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Togo : les hommes encouragés à promouvoir l'égalité des genres

Une campagne lancée par une ONG togolaise les invite à adopter "des postures de masculinité positive".

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Images à l'appui, la campagne de sensibilisation lancée en janvier 2021 par l'ONG MenEngage Togo vise à encourager les hommes à vivre une "masculinité positive". (MENENGAGE TOGO)

"Suis-je un homme" quand je porte mon bébé au dos ou m'occupe de lui, fais la cuisine ou encore quand je balaie ma classe ? Images à l'appui, ce sont les questions qui rythment la campagne menée du 11 au 31 janvier 2021 par MenEngage Togo, membre de l'alliance mondiale dont l'objectif est d'associer les garçons et les hommes au combat pour l'égalité des genres.

Des Togolais prêts "à collaborer" avec leurs alter ego féminins

Outre les messages diffusés durant la campagne, les hommes ont été invités à partager sur les réseaux sociaux des clichés d'eux "où ils sont en posture de masculinité positive", précise Kokou Edem Agboka, coordinateur de MenEngage Togo, en charge du genre au sein de l'ONG togolaise Afad, qui opère dans le domaine de la santé communautaire. "La masculinité positive renvoie à la façon dont l’homme exprime son caractère d'homme en vivant en harmonie avec son environnement et l’autre, notamment la femme, en agissant de manière à ne pas lui porter préjudice. La masculinité positive se vit dès le foyer en collaborant et en participant aux tâches domestiques."

La campagne "médiatique et digitale" sensibilise ainsi "aux différentes modalités de vivre la masculinité positive, aux différentes formes de la relation avec la femme en passant par celle avec l’enfant". Ses visuels illustrent des situations telles que le harcèlement de rue et au bureau ou encore le fait d'accompagner sa femme en consultation prénatale. L'opération est aussi l'occasion d'appeler les hommes à plus de solidarité avec les mouvements féministes. 

A l'origine de cette campagne, une enquête qualitative qui met en relief une heureuse prédisposition du Togolais. "L'étude nous a révélé que nous avons deux conceptions de la masculinité chez les hommes au Togo, affirme le coordinateur de MenEngage Togo. L’une est toxique et hégémonique : c'est l’homme qui a le dernier mot, il ne peut pas s’impliquer dans certaines tâches qui seraient, selon lui réservées à la femme. L’autre est une acception plus positive de la masculinité qui prédispose l’homme à la collaboration, au dialogue, à la douceur et à la non-violence." Kokou Edem Agboka confie que "cette reconnaissance en profondeur de l’égalité, de la justice sociale nous a surpris chez certains. On ne s’y attendait pas forcément en allant à la rencontre des gens au fin fond de la brousse, dans nos campagnes.Si la conception première de la masculiné l'emporte encore au Togo, cette "bivalence", illustrée par l'enquête, "encourage à enfoncer le clou sur la masculinité positive afin de travailler sur cette prédisposition". 

Moins violents qu'ailleurs en Afrique

D'autant qu'il y a un vrai potentiel chez les hommes togolais en comparaison avec ceux du continent. "Il y a chez les Togolais une culture de la non-violence contrairement à d’autres pays où on assiste tout simplement à des féminicides", comme en Afrique du Sud. Et les pratiques traditionnelles d'initiation peuvent être déterminantes quand il s'agit d'instiller de la violence. "Quand c'est très violent, l’homme qui sort de cette initiation ne peut qu’être prédisposé à la violence. Nous avons au Togo des pratiques initiatiques dont le degré de violence est moindre qu’ailleurs sur le continent."

La  démarche de MenEngage Togo a trouvé un écho favorable, notamment chez les femmes. "Dans un premier temps, cette campagne a été la voix des sans-voix. Nous avons eu des réactions du type : 'Voilà des hommes qui se mobilisent dans ce domaine…' Nous avons senti que les femmes exprimaient ce qui représentait un poids pour elles au quotidien et que les hommes avaient tendance à ne pas reconnaître." La campagne est aussi l'occasion de déconstruire les préjugés : "Aujourd’hui, nous parlons sur les antennes, à la télé et à la radio, et nous contrecarrons les arguments avancés par d’autres hommes. De l'autre côté, nous faisons l'objet d'attaques qui illustrent des résistances." Leurs arguments sont souvent les mêmes que ceux avancés durant l'étude de l'ONG. "Toutes ces choses viennent de nos aïeux, on disait toujours qu’il y a un travail pour l’homme et un travail pour la femme…", a confié un leader communautaire de 49 ans interrogé en milieu rural dans la région des Savanes (nord du Togo).  

