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Remaniement en Tunisie : le fantôme de Ben Ali plane sur le nouveau gouvernement

Le Premier ministre, qui a procédé à un remaniement ministériel, a obtenu le 11 septembre 2017 au soir la confiance du Parlement à l’approche du premier scrutin électoral depuis 2014, en l’occurrence les municipales prévues le 17 décembre. Pour les observateurs, ce remaniement, qui fait entrer au gouvernement plusieurs anciens de l'ère Ben Ali, renforce le rôle du président Béji Caïd Essebsi.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président tunisien Béji Caïd Essebsi à Tunis le 7 août 2017 (AFP PHOTO / FETHI BELAID)

Devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), Youssef Chahed, 42 ans, en poste depuis un an, a évoqué un «gouvernement de combat» chargé de continuer à mener «la guerre contre le terrorisme, contre la corruption, pour la croissance, contre le chômage et les inégalités régionales». C'est pour «renforcer les capacités de notre pays en matière de lutte contre le terrorisme, contre le crime organisé et la contrebande» que de nouveaux ministres de l'Intérieur et de la Défense ont été nommés, a-t-il dit.

«De nombreux indicateurs économiques se sont améliorés», a indiqué le chef du gouvernement. Les investissements étrangers ont ainsi augmenté de 7% durant les sept premiers mois de 2017, tout comme la production de phosphate (+34%), et le secteur du tourisme a repris des couleurs, a-t-il fait valoir.

Mais cette «amélioration relative» est «partielle et nous ne devons pas nous en contenter. Le chemin est encore long», a averti Youssef Chahed. Et d’expliquer que la nouvelle composition de son gouvernement respectait «l'union nationale» nécessaire au lancement de grandes réformes. En clair, l’alliance entre Nidaa Tounès, le parti du président Béji Caïd Essebsi, et les islamistes d’Ennahda va se poursuivre. Entre les deux formations (anciennement ?) rivales et partenaires par obligation, «la méfiance persiste mais l’hostilité s’est émoussée, jetant les bases d’une cohabitation de raison plus que de cœur», observe Le Monde.

Emprise du chef de l’Etat
De fait, le gouvernement remanié n'a pas bousculé les équilibres politiques en vigueur. Pour autant, il marque un renforcement de l'emprise du chef de l'Etat, sur l'exécutif, à quelques mois des premières municipales post-révolution et à deux ans des législatives et présidentielle. La nouvelle équipe compte des hommes réputés de confiance du président et consolide la présence de Nidaa Tounès, qui avait porté Béji Caïd Essebsi (alias BCE) à la victoire en 2014.

Le nouveau ministre des Finances Ridha Chalghoum, ex-ministre du dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali, était auparavant conseiller de BCE. Tout comme le nouveau titulaire de la Santé, Slim Chaker. Celui de la Défense, Abdelkrim Zbidi, occupait ce même poste quand le chef de l’Etat était Premier ministre en 2011. Ce dernier «avait les choses déjà en main bien avant ce remaniement (...). La seule différence, c'est que c'est beaucoup plus flagrant cette fois-ci et que la présidence s'en cache à peine», observe l’analyste indépendant Selim Kharrat cité par l’AFP. Conséquence : Youssef Chahed, qui a beaucoup fait parler de lui avec sa campagne anti-corruption, se retrouve, sinon affaibli, du moins très corseté…

Dans le même temps, dans un pays encore marqué par des décennies de dictature, plusieurs partis et personnalités critiquent l'entrée au gouvernement d'anciens ministres de Ben Ali. Lesquels sont ainsi imposés par BCE, lui-même ancien secrétaire d’Etat de Bourguiba et président de l’Assemblée sous Ben Ali. Le Monde a fait le calcul : sur 43 ministres et secrétaires d’Etat de la nouvelle équipe, «au moins un sur cinq a occupé un poste ministériel sous Ben Ali ou assumé une fonction dirigeante au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD)», l’ex-parti unique dissout…

Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, en costume traditionnel en son palais de Carthage, le 25 juillet 2017, à l'occasion du 60e anniversaire de la proclamation de la République tunisienne. (AFP PHOTO / FETHI BELAID)


Quel avenir pour Essebsi?
Dans un entretien accordé aux quotidiens La Presse et Assahafa, BCE appelle à revoir le système politique sorti de la révolution de janvier 2011, qu'il accuse de «paralyser pratiquement l'action du gouvernement»«Son caractère hétérogène n’aide pas le gouvernement, n’importe quel gouvernement, et le pouvoir exécutif en général à accomplir leurs fonctions», explique-t-il. «Il est temps d’évaluer le système constitutionnel (…) dans le but d’en rectifier les insuffisances», ajoute-t-il.

C'est-à-dire? Il précise : «La Constitution a (…) en particulier, élargi le champ des attributions entremêlées pour toucher également certaines instances constitutionnelles indépendantes ou celles se proclamant indépendantes, ce qui a contribué à les affaiblir et à affaiblir aussi l’Etat au point que son existence et sa pérennité sont aujourd’hui menacées.» On notera l’attaque contre des «instances constitutionnelles indépendantes» ou se proclamant telles non citées… De là à y voir de la part du chef de l’Etat une volonté de renforcer sa prééminence, il n’y a qu’un pas.

Au passage, Essebsi en profite pour égratigner les islamistes. Au moment de la formation de la grande coalition, «nous nous sommes dit : au moins, nous contribuerons à ramener Ennahdha au club des partis civils. Mais, il paraît que nous avons fait une fausse évaluation». Voilà qui ne devrait pas forcément plaire au parti islamiste qui entend ne plus se définir comme un parti religieux.

Pour autant, Béji Essebsi, qui aura 91 ans en novembre prochain, a-t-il encore un avenir politique ? Il n'a donné aucune indication sur ses intentions au terme de son mandat de cinq ans, en 2019. Parmi ses détracteurs, de nombreuses voix s'inquiètent des prétentions de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, lui-même dirigeant influent de Nidaa Tounès. Un Essebsi pour succéder à un Essebsi au pouvoir en Tunisie?

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