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Abderrazak Kilani, le ministre tunisien chargé des relations avec l’Assemblée

Avocat respecté, bâtonnier de l’Ordre des avocats, Abderrazak Kilani est connu pour avoir demandé par téléphone à Zine el Abidine Ben Ali de cesser la répression contre les manifestants, quelques jours avant la fuite du dictateur, le 14 janvier 2011. Aujourd’hui, il est ministre chargé des relations avec l’Assemblée nationale constituante. Rencontre avec un personnage qui ne mâche pas ses mots.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le ministre chargé des relations avec l'Assemblée constituante, Abderrazak Kilani, à son bureau, le 12 novembre 2012. (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

Les tensions politiques dans le pays
Les tensions ? Quelles tensions ? Franchement, quand vous vous baladez dans la rue, vous sentez une tension ? Alors évidemment, vous allez prendre des cas particuliers: vous allez me parler par exemple du viol de la jeune fille.

Sincèrement, nous avons eu une révolution relativement pacifique. Il y a eu de la casse, c’est vrai. Mais cela n’a pas mis le pays à genou. Les services publics ont continué à fonctionner : le 15 janvier 2011, on pouvait se présenter à la mairie de Tunis pour demander un extrait de naissance! 

Les salafistes
En France, vous avez eu Action directe. En Italie, il y a eu les Brigades rouges, en Allemagne la Fraction armée rouge. Pour parler de la Tunisie, il faut voir que les salafistes sont, pour la plupart, issus de milieux défavorisés et de quartiers pauvres. Alors, pour lutter contre le phénomène, il faut donc s’attaquer aux problèmes sociaux. Dans le même temps, il faut quelqu’un pour discuter avec eux. Il ne s’agit pas de faire la même chose que Ben Ali qui exerçait contre eux une répression impitoyable. C’est d’ailleurs ce qui les a poussés dans l’extrémisme. Pour autant, aujourd’hui, quand les salafistes violent la loi, le gouvernement agit.

Les relations entre le pouvoir et les médias
Actuellement, la plupart des médias jouent un rôle d’opposants du matin au soir. Pour eux, il s’agit de savoir comment faire tomber le gouvernement. Il faut voir que 90% d’entre eux ont vécu sous le joug de Ben Ali, qui représente ainsi pour cette profession des années de frustration. Ils ne se sont pas encore débarrassés de ce fardeau. Avant, ils faisaient des reportages pour plaire. Du jour au lendemain, ils sont devenus des révolutionnaires. Aujourd’hui, il faudrait qu’ils fassent leur autocritique.

Certaines fois, leur attitude frise l’insolence. Ils devraient montrer du respect vis-à-vis de l’autorité. En Tunisie, les traditions ne sont pas les mêmes qu’en Occident. Et l’on ne change pas du jour au lendemain une mentalité un peu conservatrice. Ici, il y a profondément ancrés un respect, un attachement pour les valeurs arabo-musulmanes, qui se sont d’ailleurs traduits dans les urnes lors des élections à la Constituante en 2011. Aujourd’hui, il s’agit de conjuguer ces valeurs avec la modernité. Mais la société tunisienne est ouverte au progrès et à l’innovation.

« Quand vous vous baladez dans la rue, vous sentez une tension ? » Au cœur de Tunis, le 12-11-2012. (FTV - Laurent Ribadeau Dumas)

La nouvelle Constitution, la charia et le statut de la femme
On a beaucoup parlé chez vous de ces points en disant que le gouvernement avait des intentions malveillantes. Mais dans le texte constitutionnnel, il n’y aura rien sur la charia ou contre le statut de la femme. Ces questions ont été réglées pacifiquement. Cela prouve bien qu’il y a un vrai débat.

En octobre 2011, nous avons bouclé la première étape de la transition démocratique, avec l’organisation d’élections libres, les premières du genre en Tunisie. Maintenant, nous sommes dans la seconde phase. Alors, tout cela prend du temps, voire nous en fait perdre parfois beaucoup. Mais au bout du compte, c’est une lenteur qui peut être bénéfique : car en procédant comme cela, on arrivera à une  bonne Constitution.

La situation économique et sociale
C’est vrai, nous traversons une période d’instabilité sociale, liée à un chômage important qui se traduit notamment par des grèves. C’est tout à fait normal, après 23 années de dictature, de sous-développement et de spoliation des deniers publics. Pour autant, cette situation est alimentée par certains partis d’opposition qui soutiennent les violations de la loi.

Dans le même temps, le gouvernement n’a pas de baguette magique. Il travaille pour apporter des solutions. A la fin de l’année 2012, nous aurons créé 85.000 emplois dans les secteurs public et privé. Nous allons rénover ou construire 30.000 logements. Et pour faciliter le développement économique, nous avons un grand programme de développement autoroutier dans les régions défavorisées du sud et de l’est du pays.

Démocratie ou dictature ?
Il n’y aura plus jamais de dictature en Tunisie ! C’est justement pour se protéger du retour d’un régime autoritaire qu’il faut bâtir des institutions garantissant l’Etat de droit. Vous me parlez du rapport critique d’Amnesty. Nous avons encore des progrès à faire. On ne peut pas mettre un ministre derrière chaque policier. Il y a aussi des problèmes dans les démocraties les plus avancées.

Qui êtes-vous, Monsieur le Ministre ? Comment vous différenciez-vous des islamistes ?
J’ai choisi de rester indépendant : je n’appartiens à aucun mouvement. J’ai choisi de défendre les valeurs universelles, l’Etat de droit. J’appartiens à un gouvernement historique dans le cadre d’évènements exceptionnels : le premier gouvernement démocratique après une révolution historique. Nous vivons une période où nous sommes en train de construire notre démocratie et ses institutions. Ce qui demande la participation de tous les Tunisiens. Nous sommes en train de créer une nouvelle forme de démocratie qui sera peut-être un modèle pour le monde.

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