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Somalie : Donald Trump a multiplié les raids de drones contre les islamistes shebabs

L'armée américaine a annoncé le 25 février 2019 avoir conduit une frappe contre des islamistes shebabs en Somalie, tuant 35 d’entre eux. Ce pays est une priorité dans la lutte anti-terroriste que les USA mènent en Afrique. Les raids aériens s’y sont multipliés depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Reste à savoir si cette stratégie est efficace…

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Drone militaire américain (photographié lors d'un exercice en Australie le 13 juillet 2017) (JASON REED / X00458)

Dans les années 1990, la Somalie n’a pas porté chance aux Etats-Unis. En mars 1991, Washington décide de fermer son ambassade, alors que les rebelles et le pouvoir de Siad Barré se combattent dans les rues de Mogadiscio. En octobre 1993, au cours d’une opération militaire, 300 Somaliens et 18 GI’s sont tués (73 autres sont blessés). Deux hélicoptères Black Hawk sont abattus.

L’ambassade ne sera rouverte qu’en décembre 2018. Une réouverture qui "confirme le retour d’une sécurité relative dans le pays", analyse RFI. Mais qui traduit aussi un engagement de plus en plus important des Etats-Unis dans la Corne de l’Afrique. Il s’agit de "faire progresser encore davantage la stabilité, la démocratie et le développement économique", explique le département d’Etat.

La Somalie est une priorité pour Washington. "C’est l’un des deux seuls pays africains où les Etats-Unis maintiennent une solide présence militaire", note le site The Atlantic. La lutte contre les djihadistes shebabs (jeunes en arabe) "représente le plus gros budget d’assistance militaire américaine en Afrique, avec un total de 1,4 milliard de dollars" sur la décennie 2007-2016, selon Le Point. En 2017, le Pentagone y avait déployé 400 militaires.

"Menace principale contre les intérêts américains"

Cette priorité s’explique par le fait que les shebabs sont identifiés par l’Africom, le Commandement américain pour l’Afrique installé à Stuttgart (Allemagne), "comme la menace (terroriste) principale visant les intérêts américains" sur le continent. D’autant que "les shebabs ont fait allégeance à al-Qaïda en 2012, et (que) ces dernières années, un petit contingent de l’Etat islamique s’est installé dans le nord de la Somalie", explique The Atlantic.

Militaires somaliens arrivant à l'aube dans la ville de Barawe, port du sud-est de la Somalie, le 4 octobre 2014. (FEISAL OMAR / X02643)

En fait, le retour américain avait commencé dès 2001, dans la foulée des attentats du 11-Septembre à New York. Les Etats-Unis ont d’abord exercé des actions de surveillance, envoyé des conseillers auprès de l’armée somalienne. Les premiers raids ont été menés en 2007 et les premières attaques de drones en juin 2011. C’est l’encadrement des shebabs qui est alors visé, "ce qui conduit à l’élimination de plusieurs chefs, dont le premier d’entre eux, (…) Ahmed Adbi Godane", révèle le site opex360.

Puis les raids s’attaquent à des camps djihadistes. En mars 2016, une opération aurait ainsi entraîné la mort de 150 shebabs.

L’élection de Donald Trump, un tournant

En janvier 2017, Barack Obama est remplacé à la Maison Blanche par Donald Trump. Celui-ci lâche la bride à ses généraux et les raids s’intensifient. Résultat : en 2018, 33 raids aériens et de drones auraient ainsi été menés, tuant plusieurs centaines de personnes, aux dires du service de presse de l’Africom. Un communiqué publié le 17 décembre annonce "six frappes aériennes", qui ont eu lieu les 15 et 16 décembre "en lien étroit" avec les autorités somaliennes. Objectif : empêcher "les terroristes d’utiliser des régions éloignées comme refuge" pour organiser et diriger de "futures attaques" et recruter de nouveaux membres. 

En 2019, le rythme ne s’est pas ralenti. Entre le 1er et le 26 février 2019, le commandement américain pour l’Afrique a ainsi fait état de neuf opérations.

"Paranoïa"

Selon certains experts cités par The Atlantic, les opérations de drones qui visent les dirigeants djihadistes perturbent le fonctionnement de leurs activités. Cela oblige ces derniers "à accorder plus de temps et d’énergie à leur sécurité personnelle", ce qui les gêne notamment "pour planifier des attaques". Les actions américaines auraient également répandu "la paranoïa" dans les rangs des shebabs dont les téléphones portables sont suivis à la trace par les "grandes oreilles" du Pentagone.

Sur les lieux de l'attaque au camion piégé qui a fait plus de 500 morts le 14 octobre 2017 à Mogadiscio. Celle-ci n'a pas été revendiquée, mais on suspecte les islamistes shebabs d'en être à l'origine. Il s'agit de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire de la Somalie. (MOHAMED ABDIWAHAB / AFP)

En 2011, les djihadistes ont été chassés de Mogadiscio, puis progressivement des autres grandes villes du pays, par la force régionale de l’Union africaine, l’Amisom. Mais ils contrôlent encore de vastes pans de territoire dans les campagnes. Et mènent régulièrement des attaques.

A écouter le responsable de l'Amisom, cité par RFI, les shebabs seraient très affaiblis : "Ils ne se confrontent plus à nous, ils se fondent dans la population. C'est pour cela que c'est compliqué. Nous avons besoin de moyens dans le renseignement et la surveillance. (Pourvu de ces éléments), on ne mettra pas longtemps à les" battre.

"Les frappes ne vaincront pas les shebabs"

Ce n’est pas forcément ce que pense le commandant de l’Africom, le général Thomas Waldhauser. Il a lui-même reconnu devant le Congrès que la campagne aérienne menée en Somalie n’arrêterait pas les djihadistes. "Au bout du compte, ces frappes ne vont pas vaincre les shebabs", a-t-il dit. De fait, observe la chercheuse Maya Kandel citée par Le Point, "la menace perdure, voire augmente".

En clair, la campagne aérienne anti-djihadiste et le "tout militaire" ont peut-être trouvé leurs limites… "Les frappes de drones ne peuvent pas se substituer à une stratégie politique", souligne un observateur américain cité par The Atlantic. "Il faut réconcilier les Somaliens et régler les enjeux de partage du pouvoir et des ressources. Cela compliquera le recrutement des shebabs. Le président (somalien) Farmajo a promis une amnistie à ceux qui renonceront à la violence. Il va falloir gérer les repentis, les déradicaliser et les réintégrer", estime le représentant de l’UA en Somalie, Francisco Madeira.

Des Somaliens pleurent, dans un hôpital de Mogadiscio, la mort d'un parent lors d'une attaque menée par les forces gouvernementales. Celles-ci étaient appuyées par des militaires américains. Photo prise le 25 août 2017. (FEISAL OMAR / X02643)

On n’en prend pas forcément le chemin. Car le pays est toujours englué dans des guerres de clans. Et l’actuel pouvoir n’y met pas forcément du sien.

Le 13 décembre 2018, il a ainsi fait arrêter Mukhtar Robow, vétéran de la mouvance djihadiste qui avait déposé les armes, rapporte opex360. "Cela va complètement réduire à néant toute possibilité, pour les combattants shebabs, d’envisager de faire défection en faveur du gouvernement, ce qui aura des conséquences considérables pour les espoirs de paix en Somalie", a affirmé Hussein Sheikh-Ali, fondateur de l’Institut Hirral à Mogadiscio, cité par France 24. Dans le même temps, les services secrets somaliens, qui sont entraînés par la CIA, procèdent à des arrestations "violentes" de membres de l’opposition somalienne et de journalistes, rapporte The Atlantic.

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