La bataille de la Fed expose les faiblesses d'Obama
La bataille pour la succession de Ben Bernanke, président de la banque centrale américaine, fait rage à Washington. Un prétendant vient de mordre la poussière : Larry Summers. Jugé trop favorable à Wall Street, il était pourtant le favori de Barack Obama.
Larry Summers est, de l'avis de ceux qui l'ont côtoyé, l'un des économistes les plus brillants de sa génération. Il a successivement occupé les postes d'économiste en chef de la Banque mondiale, secrétaire d'Etat au Trésor de Bill Clinton, président de Harvard et conseiller économique en chef de la Maison Blanche.
Larry Summers vient pourtant d'échouer aux portes d'un des derniers postes qui manquaient à son tableau de chasse : celui de président de la Réserve fédérale (Fed), la toute puissante banque centrale américaine. Considéré jusqu'ici comme le favori de Barack Obama pour prendre la succession de Ben Bernanke en janvier, il a jeté l'éponge et retiré sa candidature dans une lettre adressée au président, dimanche 15 septembre.
A l'origine de ce repli : une levée de boucliers qui menaçait d'entamer le capital politique d'Obama. Explications.
La Maison Blanche en première ligne d'une âpre bataille
Les changements à la tête de la Fed donnent rarement lieu à des débats enflammés. Cette année fut l'exception : depuis le début de l'été se tient une véritable guerre des tranchées politico-médiatique autour de la succession de Ben Bernanke. D'un côté, les proches du président, qui soutiennent en coulisses la candidature de l'un des leurs : Larry Summers, aussi connu pour son esprit vif que pour son sale caractère, artisan brillant mais controversé des politiques économiques de Bill Clinton comme de Barack Obama.
De l'autre, les partisans nombreux et obstinés de Janet Yellen, actuelle numéro deux de la Fed et concurrente directe de Summers pour le poste.
Larry Summers a sifflé dimanche la fin des hostilités. "A mon grand regret, je suis arrivé à la conclusion que mon éventuel processus de confirmation [approbation par le Congrès, obligatoire pour ce genre de poste] serait acrimonieux et ne servirait ni l'intérêt de la Réserve fédérale, ni celui de l'administration [de Barack Obama] ni, in fine, ceux de la reprise économique de notre pays", explique-t-il dans la courte lettre expliquant sa décision.
Le constat est lucide : à la veille du week-end, la bataille pour sauver le soldat Summers s'annonçait sinon perdue, du moins très mal engagée. En quelques jours, trois sénateurs démocrates membres de la Commission des affaires bancaires ont pris position contre sa candidature, laissant augurer un processus de nomination plus que difficile.
Quand Summers incarne l'entre-soi de Washington
Mais l'annonce est aussi probablement accueillie avec soulagement par certains proches du président. Car des trois parties prenantes citées par Summers, c'est sans doute Barack Obama qui avait le plus à perdre à voir s'éterniser les débats. Et pour cause : les reproches qui sont faits au principal intéressé touchent de près le locataire de la Maison Blanche.
Sur le fond, d'abord. De 2009 à 2011, Larry Summers a dirigé le National economic council, l'équipe d'économistes chargés d'assister le président dans l'élaboration de sa politique économique. A ce poste, il a largement contribué à façonner le plan de relance massif lancé par l'administration Obama au lendemain de la crise financière. Il était aux premières loges lors de l'élaboration de la réforme de Wall Street, dite "loi Dodd-Frank", promulguée en 2010.
Problème : Larry Summers était aussi aux premières loges lors de la vague de dérégulation financière qui, pour certains, est en partie responsable de cette même crise.
Ce diplômé du M.I.T. et de Harvard en a même été le principal artisan : nommé secrétaire au Trésor par Bill Clinton en 1999, Larry Summers a conçu le Financial Services Modernization Act (Loi de modernisation des services financiers), qui met fin à la stricte séparation entre banques commerciales et banques d'investissement. Un mélange des genres très critiqué dix ans plus tard, et auquel a de nouveau mis fin… la loi Dodd-Frank, portée par l'administration Obama.
Des activités de conseil un peu trop juteuses
Lors du passage de la réforme, le passif de la garde rapprochée d'Obama en matière d'économie faisait déjà grincer l'aile gauche du Parti démocrate. Trois ans plus tard, elle ressort les griffes à l'idée de voir un de ses membres occuper un siège hautement stratégique.
Sans compter qu'entre-temps, le parcours de Larry Summers a été passé au crible. "Depuis son retour dans le secteur privé, en 2011, M. Summers a fait face à une forte demande concernant ses vues sur l'économie, la politique et les marchés", explique avec gourmandise le Wall Street Journal (en anglais). Le quotidien économique mentionne notamment ses lucratives activités de consultant pour Citigroup, l'une des plus grosses banques américaines.
Une activité déjà solidement établie lors de sa première incursion dans le monde du conseil : selon ses déclarations d'intérêts, compilées par Bloomberg (en anglais), Larry Summers a amassé une fortune de plus de 17 millions de dollars entre son départ de l'administration Clinton, en 2001, et son retour dans l'administration Obama, en 2009. Si cet aller-retour entre public et privé est fréquent à Washington, il n'est pas vraiment un gage de popularité auprès du grand public, qui s'interroge sur les liens unissant les régulateurs aux firmes dont ils sont censés freiner l'appétit.
Un président peu pressé de briser le plafond de verre
Pour les détracteurs de Barack Obama, c'est un accroc de plus aux discours empreints de grands idéaux qui l'ont porté au pouvoir. Larry Summers incarne à ce titre une autre lacune du président : son peu d'empressement à favoriser la parité aux postes clés de l'administration.
Car les opposants à Summers sont aussi les farouches partisans de sa concurrente, Janet Yellen. Cette économiste peu médiatique mais rompue aux arcanes de la politique monétaire a reçu un nombre impressionnant de soutiens, dont celui du prix Nobel Paul Krugman dans le New York Times (en anglais).
De nombreuses voix féministes et progressistes, en particulier, se sont élevées pour dire leur incompréhension face aux réticences d'Obama à nommer celle que beaucoup présentent comme la candidate naturelle au poste. Car la nomination de Yellen serait une première historique : aucune femme n'a jamais été présidente de la Fed, pas plus que secrétaire au Trésor.
"Ce n'est pas de la faute de Summers s'il est un homme, résume le New York Magazine (en anglais). Mais Summers est l'homme d'Obama, et le bilan d'Obama en termes de nominations féminines est mauvais. (...) Il semble plus à l'aise avec les hommes, s'entoure de ces derniers, et a mis sur pied une administration plus masculine en ce qui concerne les postes les plus élevés que la dernière administration démocrate", celle de Clinton, dans les années 1990. La défection de Larry Summers offre au président l'occasion rêvée de corriger cette tendance.
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