilleur immobilier à Cuba car leur proches à l’étranger ont une meilleure visibilité du marché et pensent que l’ouverture à Cuba va faire grimper le prix de l’immobilier, ce qui est déjà le cas !»
Et puisque 90% des Cubains sont propriétaires, ce n'est pas une petite avancée. D'ailleurs, en mai 2015, la plateforme communautaire de location Airbnb s'est officiellement implantée à Cuba. Une bonne nouvelle pour les propriétaires de «casas particulares» (grandes maisons individuelles) qui louent actuellement une ou plusieurs chambres dans leur logement. S'ils verseront toujours 35 dollars mensuels de taxe par chambre plus 10% du montant de chaque location aux autorités cubaines, les propriétaires pourront décider du prix comme bon leur semble. Pour le moyen de paiement, c'est un peu plus compliqué: pas de Visa ni de Paypal, mais du liquide apporté en personne par des agences de voyages.
Concernant les ventes, une récente réforme datant de 2013 permet aux Cubains propriétaires de vendre leurs biens, au lieu de les échanger comme c'était le cas avant.
Le tourisme, un succès à double tranchant
Depuis le rapprochement de Cuba avec les Etats-Unis, le tourisme, qui représente la principale source de revenu en provenance de l’étranger, connaît un bond en avant considérable. D'ailleurs, le ministre du Tourisme cubain a annoncé la mise en place d’une liaison aérienne directe Pékin-La Havane en septembre prochain. L’île se prépare donc à accueillir de plus en plus de visiteurs chinois. Mais seule une partie de la population bénéficie du tourisme, ce qui a créé des inégalités dans un pays où il y en avait peu malgré la pauvreté. Certaines personnes ayant un métier socialement valorisé, comme les dentistes, quittent tout du jour au lendemain pour se lancer en tant que chauffeur de taxi. Avec les touristes américains particulièrement généreux, la journée peut rapporter 80 dollars, ce qui revient à un revenu de 2400 dollars par mois contre un salaire de dentiste de 40 dollars mensuels.
Cuba and the USA to reopen Embassies. A great day for our peoples and for the world. R.C.
— Raul Castro (@PresCastroCuba) July 1, 2015
«Cuba et les Etats-Unis réouvent leurs ambassades. C'est un grand jour pour nos peuples et pour le monde.»
Un danger pour l'environnement
Depuis la chute de l'URSS, pratiquement toute l'agriculture de l'île est biologique. Les propriétaires des quelques 62.000 jardins particuliers de La Havane bénéficient du soutien du gouvernement. Le seul pesticide autorisé est le Cabaril, qui protège les graines des fourmis mais qui reste peu puissant. Si Cuba fait aujourd'hui figure d'exception en terme d'écologie, la fin de l'embargo pourrait vite y mettre fin. Cuba pourra importer des pesticides, des engrais chimiques et du carburant pour ses tracteurs. Et cela risque d'arriver vite, selon Romane Frachon, journaliste indépendante à La Havane : «Si les personnes âgées qui ont vécu la Révolution et 56 ans d'agression américaine sont les plus coriaces, les plus jeunes qui idéalisent Cuba risquent de se laisser séduire trop facilement et passer aux engrais chimiques.»
Ensuite, les terres agricoles rentables risquent d'être convoitées par les investisseurs étrangers, et les jardins en ville seront devenus trop coûteux pour y faire pousser quoi que ce soit.
La méfiance de mise à Cuba
L'inauguration de l'ambassade américaine à la Havane l'a montré par son manque de fréquentation, les Cubains ne sont pas si enthousiastes à l'idée de la reprise des relations avec les Etats-Unis.
Taïmé Obre Martinez est médecin cubaine. Elle a travaillé au Venezuela pendant 15 ans. «Je pense que Cuba a besoin de faire des échanges avec les autres pays du monde entier. Pas seulement les Etats-Unis. Mais tout est contrôlé par eux. Personne n'ose venir s'installer. La venue du président français, du ministre des Affaires étrangères russes... ça, ça peut nous aider à nous développer ! En fait, on voudrait juste qu'on nous laisse nous développer, comme on laisse n'importe quel autre pays le faire. Quel que soit sa politique. On est comme en guerre, depuis trop longtemps.»
Seule la levée de l'embargo pourra permettre de constater de réels changements. Mais comme le communisme, le capitalisme peut aussi bien faire des ravages. Romane Frachon, elle, s'inquiète pour les jeunes : «Puisqu'ils ne manquent de rien en termes d'alimentation, de soin et d'éducation, les jeunes cubains ont désormais des revendications 'du nord' : ils veulent à la fois garder leurs privilèges, mais aussi entreprendre. Ils ont une vision totalement idéalisée du capitalisme, avec les 80.000 cubains qui vivent à Miami et qui renvoient l'image d'une certaine facilité de vie, d'accès aux choses matérielles. Ils ne réalisent pas qu'ils peuvent tout perdre.»
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