Tunisie, Egypte: les errements de la diplomatie française
En position d'observateur jusqu'à présent, Nicolas Sarkozy a souhaité “qu'un processus de transition concret s'engage sans tarder” en Egypte. Un communiqué qui faisait écho à l'intervention du président américain Barack Obama, quelques heures plus tôt.
_ Lors de son discours au sommet de l'Union africaine, à Addis-Abeba en Ethiopie, Nicolas Sarkozy s'était contenté d'une phrase sur le sujet. “La France se tient avec amitié et respect aux côtés des Tunisiens et des Egyptiens dans cette période absolument cruciale, pas seulement pour ces deux pays, cruciale pour le monde”, avait-il affirmé.
Le gouvernement se montre d'autant plus prudent sur l'Egyptequ'il a dû reconnaître, il y a un peu plus de deux semaines, une “ erreur de jugement ” sur la situation en Tunisie, par la voix du ministre de la Défense Alain Juppé.
Le 17 janvier, Michèle Alliot-Marie a admis avoir “ sous-estimé ”l'exaspération du peuple tunisien.
Quelques jours après un mea-culpa public du président Nicolas
Sarkozy, Paris a annoncé le remplacement de son ambassadeur à Tunis, Pierre Ménat, par son collègue de Bagdad, Boris Boillon.
Le remplacement de l'ambassadeur ne faisait guère de doutes.
“La raison de la rapidité de son départ est bien entendu qu'on considère au gouvernement que les informations n'étaient pas remontées ” jusqu'à Paris, a expliqué le président de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale, Axel Poniatowski.
“Les derniers télégrammes diplomatiques des derniers jours avant le départ de Ben Ali ne manifestaient pas un degré d'inquiétude et une description de la situation telle qu'elle était”, a-t-il ajouté.
_ Un télégramme diplomatique français, datant du 14 janvier et envoyé de Tunis à Paris quelques heures avant la fuite en Arabie saoudite de Ben Ali, estimait que ce dernier avait plus ou moins repris le contrôle de la situation.
A la fin du texte, il évoquait toutefois la possibilité que l'ex-président tombe sous la pression de la rue, selon une source ayant eu accès à ce document.
Certains diplomates refusent de porter seuls la responsabilité des erreurs de la France et renvoient la balle vers la classe politique, dont la proximité avec le régime de Ben Ali a été maintes fois soulignée ces dernières semaines.
Un ex-ambassadeur en Tunisie a assuré que les autorités politiques françaises étaient “parfaitement informées des dérives du système Ben Ali” et de l'évolution de la société, notamment du “mal-être de la jeunesse tunisienne”.
_ Pour Dominique de Villepin, ancien chef de la diplomatie française, “la règle non écrite pour les ambassadeurs du monde arabe c’est qu’ils ne prennent pas des contacts avec l’opposition. C’est qu’ils sont extrêmement vigilants dans l’attitude qu’ils ont vis-à-vis des pouvoirs” a expliqué Dominique de Villepin ce matin sur France Inter. “Il faut éviter de rajouter des tensions dans les politiques locales”.
Une vision que partage Jean-Christophe Rufin.
Il a été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie.
Il a quitté Dakar et le Quai d'Orsay.
_ Pour lui, il faut faire preuve de “ neutralité ” et “être capable de parler avec tout le monde et malheureusement ca n’est pas le cas ”. Ambassadeur, “c’est un mandat impossible dans les conditions actuelles”.
Un rempart contre l'islamisme
Selon Yves Aubin de La Messuzière, en poste à Tunis de 2002 à 2005, l'expertise des diplomates a été “négligée”. “L'analyse diplomatique privilégiait le risque de mouvements sociaux à la menace islamiste”, a ajouté l'ex-ambassadeur, en rappelant que Nicolas Sarkozy, en visite en 2008 à Tunis, s'était félicité des “progrès de l'espace des libertés publiques”.
Les responsables français, de droite comme de gauche, affirmaient régulièrement que Zine El Abidine Ben Ali était “un rempart contre l'islamisme”.
Philippe Moreau-Defarges, de l'Institut français des relations
internationales, juge “excessives” les critiques même si la proposition de MAM pouvait sembler “maladroite”. “Lorsqu'un gouvernement malgré tout ami est plus ou moins en difficulté, on ne tire pas sur une ambulance”, a-t-il dit.
“Qu'il y ait pu y avoir des maladresses ou des incompréhensions, après tout cela est possible” “mais imaginez que la France intervienne dans les affaires d'un pays qui est un ancien protectorat français, qu'aurait-on dit?”, a justifié Henri Guaino, conseiller spécial du chef de l'Etat.
Mikaël Roparz
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