Haïti: le poids d'une dette vieille de 200 ans
Le 1er janvier 1804, Haïti proclame son indépendance, obtenue après une longue guerre. Jusque dans les années 50, le premier État noir de l’histoire moderne a remboursé à la France, ex-puissance coloniale, une dette qui équivaudrait à 17 milliards d’euros d’aujourd’hui. Cette dette a considérablement entravé le développement de l'un des pays les plus pauvres du monde.
Le 17 février 2010, Nicolas Sarkozy est le premier chef d’Etat français à se rendre en visite à Haïti depuis l’indépendance. "Notre présence ici n'a pas laissé que de bons souvenirs", déclare-t-il alors. "Les blessures de la colonisation et, peut-être pire encore, les conditions de la séparation ont laissé des traces qui sont encore vives dans la mémoire des Haïtiens", poursuit-il.
Un retour en arrière s’impose. En 1791, en pleine Révolution française, éclate sur l’île d’Haïti, alors Saint-Domingue, une révolte d’esclaves noirs sous la conduite de Toussaint Louverture, ancien esclave qui sera nommé général et gouverneur du territoire. Le mouvement aboutit en 1793 à l’abolition de l’esclavage par la Convention. Mais l’abolition passe mal auprès des créoles et des négociants qui obtiennent de Bonaparte en 1802 son rétablissement. Il faut dire qu’à cette époque, celle que l’on surnomme "la perle des Antilles" est une île riche et prospère : les colons ont du mal à accepter de perdre une main d’œuvre taillable et corvéable à merci.
Le premier consul envoie un corps expéditionnaire de plusieurs milliers d’hommes. Des combats s’engagent alors avec les hommes de Toussaint Louverture qui est capturé par les Français et mourra au fort de Joux (Doubs) en 1803. Son adjoint, le général Jean-Jacques Dessalines, reprend le flambeau et l’emporte contre son homologue français Rochambeau lors d’une guerre qui fait des dizaines de milliers de morts. En 1804, Dessalines proclame l’indépendance.
Double dette
La France a du mal à accepter la perte de celle qu’on appelle "la colonie la plus riche du monde". Des négociations commencent entre les deux parties pour tenter de trouver une issue. Elles traînent en longueur. En 1825, le roi Charles X "concède" son indépendance à Haïti en échange d’une indemnité de dédommagement de 150 millions de francs or. Cette somme représente "l’équivalent d’une année de revenus de la colonie aux alentours de la Révolution, soit 15 % du budget annuel de la France", rapporte l'écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert. Pour contraindre Haïti à signer l’accord, la France impose un blocus maritime.
Pour payer, le nouvel Etat doit donc emprunter des sommes considérables sur la place de Paris. Il lui faut donc acquitter ce que certains historiens ont appelé "la double dette de l’indépendance" : l’indemnité et les intérêts des emprunts. Dans le même temps, les recettes de l’ancienne perle des Antilles, ravagée par des années de guerre et de blocus, fondent. Le cours du café, sa principale ressource, a considérablement baissé. Dans le même temps, par crainte des Français, les autorités insulaires investissent beaucoup dans des constructions militaires. Dans ce contexte, Haïti est dans l’incapacité de payer.
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Un accord n’est trouvé avec la France qu’en 1838. Le roi Louis-Philippe accepte de réduire l’indemnité à 90 millions, somme qui équivaudrait à 17 milliards d'euros d'aujourd'hui. Pour la régler, le nouvel Etat doit lever de lourds impôts. La dette est soldée en 1883. Mais l’ancienne colonie ne finira de payer les agios de l’emprunt… qu’au milieu du XXe siècle !
Aujourd’hui, Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde. "L'incurie, la corruption et l'incompétence des Haïtiens eux-mêmes y sont certainement pour beaucoup. La mainmise des Américains au début du XXe siècle a achevé la dérive de ce petit pays. Mais le versement de la dette de l'indépendance à la France et l'emprunt ainsi contracté y ont aussi contribué", analyse Louis-Philippe Dalembert.
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