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Tunisie: la chasse aux non-jeûneurs du ramadan

Deux vidéos mises en ligne sur internet montrent des opérations policières contre des cafés ouverts pendant le ramadan à Gammarth (banlieue de Tunis) et à Monastir (est du pays). De telles affaires ne sont apparemment pas les seules. Le ministère de l’Intérieur explique qu’«aucun café ne peut rester ouvert pendant la période du ramadan en dehors des zones touristiques et commerciales»...
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Capture d'écran d'une vidéo, mise en ligne le 25 juin 2015  par le site tunisien Businessnews: une jeune femme, apparemment la serveuse d'uin café, est agressée par un policier à Monastir. Le café ne fermerait pas ses portes pendant la période du jeûne du ramadan.   (DR (capture d'écran d'une vidéo mise en ligne par le site tunisien Businessnews))

Les deux vidéos sont assez confuses.

Vidéo mise en ligne sur Youtube par France 24 le 25 juin 2015

Dans celle tournée par un téléphone portable le 20 (ou le 22) juin 2015 à Gammarth, banlieue huppée de Tunis, on voit des hommes intervenir dans ce qui semble être un hall d’hôtel ou de restaurant. Il s’agit d’«un café ouvert qui sert des cafés et autres boissons aux non-jeûneurs» du ramadan (qui a débuté le 18 juin), raconte le site Businessnews qui a mis la vidéo en ligne. 

«La police arrive et fait immédiatement arrêter le service. Le policier parle au caissier avec un ton assez agressif. Les policiers ont également pris soin d’opérer des contrôles d’identité sur l’ensemble des clients qui étaient présents dans le café», poursuit Businessnews.

Dans la seconde vidéo, apparemment tournée la nuit par une caméra de surveillance et mise en ligne le 25 juin, on voit (à 1’20) une jeune femme entrer dans le champ, suivie par un homme d’âge mur en cravate. Celui-ci la frappe avant de jeter son téléphone portable par terre. «Tête baissée, elle est partie sans demander son reste», rapporte un article du quotidien Le Temps. L’affaire a été racontée par le gérant du café, Moustapha Farès.

Mise en ligne par Businessnews le 25 juin 2015

La jeune femme serait une employée du café. Son agresseur, qui exigeait la fermeture de l'établissement, répondrait au nom de Moufid Souf et ne serait autre que le chef de la police du district de Monastir. «Avant que le policier n’entre dans le champ de la camera à l’extérieur de mon café, il était furax dans mon établissement, il a cassé du mobilier et tapé ma serveuse avec une chaise», a rapporté Moustapha Farès, cité par le site de France 24. La descente policière avait pour but d’«obliger le gérant du café à fermer boutique en cours de journée, et ce tout au long du mois du ramadan», constate l’article du Temps.

Une fois rendues publiques, ces deux affaires ont provoqué un scandale. Moufid Souf et les responsables policiers de Gammarth ont été limogés par le ministère de l’Intérieur. Dans les deux cas, ils l’ont été pour «abus de pouvoir», et dans celui de Gammarth, «pour avoir pris des mesures illégales», précise Businessnews.

«Illégal», vous avez dit «illégal» ? Tout n’est peut-être pas aussi simple et le pouvoir n’est pas très clair dans cette affaire… Car Moufid Souf affirme, là encore cité par Businessnews, «qu’il n’a fait qu’exécuter les ordres ministériels. Il a ainsi déclaré qu’il a reçu une note signée par le ministre (numéro 967/7 datée du 16 juin 2015) ordonnant aux différents districts de procéder à la fermeture des cafés ouverts en matinée durant le mois de ramadan et qui se trouvent dans les quartiers populaires.» En clair, il aurait obéi aux ordres… Pour autant, peut-on croire l’ex-responsable policier qui affirme qu’«il n’a jamais frappé un individu et qu’il est un fervent défenseur des droits de l’Homme»...?

Alors, légale ou illégale, l’intervention ? Interrogée par France 24, le ministère de l’Intérieur explique : «Aucun café ne peut rester ouvert pendant la période de ramadan en dehors des zones touristiques et commerciales identifiées par le ministère dans une circulaire transmises aux mairies. Nous respectons la liberté ou non de jeûner, mais il y a des mesures spécifiques durant le ramadan qui sont prises pour respecter nos concitoyens.»

Pas si simple, rétorquent les associations de défense des droits de l’Homme. Pour elles, la fermeture des cafés en période de ramadan est «une pratique qui limite les libertés personnelles garanties par la Constitution tunisienne». Les pouvoirs publics du pays ont décidément besoin d’accorder leurs violons. Au-delà, une chose est sûre : il n’est pas facile d’être non-jeûneur en Tunisie…

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