Crash de l’avion de Dag Hammarskjöld en 1961 en Zambie : accident ou assassinat?
Dans un rapport rendu public le 6 juin 2015, une équipe d'experts indépendants nommés par les Nations Unies fait part, en langage très diplomatique, de «nouvelles informations» ayant «une valeur probante modérée» («moderate probative value»). Ces informations, basées sur des témoignages, évoquent la présence d’un ou plusieurs avions à réaction qui auraient pris en chasse le DC6 de Dag Hammarskjöld. Et l’auraient abattu.
Dans une lettre annexée au rapport, l’actuel secrétaire général, le Sud-Coréen Ban Ki-moon, souligne que ces nouveaux éléments «ont une valeur probante suffisante pour faire de l'attaque aérienne ou d'un autre fait d'origine extérieure, une hypothèse à prendre en compte». En clair, l’hypothèse que Dag Hammarskjöld soit mort de cause non naturelle. Le rapport écarte ou minimise d'autres explications : détournement, sabotage de l'appareil, fatigue de l'équipage.
M. Ban pense «qu'une nouvelle enquête serait nécessaire pour établir définitivement les faits». Il «exhorte de nouveau les Etats membres à divulguer et à déclasser les informations dont ils pourraient disposer», en particulier sur une éventuelle attaque.
Il faut dire que les enquêteurs ont demandé en vain aux autorités américaines et britanniques certains documents classés secrets émanant de leurs services de renseignement. Il s'agit notamment d'enregistrements de conversations dans le cockpit de l'avion et de messages radio que l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) aurait réalisés en 1961. Les Etats-Unis ont répondu qu’ils «trouvé aucun document correspondant à (cette) description». Par contre d'autres documents concernant cette affaire se trouvent dans les archives mais ils «restent top secret et ne peuvent être divulgués.»
Le gouvernement britannique a, lui aussi, opposé une fin de non-recevoir aux demandes de la commission d'enquête. Celles-ci concernaient un agent du MI6 (service de renseignement britanniques) présent sur place au moment de l'arrivée de l'avion de Dag Hammarskjöld dans ce qui était alors la Rhodésie du Nord, à l’époque encore un protectorat britannique. Les autorités du protectorat avaient alors conclu à un accident.
Assassinat, ou pas?
Reste à essayer de comprendre le contexte passablement compliqué de cette ténébreuse affaire. Sans tomber dans la théorie du complot…
Ce n’est pas la première fois qu’est évoquée la thèse de l’assassinat du diplomate suédois. Au moment des faits, ce dernier tentait d’obtenir un cessez-le-feu au Congo, ancienne colonie belge, indépendante depuis peu. Il allait rencontrer Moïse Tshombe, dirigeant du Katanga, province du Congo riche de multiples minerais et pierres précieuses. Laquelle venait de faire sécession avec le soutien de la puissante Union Minière du Haut-Katanga (UMHK), de troupes belges et de mercenaires. Il «espérait pouvoir négocier avec Tshombé la libération d'un escadron de casques bleus retenus en otage ainsi que le désarmement complet des forces katangaises», rappelle Le Monde.
«Farouchement indépendant», Dag Hammarskjöld «s’était aliéné les grandes puissantes du Conseil de sécurité (de l’ONU) (…) en soutenant le processus de décolonisation», observe le Guardian. En juillet 1960, il avait ainsi répondu à la demande d’aide du Premier ministre congolais, Patrice Lumumba, en envoyant des casques bleus pour mettre fin à l’insurrection. Mais devant la lenteur de l’opération onusienne, Patrice Lumumba s’était ensuite tourné vers les grandes puissances et avait obtenu l’aide de l’URSS. Ce qui «a précipité l’émergence de la Guerre froide en Afrique avec la très vive inquiétude des Etats-Unis de voir, pour la première fois, l’URSS tenter de s’engager loin de ses frontières», rapporte l’historien américain Philip Muehlenbeck.
Evidemment, tout cela ne dit pas si l’ancien secrétaire général de l’ONU a lui aussi été victime d’un assassinat. Une chose est sûre : sa politique congolaise avait irrité les Américains et les Britanniques. «Parmi la liste des coupables potentiels figurent les gouvernements de Rhodésie, du Katanga, du Royaume Uni et d’Afrique du Sud ; des intérêts économiques ouest-européens (pour la plupart des compagnies minières belges et françaises) opérant au Katanga ; des mercenaires étrangers actifs dans cette région ; et des éléments incontrôlés de la CIA» et des services britanniques, affirme Philip Muehlenbeck.
Alors s’agit-il d’un «complot», comme le pense l’historien ? La nouvelle enquête de l’ONU permettra peut-être de le savoir. Pour l’instant, la mort du diplomate suédois reste, comme celle de Patrice Lumumba (assassiné, dit-on, par des Congolais assistés par des Belges), l’«un des grands mystères de l’histoire contemporaine africaine».
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