Pepe Mujica, l'ancien guérillero devenu président en Uruguay
Celui que l’on surnomme Pepe (diminutif de José en espagnol) continue de vivre dans une ferme (achetée à crédit) avec son épouse Lucia Topolanski, la présidente du Sénat, à Rincon del Cerro, en banlieue de Montévidéo. Il a connu la lutte, la prison (14 ans dans des conditions inhumaines, dont trois au fond d'un puits) et la fin de la dictature militaire dans son pays (1973-1985).
Pour parfaire son image, Pepe Mujica qui dit ne pas «être pauvre» et surtout «se contenter de peu» reverse 90% de son salaire de 9.300 euros à son parti Frente Amplio (coalition de partis de gauche, au pouvoir depuis 2004) ou à des organismes sociaux. Il lui reste 760 euros pour vivre, ce qui, selon lui, est suffisant alors même que d’autres vivent avec bien moins.
Ce moustachu, débonnaire en apparence, n’apprécie guère le protocole, les gardes du corps et les voitures de luxe. En mars 2012, Pepe a déclaré un patrimoine de 170.000 euros, constitué par sa ferme, deux vieilles voitures de marque allemande, trois tracteurs et du matériel agricole.
Et pour la petite histoire, comme il reste proche de ses 3,3 millions de concitoyens, il fait ses courses lui-même. On l’a vu acheter une lunette de WC dans une quincaillerie. Dernièrement, il s’est même blessé alors qu’il aidait un voisin à réparer son toit. Autant d’anecdotes qui concourent à façonner sa légende…
«Le bonheur sur terre», selon l'iconoclaste chef d’Etat, «ce sont quatre ou cinq choses, les mêmes depuis l'époque de Homère: l'amour, les enfants, une poignée d'amis...»
Derrière l’image un politique charismatique
Mais rien ne prédestinait ce fils de fermier, né le 20 mai 1934 près de Montévidéo, à accéder aux plus hautes sphères de l’Etat.
Dans les années 60, José Mujica a rejoint les rangs des Tupamaros, un mouvement de libération nationale d’extrême gauche. Dans les années 1960-70, le mouvement prônait la guérilla urbaine et l’action directe. Une ligne qui a amené l’ancien guérillero à mener avec d’autres la prise de la ville de Pando, en 1969.
Dépeint comme anarchiste, un peu communiste, anti-bourgeois, il a su devenir un socialiste réformateur depuis les années 90. S’il trouve le président vénézuélien Hugo Chavez sympathique, il préfère se comparer à l’ancien président brésilien Lula. Les bourgeois l’abhorrent, les classes moyennes l’adorent. Les premiers parce qu’ils ont peur de la radicalisation à gauche de l’homme, les seconds parce qu’il leur ressemble.
L'historienne vénézuélienne Margarita Lopez Maya estime que Mujica, tout comme a pu le faire Lula, l’ancien président brésilien, «privilégie l'égalité et le combat contre la pauvreté, mais dans un modèle économique qui allie marché et politique étatique». Une tendance qui gagnera, dit-elle, sur celle plus «radicale» et «étatique» popularisée par Hugo Chavez, au Venezuela.
Entretien avec José Mujica
Vidéo AFPTV, mise en ligne le 8 septembre 2012
L’homme sait séduire son auditoire
Tel fut le cas lors d'un dialogue organisé à la Bibliothèque nationale de Lima, en marge du IIIe Sommet de l'Aspa (qui rassemble les pays membres de la Ligue arabe et de l'Union des nations d'Amérique latine), le 2 octobre 2012 au Pérou. Là, le président uruguayen a estimé que si la société avait progressé, d’«énormes inégalités» persistaient en Amérique du sud.
Et l'ancien leader des Tuparamaros, d’ajouter : «La grande vérité que nous avons apprise, c'est que la démocratie n'est pas parfaite, mais éternellement perfectible.» Avant de conclure : c’est, «comme le disait Churchill, "le pire des systèmes... à l'exception de tous les autres."»
Pepe épingle une société où l'«esclavagisme» moderne consiste «à vivre pour travailler» au lieu de «travailler pour vivre».
Théoricien et politique, José Mujica n’en reste pas moins pragmatique quand il déclare à propos de l'entrée récente du Venezuela dans le marché commun constitué de l'Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay: «Nous serions des imbéciles si nous n'intégrions pas le Mercosur, celui qui a l'énergie.»
Pour lui, la «géopolitique ne détermine pas seule l'Histoire, mais elle existe, et il est très important» d'en tenir compte.
Quoi qu’il en soit, en 2011, le pays a connu un taux de croissance de 6% et de chômage de 6,1%. L’Uruguay est devenu «le pays d’Amérique Latine où le climat pour les affaires est le meilleur », devant le Pérou ou le Chili, a lancé en mars 2011 le ministre des Affaires étrangères urugayen, Luis Almagro. Et si, comme le déplore José Mujica «il reste encore beaucoup de choses à faire», il lui reste trois années de mandat pour les réaliser.
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