Cet article date de plus de cinq ans.

Brésil : les incendies font-ils toujours rage en Amazonie ?

Il y a des incendies toute l'année dans le pays, en raison notamment de la déforestation et du réchauffement climatique. Le nombre de feux est toutefois en nette diminution à cette période de l'année qui précède la saison des pluies.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Un incendie près d'Itaituba, dans l'Etat brésilien de Para, le 10 septembre 2019. (NELSON ALMEIDA / AFP)

Au mois d'août, les images de l'Amazonie en flammes ont fait le tour du monde et ont suscité un vif émoi dans l'opinion. A tel point que deux mois plus tard, franceinfo reçoit toujours de nombreuses questions de lecteurs sur l'état de la situation au Brésil. L'Amazonie brûle-t-elle toujours ? Pour connaître la réponse, il faut se concentrer sur les relevés satellites de l'Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE), qui fait référence dans la détection des foyers d'incendie dans le pays et en Amérique du Sud. Voici, par exemple, le relevé du mardi 29 octobre. On y voit des feux encore actifs (les points colorés) dans le biome amazonien, parfois même dans les zones naturelles protégées (en vert).

Feux dans le biome amazonien et au Brésil enregistrés dans la journée du 29 octobre 2019 par l'INPE. (INPE)

Nombre de ces foyers amazoniens sont allumés par les hommes, afin notamment de développer l'élevage. "Les arbres sont abattus quatre ou cinq mois avant le début de la saison sèche, le plus souvent dans des forêts déjà dégradées ou exploitées pour les essences qui ont de la valeur", explique Plinio Sist, directeur de l'unité de recherche Forêts et sociétés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad). Les surfaces sont ensuite embrasées en milieu de saison sèche, ce qui explique les pics annuels d'incendies aux mois d'août et surtout de septembre.

"Un mouvement freiné par l'envoi de l'armée"

"Nous sommes donc sur la fin des incendies de l'année, sauf si la saison sèche se prolonge et que les autorités relâchent leurs contrôles sur le terrain", résume le chercheur. Ce phénomène cyclique est documenté par les relevés satellites de l'INPE qui remontent à juillet 2010. 

Reste que le mois d'août 2019 a été marqué par un nombre record de foyers depuis 2010 – plus de 30 000. Cette nouvelle a fait l'effet d'une bombe alors que le nouveau président brésilien, Jair Bolsonaro, est connu pour ses positions controversées sur l'environnement. En témoigne la réduction des crédits alloués à l'agence de l'environnement brésilienne (Ibama), chargée de faire respecter le droit en forêt, et le limogeage début août du directeur de l'INPE, Ricardo Galvão, accusé par le président brésilien d'exagérer l'ampleur de la déforestation et d'être "au service des ONG".

Des membres de l'agence de l'environnement brésilienne (Ibama) luttent contre les flammes dans l'installation rurale amazonienne de Nova Fronteira, dans l'Etat de Pará, le 3 septembre 2019. (GUSTAVO BASSO / NURPHOTO)

Les impressionnants incendies de cet été ont toutefois nourri des pressions médiatiques et diplomatiques, conduisant Jair Bolsonaro à signer un décret pour déployer l'armée et combattre les incendies et les trafics illégaux. Ce qui a fait chuter d'un quart le nombre de feux au mois de septembre. Après une visite aux Nations unies, le vice-président Hamilton Mourão, général en charge des opérations, a prolongé d'un mois le dispositif, dont le coût total devrait atteindre 90 millions de dollars.  

La baisse de ce mois d'octobre 2019 est liée à deux phénomènes, selon Ricardo Galvão. D'une part, "les feux de forêts sont survenus plus tôt cette année, au mois de septembre". D'autre part, "le gouvernement a envoyé des forces armées en Amazonie, pour aider à combattre les incendies et à en prévenir de nouveaux", précise-t-il à franceinfo. Pour autant, "la situation générale n'évolue pas nécessairement dans le bon sens", ajoute Plinio Sist.

Les foyers, en effet, sont en hausse un peu partout dans le pays. Ce constat est visible sur cette carte par Etat, qui montre l'évolution du nombre de feux cette année par rapport à la moyenne de la période entre 2014 et 2018 (nombres à la hausse en rouge, à la baisse en bleu).  

La tendance est encore plus alarmante quand on se penche sur les surfaces incendiées. Cette hausse "n'est pas exceptionnellement supérieure aux autres années, résume Arnaud Gauffier, co-directeur programme WWF. En revanche, la surface brûlée en août est trois fois supérieure à celle de l'année précédente. De janvier à septembre, les surfaces brûlées ont augmenté de 36% en comparaison avec la moyenne des dix dernières années."

Aussi spectaculaires soient-ils, ces incendies ne sont que "les mains armées de la déforestation", résume Plinio Sist. Quelque 7 853 km2 de terres amazoniennes ont été déboisées depuis le début de l'année, selon l'INPE, ce qui représente une hausse de 93% par rapport à la même période l'an passé (4 075 km2). La surface totale concernée par la déforestation en Amazonie brésilienne pourrait atteindre 10 000 km2 à la fin de l'année, une première depuis 2008. Il est même probable que les données soient sous-évaluées, estime Plinio Sist, car elles ne prennent pas en compte le nouveau déboisement de zones déjà exploitées par le passé puis abandonnées. Dans ces "fronts pionniers", pourtant, la forêt secondaire ouvre la régénération nécessaire à un nouveau cycle.

Pour l'ancien directeur de l'INPE, la communauté internationale devrait donc être davantage indignée par cette cause profonde que par les incendies.