Les commentaires actuels y font largement écho, rapporte le coordinateur de MenEngage Togo : "Ce sont des foutaises, c’est Dieu qui  a créé les choses comme ça, qui nous a créés différents. L’homme et la femme ne peuvent jamais être égaux". "Ça nous pique au vif, poursuit-il, et nous ne manquons pas de répondre à tous les posts de ce type avec des arguments concrets. Quand quelqu’un fait référence à la Bible ou autre, on lui demande de nous donner des preuves. Par exemple, là où il serait écrit que l’on peut s’attaquer à une femme dans la rue et la violer (...) Nous ne disons pas que l’homme va devenir une femme ou l’inverse. Mais en termes de droits, d’opportunités, de dignité, de position sociale, les hommes et femmes peuvent avoir les mêmes. Il ne faut pas laisser ces messages sans réponse, parce que les gens pourraient penser que nous n’avons pas les moyens de notre politique. Nous ramenons chaque fois le débat sur le terrain du droit, des conventions internationales, de notre Constitution ou encore des programmes que l’Etat togolais a mis en place".  

Des hommes en demande 

Une démarche utile dans un pays où, selon les derniers chiffres fournis par les Nations unies, "12% des femmes âgées de 15 à 49 ans ont déclaré avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part d'un partenaire intime actuel ou ancien au cours des 12 mois précédents en 2014". Selon l'ONU,  "les femmes en âge de procréer (15-49 ans) se heurtent souvent à des obstacles en ce qui concerne leur santé et leurs droits sexuels et reproductifs au Togo". "Si on veut avancer dans le travail de l’égalité entre l’homme et la femme, insiste Kokou Edem Agboka, il faut attaquer le problème à la racine et il est en grande partie lié aux hommes sur tous les plans : égalité du genre, santé sexuelle et reproductive, lutte contre les violences basées sur le genre, prévention et lutte contre le VIH/sida, droit des enfants... Tous ces domaines où, quand les hommes s’impliquent, on obtient des résultats parce qu'on a compris que les hommes constituent un véritable blocage. C’est comme cela que le concept de travailler avec les hommes vers la justice du genre est née." Une approche incarnée par l'alliance MenEngage, "qui a vu le jour suite au travail des organisations féminines et féministes", dont le siège africain est en Afrique du Sud. 

Le Togo a rejoint le réseau, qui rassemble aujourd'hui 22 pays africains, "fin 2017-début 2018" grâce au besoin exprimé par... les hommes. L’Afad, qui assure le secrétariat togolais de MenEngage, travaille auprès des communautés dans la zone de Kpalimé (sud du Togo) et s'est spécialisé dans le domaine de la santé. "Au départ de la mère et de l’enfant", indique Kokou Edem Agboka. "Dans le cadre de nos activités, poursuit-il, nous avons mis en place des clubs de mères, puis des clubs de papas à la demande de ces derniers parce que les hommes nous disaient qu'eux aussi avaient besoin d’information. C’est dans ce travail que nous nous sommes rendu compte que les hommes doivent être associés à notre démarche. Pour les questions de vaccination ou de planification familiale, il suffit que l’homme dise non et tout est bloqué. Il faut donc commencer à travailler avec les hommes. C’est ainsi que l’idée est née de nous associer au réseau MenEngage". 

MenEngageTogo, "qui est en phase d'implantation", officialisera ses activités en février 2021. La tâche s'annonce plus aisée "dans les grandes villes" où le mode de fonctionnement des ménages a déjà convaincu beaucoup de Togolais, constate Kokou Edem Agboka, d'être plus "proactifs par rapport aux gestes et aux comportements de masculinité positive". 

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