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Langlois accusé de "faire la promotion des Farc" par la droite colombienne

La libération festive du reporter de France 24 et ses déclarations à la presse ont provoqué un tollé dans une partie de la classe politique colombienne, ainsi que dans certains médias du pays.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le journaliste français Roméo Langlois, le jour de sa libération, le 30 mai 2012.  (LUIS ACOSTA / AFP)

Aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, près de Paris. Il est 11h20, vendredi 1er juin, quand Roméo Langlois apparaît en haut de la passerelle. Le journaliste, retenu 33 jours dans la jungle colombienne par les Forces armées révolutionnaires (Farc), enlace ses parents, salue la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, qui l'attend sur le tarmac, lui explique comment une balle lui a traversé le bras ce jour d'avril où les militaires qu'il accompagnait en reportage sont tombés sous les tirs des révolutionnaires. Lunettes de soleil relevées sur la tête, le reporter de 35 ans apparaît "en bonne forme, en pleine forme même", "tout sourire", décrit France 24, la chaîne qui l'emploie comme correspondant.

Il n'y a eu "aucune tractation, aucun échange, aucune condition" avec les Farc pour la libération du journaliste français Roméo Langlois, a assuré François Hollande. Concernant la remise en liberté du journaliste de France 24, la polémique est ailleurs. FTVi revient sur une libération pas comme les autres. 

Un show médiatique orchestré par les Farc

C'est la fête, mercredi 27 mai, dans le petit village de San Isidro, dans la Caqueta, une région isolée au sud du pays. Après 33 jours de captivité, Roméo Langlois vient d'être conduit par ses geôliers sur le lieu de sa libération. Des villageois se pressent autour de lui qui, caméra au poing, filme cette scène surréaliste. Dans la liesse, le commandant Jairo, chef guérillero des Farc, le remet aux membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) puis répond, calmement, aux questions des journalistes. 

"Le show qui a été organisé (...) était étonnant", a noté le grand reporter du Figaro Patrick Bèle. C'est l'organisation de ce show qui explique le temps que ça a pris puisqu'il aurait pu être libéré avant", a-t-il avancé. Selon cet expert de l'Amérique latine, "la direction nationale des Farc a estimé qu'elle pouvait tirer profit [de cette prise d'otage] au niveau de sa communication, puisque les Farc ont une volonté absolue d'exister sur la scène médiatique, a-t-il expliqué. Pour qu'ils ne soient pas uniquement pris pour une bande de délinquants". 

Les Farc, qui avaient assuré qu'ils arrêteraient d'utiliser les enlèvements comme moyens de pressions, ont ainsi utilisé le journaliste, pas dupe. "Ils m'ont utilisé comme un trophée de guerre pour rappeler au monde que le pays est en guerre, a expliqué Roméo Langlois sur France Info.

Des déclarations fracassantes

Passées les images, ce sont ensuite les déclarations du reporter qui étonnent. "J'ai été traité comme un invité", a-t-il expliqué dès sa libération, mercredi. Arrivé à Paris, il a corrigé : "J'ai dit que j'étais un otage VIP, c'est peut-être un peu exagéré, mais je ne me plains pas trop" ; "j'ai été très, très bien traité", a-t-il insisté. 

 

Roméo Langlois : "J'ai été très très bien traité" (Francetv info)

Et puis il y a cette forme de détachement, lorsque Langlois évoque sa détention : "Ils m'ont donné une radio, le kit du parfait otage", a-t-il sourit en conférence de presse, notant par ailleurs que ses proches avaient sans doute davantage souffert que lui. "Il aura fallu que je me fasse enlever pour me rendre compte qu'il y a un grand nombre de gens qui m'aiment", a-t-il plaisanté.

Un discours qui dérange

Sans cautionner leurs actes, le journaliste évoque des "relations professionnelles" avec les guérilleros, jugeant aussi important de comprendre le soutien apporté par les guérilleros dans les régions reculées "où il n'y a ni routes, ni hôpitaux, ni de quoi manger". Il a par ailleurs dénoncé le "blocage médiatique" et déploré que le conflit soit trop peu couvert... ou mal couvert. "C'est extrêmement tragique. Il n'y a ni bons ni méchants. Parfois la presse et le gouvernement parviennent à vendre des images distordues, mais quand on vient dans des zones comme celle-ci, on voit que la réalité est plus complexe", a-t-il expliqué.

L'ex-président colombien est furieux 

Dès mercredi, Roméo Langlois a donné sa vision du conflit. Une vision qui dérange au sommet de l'Etat colombien ainsi que dans les médias du pays, note LatinReporters.com. Cette petite victoire médiatique des Farc, qui ont notamment imposé leurs conditions, a provoqué la fureur de l'ancien président Alvaro Uribe et de la droite colombienne, laquelle avait fait de la lutte contre la guérilla une priorité absolue. Jeudi, l'ancien président a violemment attaqué le journaliste sur Twitter, l'accusant de complaisance : "Langlois, ne nous trompez plus, 50 % des familles colombiennes ont été victimes des terroristes dont vous faites la promotion", écrit-il. "Langlois sait mentir, aujourd'hui il est revenu à la liberté qu'il n'a jamais perdue et il est revenu au mensonge qu'il n'a jamais oublié", a-t-il poursuivi. 

Ainsi attaqué, le journaliste a rappelé que l'homme politique ne le porte pas dans son cœur : il lui avait posé des questions "qui ne lui avaient pas plu", s'est-il souvenu, après avoir qualifié la déclaration d'Uribe de "farce de mauvais goût".

Dans la presse, des voix se sont également élevées contre cette opération de communication des Farc. "Qu'en est-il des civils enlevés qui n'ont pas la possibilité de monter un spectacle médiatique comme Langlois ? a demandé un éditorialiste du quotidien colombien El Tiempo (lien en espagnol). Roméo Langlois est-il plus intéressé par sa renommée journalistique que par le drame dont souffre la Colombie pour ainsi se moquer de Colombiens ?" a-t-il attaqué. Dénonçant un "cirque médiatique", l'éditorialiste s'interroge encore : "Serait-ce un mécanisme de distraction, auquel nous sommes habitués ?", avant de demander pourquoi les médias n'ont alors pas évoqué l'attentat du 17 mai dernier, contre l'ancien ministre de l'Intérieur d'Alvaro Uribe, Fernando Londono. Un attentat attribué aux Farc, qui a tué deux gardes du corps et trois passants à Bogotá, la capitale.

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