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Faux cils et faux ongles bannis de l'Assemblée, perruques taxées et retour de la TVA sur les serviettes hygiéniques : les femmes ciblées en Tanzanie

En interdisant et en taxant des produits dont elles sont les principales consommatrices, la Tanzanie pénalise ses citoyennes. De quoi s'arracher les cheveux.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le mannequin Brigitte Alfred, Miss Tanzanie 2012, se fait coiffer le 4 décembre 2015 pour l'ouverture de la Swahili Fashion Week à Dar es Salam.  (DANIEL HAYDUK / AFP)

Les autorités tanzaniennes auraient-elles une dent contre les femmes ? Les récentes mesures prises en matière de fiscalité et de code vestimentaire au Parlement laissent penser que oui. Le ministre des Finances Phillipo Mpango a annoncé le 13 juin 2019 une serie de mesures pour boucler le budget 2019-2020.

Parmi elles, une qui donne de bonnes raisons aux Tanzaniennes de préférer leurs cheveux naturels aux perruques et autres extensions. Ces produits font désormais l'objet d'une fiscalité pour le moins tirée par les cheveux. Les articles importés seront taxés à 25% contre 10% pour ceux produits localement. 

Le prix des perruques va augmenter d'un poil

"Je ne comprends pas, parmi tous les produits disponibles, que cela soit tombé sur les perruques et les extensions capillaires. Pour votre information, certaines femmes les portent pour impressionner les hommes", a réagi Irene Simweza, propriétaire d'un salon de coiffure à Dar es Salam, la capitale économique de la Tanzanie, dans les colonnes du journal The Citizen Tanzania.

"(Ces taxes) vont rendre les perruques trop onéreuses pour la plupart des femmes. Mais je pense que cela touchera également les hommes, car ils seront obligés de payer plus s'ils veulent que leurs femmes aient belle allure", avance une autre Tanzanienne interrogée par le journal. Et d'ajouter : "Toutes les femmes n'ont pas la possibilité de faire pousser leurs cheveux naturels dont l'entretien revient cher. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons recours aux extensions, ce qui n'est pas mal du tout." 

Selon l'agence Ecofin, le pays serait de "plus en plus consommateur (de) perruques".  "Les statistiques indiquent que ces dernières peuvent se vendre jusqu’à 130 dollars (115 euros), soit plus que le revenu moyen brut par habitant du pays, estimé à 75 dollars (66 euros) environ en 2016".

Des discriminations au nom de la santé publique

Ce n'est pas la première fois que les Tanzaniennes sont directement visées par des décisions politiques. En septembre 2018, le Parlement a interdit l'accès aux séances plénières aux députées portant des faux ongles et des faux cils, ainsi qu'aux femmes qui se dépigmentent. Le président du Parlement, Job Ndugai, avait également fait savoir à l'époque qu'ils envisageait d'interdire l'accès de "l'auguste Assemblée" aux parlementaires excessivement maquillées.  

Selon The Citizen Tanzania, la mesure était intervenue après que le vice-ministre de la Santé, Faustine Ndugulile, avait indiqué que ces implants cosmétiques provoquaient des complications sanitaires qui pesaient sur le budget de l'Etat. D'après ses chiffres, quelque 700 femmes se présenteraient chaque année dans les hôpitaux pour des affections liées aux faux cils et aux faux ongles ainsi qu'à la dépigmentation. 

Interrogée par le journal, Edwick Mapalala, en charge d'une structure de prise en charge psychologique destinée aux jeunes (REPSSI), a souligné que la mesure constituait une "intrusion" dans la vie privée des personnes concernées, même si elle part d'une bonne intention. Ce que dénonce beaucoup de femmes, d'autant qu'elles se disent à même de juger de ce qui est bon ou non pour elles.   

Les serviettes hygiéniques de nouveau taxées

Dans le train de mesures annoncées pour le budget 2019-2020, le ministre tanzanien des Finances a évoqué le retour de la TVA sur les serviettes périodiques, arguant que la suppression de la taxe, l'an dernier, n'avait pas provoqué une baisse des prix. La précarité menstruelle –  le fait pour une femme ou une jeune fille de ne pas avoir les moyens d'acheter des protections pendant ses règles , est un problème en Tanzanie. A l'instar de nombreux pays dans le monde. 

La précarité menstruelle est un phénonène mondial. En Afrique subsaharienne, par exemple, une jeune fille sur dix ne va pas à l'école pendant ses règles parce qu'elle ne peut pas se procurer des serviettes périodiques.
VIDEO. La précarité menstruelle La précarité menstruelle est un phénonène mondial. En Afrique subsaharienne, par exemple, une jeune fille sur dix ne va pas à l'école pendant ses règles parce qu'elle ne peut pas se procurer des serviettes périodiques. (Franceinfo)

Un document de CNN, paru en 2018, indique que 16% des jeunes filles ne vont pas à l'école pendant leurs règles, selon une étude du Tanzania Water and Sanitation Network found. Le média américain a estimé que le coût mensuel des serviettes périodiques représentait 3,4% (1,30 dollar, soit 1,15 euros) du salaire (38 dollars, soit 33,65 euros) d'une Tanzannienne contre 0,15% (5 dollars, soit 4,42 euros) pour une Américaine (3375 dollars, soit 2989 euros).

Faute de moyens, les femmes ont souvent recours à des alternatives qui peuvent causer des infections et endommager leur appareil génital et reproductif.

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