Les feux d'Amazonie sont presque toujours la conséquence d’une déforestation. Cette forêt est humide, donc elle ne brûle pas spontanément. Les Européens étaient très émus par les images des forêts incendiées, mais il faudrait surtout réagir à la déforestation et au défrichage des terres.

Ricardo Galvão, ancien directeur de l'INPE

à franceinfo

Encore plus de feux dans la savane du Cerrado

Si le "poumon vert" de la planète attire tous les regards, d'autres régions sont tout autant concernées par le phénomène. Dans la zone humide du Pantanal, située dans le sud-ouest du pays, les feux ont ainsi brûlé une surface supérieure de 90% par rapport à l'an passé. Au mois d'octobre, le nombre de feux était plus important encore dans le Cerrado qu'en forêt amazonienne.

Unique au monde pour sa biodiversité, cette région de savane au cœur du pays est un écosystème propice aux incendies naturels. Contrairement à l'Amazonie, assez humide, le Cerrado "brûle spontanément à la saison sèche", explique à franceinfo Ricardo Galvão. Malgré tout, près de la moitié de la végétation originelle de ce biome a déjà disparu, car la baisse des investissements ne permet "pas de contrôler de manière efficace les feux dans la végétation originelle", relève Ludivine Eloy, chercheuse au CNRS et à l'UMR ART-DEV de l'université de Montpellier (Hérault).

Mais surtout, le feu y est également utilisé "pour convertir ces espaces en monocultures" – notamment de soja – et "le taux annuel de déforestation est [désormais] deux fois plus important au Cerrado qu'en Amazonie". Les zones protégées ne couvrent que 13,1% du territoire du Cerrado, contre 50,8% pour l'Amazonie. Plinio Sist ajoute que "le code forestier impose aux propriétaires un simple minimum de 30% de forêts sur les propriétés, contre 50% ou 80% en Amazonie".

Des pompiers luttent contre un incendie le 21 août 2019, près de Brasilia, dans le Cerrado brésilien, un paysage de savane où se développe la culture du soja. (MATEUS BONOMI / AGIF)

Ludivine Eloy met toutefois en garde contre une "vision binaire" des feux : "Tout autoriser d'un côté (déforestation, produits phytosanitaires et irrigation pour les plantations) et protéger strictement de l'autre (interdiction du feu et de l'usage des ressources naturelles dans les réserves légales et aires protégées)." Ces espaces sont en effet habités depuis des centaines d'années par des populations "qui savent gérer le feu et dépendent de ces ressources pour vivre".

Tout un continent confronté aux feux

Les politiques de gestion intégrée du feu doivent donc prendre en compte tous ces aspects. Par le passé, le Brésil a d'ailleurs déjà obtenu des résultats dans la lutte contre la déforestation. "Entre 2004 et 2012-2015, la déforestation avait baissé de 80%, passant de 2,7 millions d'hectares par an à 500 000 hectares, explique Plinio Sist. Le Brésil était alors un exemple de lutte contre la déforestation, avec des crédits pour l'INPE et l'Ibama, un rôle de l'armée, une lutte contre la corruption et une meilleure application des sanctions. Mais depuis 2015, la tendance est à la hausse."

Le phénomène semble même s'accélérer depuis l'arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. La déforestation progresse désormais au rythme de 110 terrains de football par heure. "L'augmentation du nombre de feux est liée au sentiment d'impunité bien diffusé parmi les fermiers, précise Arnaud Gauffier. Jair Bolsonaro encourage tous les types d'investissement qui peuvent nuire à la forêt, avec de nouveaux permis miniers et de nouvelles infrastructures" – une nouvelle voie ferrée est notamment prévue entre les villes de Sinop (Etat du Mato Grosso) et Manaus (Amazonie).

Il existe une rhétorique politique qui réduit la déforestation à un problème technique ou comme un effet inévitable du développement économique au Brésil.

Ludivine Eloy, chercheuse au CNRS

à franceinfo

La médiatisation des incendies a pourtant des conséquences économiques pour le pays : le nombre de vols American Airlines vers Manaus a par exemple diminué de 15% depuis l'été. Face à ces mauvais indicateurs, le président de l'institut brésilien du tourisme (Embratur) préfère souligner que "l'Amazonie n'a pas pris feu" et dénoncer les effets d'un "marketing négatif" venu de l'étranger. Cité par l'agence portugaise Lusa (en portugais), il s'en prend notamment à Emmanuel Macron pour avoir partagé une fausse photographie des incendies et avoir ainsi dégradé l'image du pays.

Le président Bolsanoro ne peut pas être directement lié à la déforestation et à l’accaparement illégal de terres en Amazonie. Mais ses discours représentent certainement un feu vert pour les bûcherons et les mineurs clandestins. La communauté scientifique doit se défendre avec force et c'est ce que j'ai choisi de faire.

Ricardo Galvão, ancien directeur de l'INPE

à franceinfo

Les arguments des autorités fédérales semblent donc faire mouche dans une partie de l'opinion et chez certains décideurs. Le cas brésilien, enfin, ne doit pas faire oublier la situation chez ses voisins amazoniens. Mi-septembre, plus de 2 200 feux de forêts avaient déjà été enregistrés sur l'année en Colombie, soit le nombre d'incendies le plus élevé depuis vingt ans. A la même période, en Bolivie, les feux avaient déjà dévasté plus de 1,7 million d'hectares de prairies depuis mai. C'est donc tout un continent qui doit relever le défi de la lutte contre les incendies et la déforestation.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.