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La Tunisie confrontée à la gestion psychologique des attentats

Le 18 mars 2015, la Tunisie avait déjà été visée par une attaque djihadiste au musée du Bardo à Tunis (22 morts, dont 21 touristes étrangers). Pendant les jours qui ont suivi, une cellule d’assistance psychologique a fonctionné aux côtés des sauveteurs. Sa responsable, la psychiatre Anissa Bouasker, a raconté cette expérience à Géopolis le 25 juin. Soit la veille de l’attaque de Sousse.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Le parent d'une victime de l'attentat du Bardo arrive à l'hôpital Charles-Nicolle à Tunis le 19 mars 2015, au lendemain de l'attaque contre le musée du Bardo. (AFP - Salah Habibi)
«Nous avons des équipes du Samu bien entraînées et très réactives, qui sont tout de suite intervenues au Bardo. En Tunisie, on sait gérer les blessures physiques. Mais la gestion psychologique de ce type de catastrophe n’est pas encore institutionnalisée», constate Anissa Bouasker qui exerce à l’hôpital Razi de Tunis, seul établissement psychiatrique du pays.

Pour autant, une ambulance de «psys» s’est très vite rendue sur les lieux du drame pour soutenir les victimes. Et dans les heures qui ont suivi, les autorités ont demandé à la psychiatre de coordonner une cellule psychologique à l’hôpital général Charles-Nicolle dans la capitale tunisienne. Très rapidement, elle a donc cherché des volontaires et constitué une équipe d’une dizaine de psychiatres et psychologues. «Nous nous sommes installés au calme dans une salle du service d’immunologie», raconte Anissa Bouasker.
 
L’équipe se met immédiatement au travail. «Nous avons commencé à voir les blessés, les représentants des agences de voyage à la recherche d’informations sur leurs clients, et, par la suite, les familles. Souvent, les survivants, en colère, exprimaient le besoin de trouver un bouc émissaire à leur malheur. Ils exprimaient aussi de la culpabilité : le fait par exemple d’avoir emmené en Tunisie un conjoint, ou de ne pas avoir tenu compte des avertissements de proche leur expliquant qu’aller dans ce pays pouvait être dangereux.» 
 
Dans la panique générale, les membres de la cellule subissent une grande pression. «D’autant qu’il fallait trouver les noms des victimes, les identifier, les autopsier. Un travail qui a pu être fait en24-48 heures».
 
«Eponger les tensions»
Très vite, la cellule devient un lieu d’information. «Nous avions besoin des informations pour pouvoir aider ceux qui venaient nous voir. Les ambassadeurs, les ministres défilaient chez nous». Arrivent aussi les sauveteurs en état de choc, les salariés du musée du Bardo venus exprimer ce qu’ils avaient vécu.
 
L’équipe est aussi là pour «éponger les tensions», comme l’explique joliment sa coordinatrice. Elle intervient ainsi pour résoudre des situations individuelles complexes. Ou rendre des services. Comme trouver un lieu pour installer une chapelle ardente pour des victimes catholiques.
 
Aujourd’hui, Anissa Bouasker reste évidemment marquée par cette expérience. «Au-delà de l’horreur, j’ai vu une mobilisation extraordinaire pour venir en aide aux victimes. Tous les sauveteurs ressentaient une profonde empathie et une profonde compassion. Je me demande ce qui a motivé à ce point tous ceux qui sont intervenus. Pour moi, c’est notamment dû au fait que les équipes tunisiennes savaient que le monde entier les regardait. Nous ressentions une forme de culpabilité, une sorte de honte : ces victimes étrangères étaient nos invités et voilà qu’elles étaient frappées chez nous par un immense malheur. C’était inacceptable !» Il convenait donc de se montrer exemplaire.
 
Anissa Bouasker perçoit aussi, dans cette mobilisation, un facteur culturel: «Il faut bien comprendre qu’en Tunisie, il y a une grande sacralité, un grand respect vis-à-vis de la mort.» Une mort qui a de nouveau frappé le 26 juin à Sousse, à 140 km au sud de Tunis. Là, ce sont au 38 personnes, dont une majorité de Britanniques, qui ont été tuées. Il s'agit du plus sanglant attentat de l'histoire du pays. 

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